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voulait se ranger sous ses drapeaux. Il avait feint d'écouter le satrape; et, à la faveur de cette espèce de négociation, il s'était appliqué à connaître ses projets et ses forces.

Réunissant pendant ce temps tous les pâtres audacieux du Parnasse et de l'Oëta, qui, de gardiens de troupeaux timides, étaient, ainsi que lui, devenus les chefs de ces armatolis parmi lesquels la houlette avait fait place au sabre et au fusil, il méditait le plan le plus vaste que jamais enfant des Grecs conçut depuis les mémorables journées de Marathon et de Platée.

Uni de sentiments et de principes avec Panorias, d'Amphisse, qui n'avait jamais quitté le costume de chevrier, vêtement ordinaire des paysans du mont Zonas, Odyssée et son ami réunirent les braves de Lidoriki et de Cravari. On fut alors émerveillé de voir sortir, au grand étonnement de la Hellade, au lieu de ces hideux mendiants, opprobre de la société, qui descendaient annuellement d'Amourani (1), une belle race d'hommes, parlant la langue primitive de la Hellade. Il semblaient, comme les fils de Dorus, apporter avec eux de nouvelles destinées à la Grèce : car, à peine furent-ils rassemblés à Arachova, qu'on vit tous les vieux capitaines de la Phocide accourir au rendez-vous qu'on leur avait indiqué. De ce nombre étaient Kondoianis, Jean Gouras, Dyvouniotis, Diamantis, Gavosterios et les chefs du Catavothra, qui, d'un commun

(1) Voyage dans la Grèce, t. III. p. 229 à 239.

accord, nommèrent pour leur polémarque Odyssée, fils d'Andriscos.

Ce choix ayant été confirmé par l'armée, qui se montait à cinq mille combattants environ, on mit en délibération si on devait essayer de s'opposer aux bandes de Dramali pacha, fortes de trente mille hommes, qui se préparaient à passer le Sperchius pour se diriger contre la Morée.

La question, ainsi posée, ne se présentait plus comme au printemps précédent, lorsque les campagnes, couvertes de moissons, possédaient l'espérance de l'année, qu'il fallait protéger afin de sauver les moyens d'existence du peuple et de ses défenseurs. On était au mois de juillet, et les grains avaient été, dès la mi-juin, foulés, recueillis et transportés dans les lieux les plus inaccessibles du Parnasse, asyle des Phocidiens et des Béotiens, lors de toutes les invasions des barbares. La terre, dépouillée de verdure, comme il arrive pendant les chaleurs, qui sont la morte saison de la Grèce, n'offrait plus de pâturages. Les troupeaux étaient depuis long-temps retirés dans les parcours d'été, qui succèdent aux glaciers du Sperchius et du Céphise. Une aridité générale couvrait le plat pays, et à l'exception des rizières, des maïs semés dans les marais et dans les fondrières, où il est dangereux de pénétrer, on n'apercevait au loin que des plants de coton, des garancières, des vignobles hors de maturité, qui pussent procurer quelques rafraîchissements aux hommes et aux animaux. On devait sans regret sacrifier cette partie des récoltes. Telle

était l'opinion commune des vieillards, qui trouvaient dans une invasion des Turcs l'avantage de diviser leurs forces, en les laissant pénétrer dans le pays, tandis qu'avec une armée double en nombre ils pouvaient envahir, conquérir et occuper méthodiquement la Hellade ainsi que le Péloponèse.

Odyssée, qui ne prenait jamais l'initiative dans le conseil, appuya cet avis en démontrant par des raisonnements irrécusables que, si on venait à bout dans ce moment de rejeter, comme on l'avait déja fait, les Turcs dans la Thessalie, ils reviendraient bientôt plus formidables, et qu'en succombant, c'en était fait de la patrie. Ils restaient alors maîtres des défilés, et portant des forces considérables sur la Morée, avec leurs communications libres, ils viendraient à bout dans trois mois de temps, à l'aide des renforts qu'ils recevaient, d'exterminer la population entière de la presqu'île comme ils avaient massacré celle de Chios. Les débris des compagnies grecques pourraient bien à la vérité leur enlever des convois, les harceler; mais n'étant plus capables d'entreprendre rien d'important, ils se fondraient insensiblement et deviendraient, comme avant l'insurrection, des armatolis commandés par des capitaines de klephtès. Au contraire, en ouvrant la lice aux barbares, il suffisait de considérer la nature et l'étendue du terrain qu'ils avaient à parcourir pour prouver qu'on détruisait d'un seul coup Dramali et les trente mille hommes qu'il commandait; que ce n'était qu'une incursion de Tartares qui se précipitaient dans une

impasse, et que Khourchid les poussait en avant, peut-être dans le but de perdre les auteurs d'un plan conçu sans sa participation.

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Sans approfondir les mystères d'iniquité propres à la cour des sultans, Odyssée, entrant dans tous les détails de stratégie appliqués à la connaissance des lieux, prouva que de Larisse à Tripolitza, capitale de la Morée, la distance étant, à vol d'oiseau, de soixante-dix lieues, et de cent environ, cause des détours qu'il fallait prendre pour suivre les défilés des montagnes, une armée de trente mille Turcs, abandonnée à elle-même, quand elle ne trouverait de résistance qu'à l'extrémité du rayon qu'elle avait à suivre, serait perdue si elle était seulement arrêtée pendant quinze jours. Discutant toutes les chances, il fit voir qu'immédiatement après avoir franchi les Thermopyles elle perdait ses communications, puisqu'on pouvait faire occuper ce défilé par les troupes grecques. Séparée ainsi de la Thessalie, on devait, en faisant lever en masse les paysans de l'Attique et d'une partie de la Phocide, former une seconde ligne d'insurrection sur ses derrières, en occupant les passages du Cithéron, ainsi que la ligne des monts Cérates et Géraniens jusqu'au golfe de Corinthe.

Si les barbares forçaient l'isthme, comme on pouvait débarquer, en sortant du Pirée, sur la plage labourée par le torrent du massacre, on cernerait facilement le poste qu'ils laisseraient au grand défilé, en occupant les flancs boisés des monts OEniens, d'où on les bloquerait comme dans une place assiégée.

En les supposant entrés dans le Péloponèse, l'Acrocorinthe, le défilé du Trété, celui de Lerne, le Trochos ou Strata Khalil bey, joints aux précédents, formaient sept lignes élevées en arrière des Turcs. Portés à cent lieues de leur centre d'opérations, si on les supposait campés au pied du mont Ménale devant Tripolitza, l'armée de Dramali ne reverrait jamais la Thessalie. Ce sont trente mille hommes qu'on nous offre en sacrifice, dit Odyssée; ils pourront troubler les loisirs de Nos Seigneurs les ministres de Corinthe; mais, à coup sûr, leur présence rendra l'énergie à nos frères du Péloponèse. C'est à eux à s'en arranger. S'ils ne veulent pas se donner la peine de les tuer, qu'ils laissent ce soin aux fièvres et à la famine. Dans deux mois ils seront anéantis.

Panorias, quittant sa chlamyde en poil de chèvre, se leva et embrassa deux fois la poitrine d'Odyssée, qui bondit, en faisant briller ses armes étincelantes d'or et de pierres précieuses; car, jeune et bouillant, il aimait autant la parure au milieu des camps, qu'il ambitionnait le poste du danger dans un jour de combat. Oui, dit le vieux chevrier du Parnasse, les fièvres, la famine et le sultan, voilà nos fidèles auxiliaires. Puis il ajouta qu'il s'offrait pour former l'avant-garde de l'armée turque; et comme chacun le regardait, il s'écria : j'ai un quatrième auxiliaire à vous offrir, le feu destructeur.

Expliquant ensuite sa pensée, il démontra la nécessité d'incendier les villages situés sur la route que les barbares devaient tenir, de brûler les meules

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