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chefs du parti national en Hongrie la garantie suffisante pour exposer, avec une conscience pure et nette, l'avenir de leur patrie au sort des

armes.

Le temps presse. Plus tôt Votre Excellence s'entendra avec le représentant du comité de Pesth, plus tôt il y aura à espérer de trouver toute la Hongrie prête entrer en lice pour seconder vos efforts en Italie.

Nous avons encore nos armes dans les Principautés. Précieux avantage que nous n'avions pas en 1859.

J'ai rempli mon devoir de patriote en attirant l'attention de Votre Excellence sur toutes ces questions, et je serais heureux si j'étais bientôt appelé à remplir mes devoirs de soldat sur le champ de bataille.

Je prie Votre Excellence d'agréer l'expression de mon entier et res pectueux dévouement.

N 228

Signé G. KLAPKA.

M. LOUIS KOSSUTH AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

La Hongrie, par sa position géographique, par l'étendue et la fertilité de son territoire, par le nombre et le caractère guerrier de sa population et par le contingent qu'elle fournit en conséquence à l'armée autrichienne, constitue le pivot de la puissance de la maison d'Autriche.

L'Autriche peut perdre cent batailles, elle peut perdre Vienne et tout les pays mêmes que l'on appelle ses provinces héréditaires : elle ne se donne jamais pour vaincue tant que la Hongrie lui reste.

La Hongrie est à l'Autriche ce que la terre était au géant Antée : une source intarissable du renouvellement de ses forces.

Les vingt-cinq ans de guerre du premier Empire l'ont prouvé: aussi cette vérité n'a jamais échappé à aucune puissance qui se trouvait en guerre avec l'Autriche.

Napoléon Ier lui-même, quoique vainqueur de cinq coalitions, à l'apogée de sa fortune, avec Vienne dans ses mains, s'en est souvenu et adressa sa fameuse proclamation à la nation hongroise. La Hongrie

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d'alors n'était pas encore la Hongrie d'aujourd'hui. Loyale jusqu'au suicide, se fiant encore à la reconnaissance de la maison d'Autriche qu'elle avait déjà tant de fois sauvée, elle ne répondit pas à l'appel du vainqueur du monde. Napoléon, après ce refus, arracha à l'Autriche la Styrie, la Carinthie, la Carniole, le Frioul, la Dalmatie et Cattaro; mais il laissa aux Habsbourgs la possession de la Hongrie. Avec cette Hongrie à sa disposition, l'Autriche s'est relevée de sa chute, et Napoléon mourut à Sainte-Hélène.

C'est un terrible enseignement pour quiconque fait la guerre à l'Autriche.

Napoléon III n'a pas manqué de se le rappeler en 1859. Avant de s'engager dans la guerre d'Italie, il m'a appelé à Paris du fond de mon exil, pour s'entendre avec moi, et pour s'assurer par mon entremise du concours éventuel de la Hongrie. Même après avoir vaincu à Magenta et à Solferino, il me dit à Valeggio les mots suivants : « Si l'Autriche n'accepte pas la paix, j'aurais besoin de votre concours : hâtez vos préparatifs! » L'Autriche a accepté la paix, et par quel motif l'a-t-elle acceptée ? Parce qu'elle craignait la dissolution que la levée du drapeau de l'indépendance de la Hongrie aurait jetée dans son armée; parce qu'elle savait que si elle ne se résigne pas à céder la Lombardie, les flots de la guerre soulèveront la Hongrie, et alors elle se savait perdue.

Sans cette crainte, malgré Solferino, on p'aurait pas entendu parler ni de Villafranca ni de Zurich. Ah! car l'Autriche, elle, le sait bien ce que lui vaut la Hongrie. Cette Autriche qui, avec la Hongrie pour son appui, est sortie plus puissante que jamais du terrible orage des guerres du premier Empire; cette Autriche qui, disposant encore de la Hongrie, a su se relever de sa chute à Solferino au point d'oser provoquer aujourd'hui. la Prusse et l'Italie réunies contre elle; cette Autriche qui, non-seulement les ose provoquer, mais quand l'Europe entière s'apprête à lui parler de la cession de la Vénétie, elle répond en mettant l'Italie en demeure de renoncer à ce qu'elle a déjà accompli. Cette Autriche si fière, si arrogante, n'a su résister à la Hongrie, seule, en 1849!

Nous étions sans soldats, sans armes, sans argent, abandonnés par tout le monde, n'ayant rien à notre appui que notre bon droit, la justice de notre cause, et le sentiment de notre devoir envers notre patrie, quand l'Autriche, déjà victorieuse de l'Italie, nous attaqua à l'improviste avec toutes ses forces. Nous n'étions pas, nous ne sommes pas révolutionnaires, mais nous sommes une nation qui veut vivre en nation, parce que nous en avons le droit, et nous nous en sentons la force. Il fallait ou se laisser effacer d'entre les nations vivantes ou

résister à l'injuste attaque. A mon appel, ma nation s'est décidée à se sauver par la résistance, et, dans cette épreuve suprême, elle confia son sort à mes mains. Aidé par le patriotisme et le caractère guerrier du peuple hongrois, deux mois suffirent pour organiser, habiller, armer une armée de 200,000 hommes, qui non-seulement battit les vieilles troupes de l'empereur d'Autriche en vingt batailles rangées, mais encore a, dans une seule campagne, écrasé sa puissance à tel point, qu'elle ne put se sauver autrement qu'en appelant 200 mille Russes à son secours, et même ce secours ne l'aurait pas sauvée sans la trahison d'un de mes généraux; car il est aujourd'hui historiquement avéré, et reconnu même officiellement par l'Autriche, que le prince Paskéwich, commandant en chef de l'armée russe, avait déjà tout disposé pour sa retraite générale sur sa base d'opérations en Gallicie, quand Gorgey, gagné par la diplomatie russe, nous a trahis. Telle est, monsieur le Président du Conseil, l'importance de la Hongrie pour l'Autriche. Avec la Hongrie, l'Autriche a des chances pour la victoire contre beaucoup d'ennemis. Contre la Hongrie, elle ne peut pas même tenir une seule campagne; car c'est la Hongrie qui fait sa force: cette force ôtée à l'Autriche, elle reste impuissante; cette force tournée contre elle, elle est perdue.

Ces considérations déjà graves par elles-mêmes acquièrent un poids additionnel par leur rapport à l'Italie, un poids dont la gravité ne saurait être exagérée. Bien que la campagne de 1796 en Italie ait été la plus glorieuse et la plus heureuse de toutes celles de Napoléon, à quoi aboutissaient toutes ses batailles gagnées, le Quadrilatère pris et tant d'armées autrichiennes détruites? A la paix de Campo-Formio, par laquelle l'Autriche vaincue acquit la Vénétie.

C'est que l'Italie est un champ de bataille où on peut battre l'Autriche, mais on ne saurait la vaincre; cent fois battue, elle revient cent fois à la charge, si on la laisse disposer de la Hongrie. Elle ne peut être vaincue qu'en Hongrie et par la Hongrie.

Le général prussien Radovicz disait : « On défend le Rhin sur le Pô. » Les Allemands d'aujourd'hui disent : « On défend le Danube allemand sur le Pô. » Moi je dis : « Ce n'est que sur la Theiss et sur le Danube hongrois qu'on peut assurer et qu'on peut stratégiquement compléter les victoires tactiques qu'on remporte sur le Pô, et même ces victoires tactiques ne sont pas certaines si le Pô n'est pas aidé par la Theiss. »

Ces considérations ont été parfaitement appréciées par le tant regretté comte de Cavour. L'idée de laquelle il ne s'est départi en nulle circonstance jusqu'à sa mort. L'idée fondamentale de sa politique était que si on se décidait à faire la guerre à l'Autriche, soit pour

compléter, soit pour consolider la régénération de l'Italie, il était nonseulement utile, mais absolument indispensable de faire tout le possible pour s'assurer le concours de la nation hongroise. Il agissait sur cette idée en 1859. C'est avec cette idée qu'il s'apprêta à faire la guerre à l'Autriche, aussitôt que les affaires de l'Italie méridionale le permettraient. Il avait coutume de dire : « Les forces qui me manquent en Italie, je les trouverai en Hongrie. » Il espérait pouvoir le faire déjà en 1861, et c'est dans cet espoir qu'il m'appela dès 1860 en Italie; c'est dans cet espoir qu'il s'est concerté avec moi, qu'il arrêta de concert avec moi le plan d'action et qu'il a mis la main avec la plus grande énergie à en préparer l'exécution. M. C*** le sait, et l'accord formel qui se trouve dans les archives secrètes de l'Etat l'atteste; l'accord dont luimême, par une lettre que j'ai dans mes mains, m'a annoncé l'approbation par le conseil des ministres, et dont Sa Majesté le Roi m'a fait l'honneur de me signifier personnellement la sanction.

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Cette politique, le comte de Cavour l'a léguée à ses successeurs dans la présidence du Conseil. Messieurs . . . . y ont toujours adhéré. La guerre a beaucoup tardé à venir, elle a tardé au risque de laisser la Hongrie se fatiguer dans l'attente et se perdre par une transaction. Heureusement, l'obstination avec laquelle l'Autriche a persisté à lui refuser ses droits les plus élémentaires, a sauvé la Hongrie de ce danger. Aujourd'hui déjà nul homme sérieux en Hongrie ne croit plus à la possibilité d'une transaction, pas même M. Deak n'y croit plus. La nation entière est profondément convaincue qu'une Hongrie autonome et nationale et l'Empire autrichien ne peuvent exister ensemble sous un même souverain: ou la Hongrie devrait absorber l'Autriche, c'est ce que la dynastie ne peut accorder, ou la Hongrie devrait être absorbée par l'Autriche, c'est à quoi la Hongrie ne pourrait jamais consentir, car en y consentant elle se suiciderait.

Nous, Hongrois, nous ne sommes pas des révolutionnaires, monsieur le Ministre. Les idées fougueuses, les théories impétueuses des soidisant régénérateurs du siècle n'ont aucune prise sur nos sentiments ni sur nos esprits; nous ne sommes ni novateurs, ni démagogues; ardemment attachés aux traditions historiques de nos pères, sincèrement monarchiques par conviction et par notre caractère historique, nous aimons l'ordre et la tranquillité; parmi toutes les nations de l'Europe, nous sommes (j'ose le dire) la nation la plus loyale et la plus longanime dans sa loyauté; dans le cours de trois cent cinquante ans, nos aïeux, nos pères, et nous-mêmes, moi en particulier, à qui l'étrange concours des circonstances fit venir pendant un moment le sort de la maison de Habsbourg dans le creux de ma main, nous avons épuisé tous les moyens imaginables pour arriver à un accord équitable avec

la dynastie autrichienne. Cent fois trompés, cent fois payés pour notre loyauté par l'ingratitude la plus noire, nous sommes cent fois revenus à l'épreuve; mais enfin nous nous sommes vus forcés, par l'inutilité de nos efforts de trois cent cinquante ans, à reconnaître que si nous voulons rester nation, nous sommes contraints, absolument contraints à nous émanciper de la domination autrichienne, car il y a une contradiction historique, logique, irréconciliable, entre nous et la maison d'Autriche.

Non! nous ne sommes pas révolutionnaires; mais nous voulons vivre, nous voulons être nation, nous ne voulons pas déchoir à la position d'une province allemande de l'Empire polyglotte autrichien.

Venise aussi veut se soustraire à la domination autrichienne; estelle révolutionnaire pour cela? Non! Elle veut vivre de sa vie nationale : elle veut que l'Italie soit aux Italiens. Nous voulons nous aussi que la Hongrie vive de sa vie nationale, qu'elle soit Hongrie, nation et non province autrichienne.

C'est ce sentiment, dont le cœur de tant de Hongrois est plein, qui vous assure, monsieur le Général, le concours dévoué de la Hongrie; ce concours vous est assuré aujourd'hui avec plus de certitude que jamais, car c'est précisément en ce moment que la Hongrie voit échouer la dernière tentative de conciliation, que par un excès de loyauté elle a offerte à la maison d'Autriche. Pourquoi ne pas profiter de ce sentiment? Pourquoi ne pas vous assurer un surcroît de forces qui convertirait la probabilité de votre victoire en certitude?

Loin de moi la pensée de méconnaître les puissantes ressources dont vous disposez. Je sais tout ce qu'une armée comme celle de l'Italie peut valoir avec un Roi comme le vôtre, et un capitaine comme vous pour chef, et soutenue par l'admirable patriotisme de la nation; mais vous êtes trop prévoyant pour méconnaitre la force de l'ennemi.

Dans l'armée autrichienne, parmi les 80 régiments (de quatre bataillons chacun) d'infanterie de ligne, il y a 33 régiments exclusivement hongrois (sans compter les Croates et les Esclavons). Parmi les 42 régiments de cavalerie autrichienne, il y a 14 régiments hongrois purs. C'est une force formidable de 160 à 170,000 hommes en troupes bien aguerries.

Les ôter à l'ennemi et les ajouter à vos forces fait une différence de 340,000 hommes, et encore cette force n'est que celle de l'armée : la nation peut, elle aussi, en fournir autant. Quelle autre alliance pour-` rait donc vous assurer un si puissant concours? La France elle-même n'a pu donner à l'Italie en 1859 que 200,000 hommes, et ceci est bien évident, car ailleurs vous ne pourriez trouver qu'une armée, tandis qu'en nous vous trouvez non-seulement une armée, mais encore toute

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