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enlever cette position, et de les bloquer, de loin, dans une place que la lâchété leur avait livrée. Détachant en conséquence deux mille hommes qui arrivaient de la Laconie et de la Messénie, il les fit embarquer sur les bâtiments de transport mouillés à Lerne, dont le navarque J. Tombazis prit le commandement. Ce chef, appareillant aussitôt avec cette célérité qui est propre aux Grecs, profita si heureusement des vents, qu'il avait occupé le port de Cenchrée (1) avant qu'on eût avis de son départ, et que les Grecs de la Mégaride, conduits par l'archimandrite Grégoire Dikaios resté au milieu d'eux, informés de ce mouvement par un aviso (2) qu'on leur expédia, se fussent emparés des défilés de l'isthme. Ainsi, les neuf mille hommes restés à Corinthe (car il n'y en avait plus que ce nombre depuis que Dramali, afin de réparer ses pertes, en avait appelé trois mille auprès de lui) se trouvèrent isolés, excepté du côté du golfe de Lépante (3).

Un courrier expédié à Nicétas le Turcopélékas, qui arriva dans quelques heures de temps de Cenchrée aux avant-postes grecs établis au Khan de Courtessa, dans le défilé de Cléones, l'ayant in

(1) Cenchrée. Voyez t. IV, p. 58, 59, 140, 142 de mon Voyage dans la Grèce.

(2) Espèce particulière de bâtiment, connue dans la marine. (3) Ce fut alors que D. Hypsilantis qui s'était éloigné de Tripolitza quelques jours avant la prise, demanda un décret de nomination, en vertu duquel il était chargé de la défense des défilés de l'isthme et de ceux de Cléones.

struit du succès de l'expédition de Tombazis, on ne songea plus qu'à resserrer l'armée de Dramali. Les insurgés, armés de fusils, et assez abondamment pourvus de munitions de guerre, depuis qu'on avait formé une manufacture de poudre aux environs de Tripolitza, eurent ordre de rapprocher leurs postes, de manière à s'appuyer mutuellement. Les Turcs de Corinthe, quoique bloqués à grande distance, ne pouvaient plus s'éloigner de l'acropole; Dramali était dans l'impossibilité de communiquer avec eux; et, cernés isolément, leur perte devint inévitable.

Les barbares étaient dans cette fausse situation quand ils furent attaqués, le 16 août au matin, par Pierre Mavromichalis ; et le spartiate Krévata, avec ses Lacons, s'étant glissé au milieu des ruines d'Argos, parvint à leur enlever cinq pièces de canon de campagne. Dans le même temps D. Hypsilantis, qui avait fait un long circuit pour dérober la connaissance de sa marche aux ennemis, reparaissait dans la citadelle Larissa, où depuis plus de trente siècles on n'avait peut-être pas mis garnison. Après ce qui venait de se passer, les Grecs se retirèrent dans leurs positions, résolus de ne pas engager d'affaire générale contre un ennemi qu'ils pouvaient anéantir en détail avec de la persévérance et du temps.

Dramali semblait se prêter à cette mesure. Irrité de voir D. Hypsilantis maître de la citadelle Larissa, il voulut à tout prix l'en chasser, et il quitta en conséquence son quartier-général de Tirynthe

pour venir camper à Argos. Il fit en même temps transporter de Nauplie des mortiers et des canons de siége, avec lesquels il commença une attaque illusoire; car comment pointer sous un angle pareil à la hauteur à laquelle on voulait atteindre, qui était telle, que. les bombes même n'y pouvaient parvenir? Cependant la montagne était investie afin de protéger ce prétendu siége; et pour fournir des vivres à D. Hypsilantis, qui s'était enfermé dans cette acropole aérienne avec trois cents hommes, comme il fallait sans cesse perdre du monde pour le ravitailler, on s'aperçut qu'il avait fait, en l'occupant, une bravade plutôt qu'une action réfléchie. Cependant, comme on venait d'y introduire des vivres pour quelques jours, on résolut de les lui laisser épuiser avant d'aviser au parti ultérieur qu'on prendrait.

L'ordre de Colocotroni portait de harceler les Turcs; et tandis que Dramali brûlait inutilement de la poudre devant l'acropole des Pélasges Argiens, qui n'avait pour porte que quelques fagots d'épine, Nicolas Nicétas, frère du Turcopélékas, descendu du mont Arachné, reprit ses lignes de blocus devant Nauplie. Les combats commencèrent immédiatement sur toute l'étendue du terrain occupé par Turcs, obligés de faire face à une multitude d'ennemis, qui les attaquaient avec impétuosité, ou qui les attiraient dans des embuscades.

les

Les vignobles étaient pour les mahométans autant de piéges où, surpris chaque jour, ils payaient de leur vie le besoin qu'ils éprouvaient de se désa!

térer en mangeant des raisins, qu'on finit par leur laisser cueillir en paix, dès qu'on fut informé qu'ils répandaient la dyssenterie dans leur armée. Réduits à manger leurs chevaux, ils n'eurent bientôt plus, avec la chair de ces animaux, que la ressource funeste des vignobles. Les chevaux eux-mêmes périssaient en détail; car lorsque leurs cavaliers voulaient aller fourrager dans les rizières, seule verdure existante dans l'Argolide, ils étaient fusillés par les tirailleurs qu'on y avait embusqués.

Inquiétés de toutes parts, aussi long-temps que la chaleur du jour embrasait les vallons, la nuit n'était pour les Turcs qu'une longue souffrance. Assaillis par des myriades de moucherons, ils ne pouvaient fermer la paupière, et, au moment où ils éprouvaient le besoin le plus pressant du sommeil, des attaques partielles les réveillaient en sursaut. Il fallait se porter au secours des avant-postes; et la forteresse de Bourdzi à laquelle on avait prescrit de tirer sept coups de canon d'heure en heure, à des intervalles inégaux, tenait les assiégés et le camp tout entier dans des frayeurs telles, que l'armée aurait succombé sans coup férir, si les Hellènes, trop empressés de se venger, en reprenant l'offensive, n'eussent voulu en venir aux mains avec les Turcs, le 18 août.

Constamment victorieux, ils se hasardèrent à les attaquer en rase campagne, et ce fut dans une de ces affaires qu'entourés par les ennemis, on vit des Grecs sauter en croupe derrière des cavaliers turcs et les poignarder; d'autres, saisissant leurs

chevaux par la bride, les démonter à coups de pistolet, tandis qu'un plus grand nombre saisissant leurs adversaires par les jambes, les renversaient et leur tranchaient la tête. Mais celui qui fit trembler l'armée entière des infidèles était un Arcadien d'une taille gigantesque, armé d'une faux avec laquelle il taillait en piéces autant d'Osmanlis qu'il en pouvait atteindre. La mort semblait être à ses ordres, et il ne tomba, sous les coups de fusil des Schypetars, qu'au moment où le soleil, en mettant fin à une journée sanglante, disparut derrière le mont Artémisius.

On évacua, pendant cette nuit, la citadelle Larissa, dans l'idée que les Turcs ne manqueraient pas de s'en emparer, et que la garnison qu'ils y mettraient, en les affaiblissant, serait sous peu de jours au pouvoir des Grecs, qui ne pouvaient plus manquer de reconquérir l'Argolide. D. Hypsilantis. partit en même temps pour prendre le commandement des troupes qui occupaient les défilés de la Corinthie, et il perdit encore une fois le prix d'une victoire qu'il avait en quelque sorte préparée.

Voyant que Nicétas le Turcopélékas occupait les défilés de Cléones, et que l'archimandrite Grégoire Dikaios défendait ceux de l'Isthme, il adresse des lettres à toutes les chefs des villages pour les appeler sous ses drapeaux. Il s'embarque à Cenchrée, se rend à Salamine, écrit à Athènes, fait des promotions, réunit deux mille hommes, cherche à se faire nommer chef de l'Aréopage. Il s'agite avec

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