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leurs gérontes, lorsqu'ils partirent accompagnés de leurs femmes, chargées de munitions, et accoutumées à les assister au fort de la mêlée, en préparant leurs armes; car quelques-uns d'entre eux avaient plusieurs fusils de rechange. Arrivés dans leurs embuscades, ils s'occupèrent à les fortifier, sans cesser de s'exercer à la course, à la danse, à la lutte et au jeu du disque.

Les palicares de Natché Photomaras sortaient d'un de ces exercices, lorsqu'un cri de joie, parti des monts Zagoûras ou Tymphéens (1) se fit entendre. L'avant-garde des Schypetars Toxides, conduite par Omer Brionès, s'avançait pour les combattre. Ils entonnent le chant de guerre, Allons, enfants des Grecs! qu'ils venaient à peine de finir quand les Turcs, débouchant du défilé de Variadès, le 28 au matin, engagèrent la fusillade, plutôt dans l'intention de tâter le terrain que pour entreprendre une affaire sérieuse, ainsi qu'on en put juger par l'inaction de leurs bandes nombreuses, qui se montraient dans le lointain sans prendre part au combat. Ce fut le jugement qu'en portèrent les capitaines souliotes, qui furent prévenus pendant la nuit que le serasker Omer pacha avait résolu de les faire harceler le lendemain sur plusieurs points à la fois, afin de diviser leur attention, tandis qu'il formerait une attaque principale contre le centre des montagnes de la Selléide.

(1) Voy. tom. II, pag. 30, 42, 55 de mon Voyage dans la Grèce.

Sans ajouter une foi entière à cet avis, qui pouvait être un stratagème pour leur faire abandonner leurs positions, les capitaines souliotes, certains d'être à la veille d'une suite d'affaires importantes, s'empressèrent, au moyen de feux allumés sur les montagnes, de donner avis de l'approche des Turcs, à leurs divers cantonnements. Ils prévinrent en même temps le taxiarque Cyriaque, qui commandait le bataillon des Maniates retranchés à Phanari, près du port Glychys, d'être sur ses gardes, parce qu'ils avaient découvert que les Chamides de Margariti devaient se porter de son côté, dès que les hostilités auraient éclaté dans la Thesprotie.

L'instinct frappe au but, parce qu'il est une inspiration naturelle; ainsi les Souliotes, en jugeant les manoeuvres des Turcs, qui n'exécutaient qu'un plan communiqué à Khourchid pacha par des chrétiens indignes de ce nom (1), avaient deviné les desseins de leurs ennemis. Le 29 mai, les Grecs attaqués à Goûras, à Séritchani, à Zavroucos et Liviskitas, par les Turcs qui marchaient précédés de trente pièces de canon et d'obusiers de montagne ornés du chiffre de Georgius Rex, furent partout vainqueurs (2).

Il serait difficile de faire connaître en détail les

(1) On áccusa les agents d'Angleterre et d'Autriche d'avoir dirigé et fourni le plan de cette attaque à Khourchid pacha.

(2) C'était l'artillerie donnée autrefois à Ali pacha par lord Castlereagh, que le capitaine Leacke débarqua à Prévésa. Il y avait aussi quelques forges de campagne et des caissons d'ambulance.

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faits d'armes qui signalèrent cette journée. L'action commença au point du jour à Liviskitas, entre les capitaines Tzavellas et Dracos, qu'Omer Briones attaqua avec cinq mille hommes; elle se soutenait depuis plus de six heures avec acharnement, quand Tzavellas étant parvenu à attaquer la colonne turque, en flanc, tandis que son collègue la battait de front, les Toxides prirent la fuite, en laissant quatre cent trente-huit morts, et plus de cinq cents blessés, sur le terrain.

Hago Bessiaris n'était pas alors plus heureux contre le polémarque Nothi Botzaris, qui le repoussa en lui faisant éprouver une perte de plus de trois cents soldats. Cependant Tahir Abas, accouru au secours de son compatriote avec une colonne de quatre mille hommes, parvint à rétablir le combat. Il était alors deux heures après midi; et le polémarque, ayant tiré un renfort de trois cents palicares du poste de Photomaras, fit charger les barbares avec une telle impétuosité, qu'il leur enleva douze drapeaux et deux pièces d'artillerie. Enfin, au coucher du soleil, les mahométans, battus sur tous les points, se retirèrent avec perte de treize cents hommes tués ou blessés, et de dix-huit étendards, que les femmes grecques présentes au combat portèrent en triomphe à Souli, où elles furent reçués aux acclamations des gérontes, et au bruit du canon de la forteresse de Sainte-Vénérande.

Malgré les brillants avantages de cette journée, qui n'avait coûté aux Souliotes qu'une trentaine d'hommes tués ou blessés, ils comprirent que, l'en

nemi n'ayant engagé contre eux que six à sept mille soldats, il leur restait des dangers presque incalculables à surmonter. Les feux des bivouacs de l'armée ottomane couvraient les montagnes, les vallons, les gorges et le bord des précipices. Au milieu des ombres de la nuit on entendait tour-à-tour les vociférations des Turcs qui répondaient aux psalmodies des derviches, en invoquant Allah et Mahomet, et les hennissements de leurs coursiers, impatients d'ouïr le signal des batailles.

› Les échos rendaient ces bruits plus formidables, et les Grecs, s'imaginant que le nombre des infidèles, déja considérable, s'était encore augmenté depuis le jour précédent, ne purent, quoique intrépides, se défendre de cette terreur que les plus braves éprouvent parfois au moment d'un combat. Leurs, mains, vacillantes soutenaient à peine leurs fusils; leurs esprits étaient tristes; des soupirs s'échappaient de leurs poitrines brûlantes, lorsque, reportant leur pensée vers le Dieu des forts, les guerriers de Sainte-Vénérande se mirent en prières. Élevant leurs mains suppliantes vers le ciel, ils demandaient, prosternés devant le signe auguste de la régénération du genre humain, au Dieu mort et ressuscité, de leur accorder le courage nécessaire pour vaincre ou mourir avec gloire. Nulle idée ambitieuse ne se mêlait à leurs demandes; vivre ou mourir pour la Croix, c'étaient là tous leurs, voeux! Les brises qui agitaient le feuillage des bosquets de la Thesprotie ayant fait croire aux Souliotes que leurs demandes étaient entendues de

l'Eternel, un rayon d'espérance vint ranimer leurs cœurs religieux, et les chefs les ayant engagés à prendre de la nourriture, ils s'assirent, divisés par pelotons, sur la pelouse.

Les amazones de la Selleïde venaient de leur ap-. porter des provisions, des outres remplies de vin, et des munitions de guerre, qu'elles leur répartirent avec cette sollicitude enchanteresse qui encourage l'homme condamné au travail à supporter le poids de la vie. Chacune d'elles ayant ensuite baisé respectueusement la main d'un époux ou d'un frère, elles reprirent le chemin des montagnes, en emportant les blessés sur leurs épaules dans les escarpements de Kiapha. Ainsi l'avait prescrit le polémarque Nothi Botzaris, qui ordonna ensuite que les femmes se retirassent dans les aspérités des montagnes.

Cependant une colonne de cinq mille Toxides mahométans, commandés par Tahir, profitant des ténèbres, s'avançait en silence du côté de Goûras, où ils parurent le 30 mai, aux premières clartés du jour. Leur chef, qui connaissait les localités, ayant calculé qu'en enfonçant le centre des posi tions, défendu par Nothi Botzaris, il pourrait péné→ trer dans l'intérieur de la Selleïde, s'était dirigé de ce côté, résolu à tout sacrifier pour exécuter son projet. Il ambitionnait le prix d'une victoire, qui aurait été d'autant plus signalée que Omer Briones n'avait pu parvenir à entamer les chrétiens dans les deux journées précédentes. Rappelant à ses Toxides, avec des accents mâles, les combats

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