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venait de se punir de sa propre lâcheté en se donnant la mort.

Dramali était dans le ravissement quand ses coureurs, qui avaient reconnu le défilé d'Aspro-Chôma au point d'intersection avec la voie rurale d'AngeloCastron, bourgade située dans l'Épidaurie, ainsi que les gorges de Cléones, voisines du khan de Courtessa (1), jusqu'à l'entrée du Trété, lui ayant rapporté qu'il ne se trouvait aucun ennemi en vue, il ordonna à l'armée turque de quitter Corinthe le 17 juillet, et le 18 au matin elle entrait dans l'Argolide.

Guidés jusque-là par une fortune aveugle, les mahométans, qui avaient trouvé un trésor à Corinthe, persuadés que le destin se déclarait en leur faveur, fondaient leurs espérances sur les magasins de vivres que les Grecs avaient formés à Argos. Une estafette, expédiée à leur généralissime par Jousouf pacha avant son départ de Corinthe, l'informait d'ailleurs, que la flotte de Sa Hautese attendue à Patras, n'y toucherait que pour prendre le serasker Méhémet, nommé capitan pacha, et qu'elle ferait aussitôt voile pour Nauplie, qu'elle était chargée de ravitailler.

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Ne voyant plus devant lui que la nécessité de débloquer cette place par terre, Dramali renouvelait sa garnison, et marchait vers Tripolitza afin d'y célébrer les funérailles de l'indépendance et

(1) Courtessa. Voyez t. IV, p. 142 et 147 de mon Voyage dans la Grèce.

de la régénération de la Grèce. Quelle moisson de têtes, d'esclaves et d'or les chefs et les soldats avaient en perspective! leur enthousiasme était au comble. Déja ils saluaient par des acclamations prolongées le pavillon ottoman, qui flottait sur la palamide de Nauplie. Huit cents artilleurs, flanqués par dix-sept mille hommes de cavalerie, faisaient gémir les échos de l'Argolide du tonnerre de soixante pièces de canon, quand le serasker, établi sur les hauteurs de Mycènes, aperçut l'incendie qui dévorait les magasins d'Argos.

Les Grecs, informés depuis deux jours de l'approche des barbares, qu'ils croyaient devoir être arrêtés au passage de l'isthme et devant l'Acrocorinthe, apprenant le véritable état des choses, venaient d'adopter de grandes mesures de salut public. Elles annonçaient une résistance opiniâtre, et ce qu'Odyssée avait prévu pouvait encore se réaliser, si la persévérance soutenait les résolutions des magistrats et des chefs militaires de la Morée.

Le sort de la patrie dépendait de l'attitude qu'ils allaient tenir, et elle fut digne du danger dont on était menacé. Athanase Kanacaris, au premier signal d'alarme, avait écrit au stratarque Colocotroni, qui assiégeait Patras, de se porter à marches forcées vers l'Argolide, et le courrier chargé de cette dépêche le rencontra à Calavryta. Il avait été prévenu par Odyssée de l'invasion imminente des barbares, et il s'occupait à réunir les levées en masse des montagnards, qui venaient de toutes parts se ranger sous l'étendard de la Croix. Jamais

pareil enthousiasme n'avait animé les Grecs, depuis la mémorable journée de Platée, à laquelle concoururent presque toutes les populations de la Hellade. Les soldats de l'Achaïe, ceux du mont Cyllène, les Calavrytiotes, les Phénéates, les Stymphaliens s'étaient réunis au premier cri du danger. Tous demandaient à combattre l'ennemi, et la certitude de la victoire s'annonçait dans l'ardeur des chrétiens, qui ne s'informaient que du lieu où se trouvaient les barbares.

Il n'en était pas de même à Argos (1), où l'on venait de décider de transporter le quartier-général à Lerne, village situé à deux lieues de cette ville sur le chemin de Tripolitza. Quoiqu'on n'eût pas plus de deux mille hommes disponibles, en y comprenant ceux qui étaient employés au blocus de Nauplie, on garnit les positions susceptibles d'être défendues. On évacua ensuite la ville, en faisant passer à Hydra par le moyen des vaisseaux qui devaient embarquer la garnison turque de Nauplie, les familles et les bouches inutiles; chacun sauvant

(1) Dès que Mavromichalis y fut arrivé à la tête de deux mille hommes, les Maniates, qui étaient ses soldats, demandérent la part des dépouilles de Nauplie, que les Turcs occupaient, trente piastres de paye par mois, et dix mois de solde arriérée qu'on leur devait. Ils voulaient prendre D. Hypsilantis à partie pour cette dette, quand Thanos Kanacaris les fit consentir à un salaire de vingt-cinq piastres payable en deux termes, moitié au commencement, et le surplus à la fin de chaque mois. Alors un nommé A. Loucopoulos fournit de sa bourse mille mahmoudiés (environ vingt-quatre mille francs), qu'on donna à compte aux avides et rapaces Lacons.

ce qu'il pouvait emporter, tandis que les ÉleuthéroLacons, fidèles à leur instinct, volaient tout ce qu'ils attrapaient. En vain leur chef Pierre Mavromichalis essayait de les contenir, les Maniates pillèrent en grande partie les Argiens, et ils ne revinrent sous leurs drapeaux qu'après avoir déposé dans les montagnes le fruit de leurs larcins que les dames lacédémoniennes, informées des bonnes œuvres de leurs époux, transportèrent dans la vallée de l'Eurotas.

Après avoir pourvu à la sûreté des non combattants, le vice-président du pouvoir exécutif, Athanase Kanacaris, s'embarqua sur une goëlette hydriote avec ses collègues Orlandos, Boudouris, membre du corps législatif, Bulgari, ministre de la marine, et le comte Métaxas de Céphalonie, ministre de la police. Négris, ministre des affaires étrangères, Coletti, ministre de la guerre, Caracazzaki, Monarchidès, Vlasi et Constantas, députés au corps législatif, passèrent sur un autre bâtiment, confiant ainsi à la mer les débris d'un gouvernement expirant, car le ministre des finances, Notaras, vieillard estimable, s'était, depuis quelque temps, retiré à Tricala, bourgade du mont Cyllène, pour y rétablir sa santé. Mais cette, retraite des autorités civiles, loin d'être une défection, tendait à servir plus efficacement l'état qu'en délibérant au moment du danger, et en exhalant l'autorité qui leur était confiée dans de vaines proclamations. Il fallait agir, et lorsque l'Argien Baroukas, qui sauva les archives du gouvernement,

eut apporté à bord le grand-livre des finances, l'argenterie et ce qui appartenait au trésor public, chacun se trouva utilisé de manière à prendre une part active à la défense publique. Mais, avant de développer ces dispositions, il convient de faire connaître le terrein sur lequel allait se décider la lutte des Grecs contre leurs oppresseurs.

(1) Le vallon d'Argos, percé au nord par le défilé du Trété, qui serpente entre les montagnes sourcilleuses dont il est enveloppé, a trois lieues et demie environ d'étendue jusqu'à la mer, sur un diamètre d'une lieue à une lieue et demie à son ouverture vers le golfe Argolique. A main gauche en sortant du Trété ou Rito, on monte à Mycènes, ville pélasgique, au-dessous de laquelle s'élève sur le renflement de ses coteaux le village de Carvathi. De ce point, où Dramali avait placé son quartier dans le khan voisin de la plaine, on compte deux lieues dans la direction S. O. à Argos, et trois et demie N. S. jusqu'à Nauplie. A l'extrémité de ces deux lignes, qui coupent une vallée, sillonnée par quelques torrents, s'ouvrent deux issues: l'une, vaste et dégagée de montagnes, conduit à Épidaure, en tournant à l'orient, quand on est à la hauteur du village d'Anasissa, qu'on croit avoir remplacé la bourgade de Midée. Arrivé par le travers de ce

(1) Voyez, pour la topographie détaillée de la route de Corinthe à Argos et de l'Argolide, les ch. cxi et cxii de mon Voyage dans la Grèce, qu'il est nécessaire de consulter pour bien suivre les détails de cette campagne mémorable.

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