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casion que l'armée lui décerna le surnom de Turcophage. Il avait soutenu avec tant d'activité le poids du combat, que sa main gonflée ne pouvait plus se dégager de la dragonne de son sabre. Il en voya à Kanacaris la tête du pacha traversée d'une large balafre, que celui-ci reçut et fit aussitôt jeter à la mer.

Pendant ce temps, Colocotroni, qui avait pris le commandement du défilé de Cléones, après avoir détaché D. Hypsilantis du côté de Némée, avait battu Dramali. Ce serasker, l'avant-veille si mena→ çant encore, n'était parvenu à lui échapper qu'en perdant un quart de son monde; il était arrivé à Corinthe meurtri, ses vêtements en lambeaux et sans turban. Les Grecs, dans cette seconde affaire, firent prisonnier un nommé Ali pacha, et deux cents Ottomans. On en forma un convoi, composé en outre de huit cents chevaux de race arabe, de trentesix chameaux et de douze cents mulets qu'on chargea d'armes et de bagages, qui furent dirigés vers Tripolitza, où l'orgueilleux serasker s'était flatté d'arborer les queues, emblème de sa puissance, qui s'évanouit comme un fantôme.

Sur ces entrefaites, les Turcs abandonnés dans la citadelle Larissa, qu'on avait cessé de surveiller, ainsi que plusieurs postes isolés qui n'avaient pas été prévenus de la retraite de leur serasker, s'étant repliés en bon ordre, suivaient le rivage de la mer pour se rendre à Nauplie. Ignorant l'étendue des désastres de leur armée, ils tombèrent sur une avant-garde grecque qui s'était postée sur leur che

min pour les assaillir. Elle avait quitté une embuscade avantageusement située au bord de la mer, sous la protection d'un bateau armé, qui se trouvait à l'extrême droite de la ligne d'opération des Hellènes. Surprise isolément, elle avait déja perdu une trentaine de ses meilleurs soldats, quand le bateau vint la dégager, en tirant à boulet sur les Turcs. Elle put ainsi se rapprocher de la côte; mais quelques secours que lui donnassent les Hydriotes, il fallut sacrifier les blessés, qui furent en grande partie noyés, et les Turcs entrèrent triomphants, avec des têtes, à Nauplie.

Ce succès ayant rendu le courage aux Osmanlis, qui se trouvaient réunis au nombre de cinq à six mille devant Nauplie, ils résolurent de tenter de nouveau la fortune, pour se retirer vers Corinthe. Ils eurent le sort de leur serasker: neuf cents d'entre eux restèrent dans le défilé; et de quinze cents qui le passèrent, il en arriva à peine douze cents auprès de Dramali à cause des pertes que leur firent éprouver Nicétas, Colocotroni et le brave Anagnoste Pétimessas, qui gardaient les défilés supérieurs. On prit encore dans cette occasion huit cents chevaux et une quantité considérable d'armes, que les barbares jetaient pour s'enfuir avec plus de vitesse. Le 24 et les jours suivants, les Turcs firent plusieurs autres manœuvres pour sortir de l'Argolide, mais elles furent inutiles; et ils durent se concentrer autour de Nauplie, où Pierre Mavromichalis établit son quartier-général, et les bloqua.

La capitulation éventuelle conclue avec les Turcs

Naupliens se trouvant ainsi rompue, les assiégés ayant reçu de Dramali quelques provisions de bouche et des munitions de guerre, l'époque de la reddition de la place devenait incertaine, lorsqu'on vit entrer dans le golfe Argolique deux frégates, qui mouillèrent à l'entrée de la petite rade, non loin de la forteresse que les Hellènes occupaient. Le vice-président et plusieurs membres du gouvernement, qui tenaient la mer, vinrent leur présenter leurs hommages en les priant de ne pas communiquer avec les Turcs, chose plus que conforme aux lois maritimes, car Nauplie était en état de blocus effectif. Le commodore anglais y consentit; invita les magistrats des Grecs à monter sur son bord, où il les traita avec distinction, en leur témoignant le plaisir qu'il éprouvait à entendre le récit de leurs succès, qu'ils lui firent avec autant de simplicité que de modestie.

pas

Pourquoi, car la vérité nous force de le dire, ne furent-ils accueillis avec un égal intérêt par un capitaine de frégate française, homme justement estimable, mais trompé par ces agioteurs, qui osaient qualifier un trafic interlope de commerce national? Non content du refus de condescendre à une demande que le commodore anglais, non moins jaloux de l'honneur de son pavillon, avait accordée aux Grecs, le français exigea d'eux vingt-cinq mille piastres pour le bâtiment de ce contrebandier (1) que le

(1) Je sais qu'on a retiré depuis le pavillon français à ce misérable; mais la justice sera incomplète, aussi long-temps qu'on n'aura pas sévi contre ceux qui le commissionnèrent.

commandant de Monembasie avait arrêté, et cinq mille pour je ne sais quel autre dédommagement. Le sénat des Hellènes consentit à tout; et il fut convenu que les sommes réclamées seraient payées dans le délai de deux mois, c'est-à-dire vers la fin d'octobre suivant. Les bâtiments étrangers reprirent ensuite la mer.

Le 25 août, Colocotroni, Anagnoste Pétimessas, Krévata, Nicétas et André Zaïmis, informés que Dramali, qui n'avait pas trouvé plus de subsistances à Corinthe que dans l'Argolide, se préparait à sé débarrasser d'une partie de ses troupes, en les faisant filer vers Patras, où la flotte du capitan pacha était arrivée, sortirent des montagnes pour se porter à leur rencontre. Débouchant à l'improviste par la vallée de Némée, Zaïmis joignit les mahométans au versant oriental des montagnes de la Phlia sie, les battit et les mit dans une telle déroute, que de quatre mille hommes qu'ils étaient, il s'en sauva à peine deux mille, qui se réfugièrent sous le canon de l'Acro-Corinthe. Ce fut alors que les chrétiens purent se dire victorieux, quoique Colocotroni ne regardât pas la chose comme terminée, si on en juge par la lettre suivante qu'il écrivait sous la date du août, de Souli, village de la Corinthie, au révérend Dom Anthème, religieux de l'ordre des confesseurs. Il avait perdu quatre-vingts hommes ainsi que le brave Anagnoste Pétimessas et son cœur saignait de cette blessure quand il traça ces lignes :

« Si depuis long-temps je ne vous ai pas écrit,

«

« vous en connaissez la cause, et j'espère que vous l'approuverez. Trouvant maintenant une occasion << sûre pour m'acquitter de ce devoir, je vous dirai << que nos diplomates (il désignait par-là D. Hypsi<«< lantis, Négris et les Hétéristes) et leurs projets << ont causé les plus grands maux à notre patrie. « Mais j'espère, avec l'aide de Dieu, que nos Hel«<lènes, instruits par le malheur, ne seront plus « leurs dupes, et qu'ils surmonteront tous les ob<< stacles à l'avenir, comme ils viennent de le faire.

<<< Il y a à peine un mois que les ennemis, presque <«<< au nombre de trente mille, sont entrés dans le « Péloponèse. Nous en avons jusqu'à présent détruit «< six à sept mille; le reste se trouve humilié et « confiné à Corinthe et aux environs de cette place, dans un état de désespoir. Ils n'ont plus de cava« lerie, et leur perte est inévitable. Tel est le ré<«<sultat de la campagne jusqu'à ce jour; et avec << l'assistance divine, nous les anéantirons. En attendant, l'esprit public s'est beaucoup amélioré, et «< cela nous donne les meilleures espérances pour « l'avenir.

«

« Théodore COLOCOTRONI >>

La veille de la date de cette lettre, Pierre Mavromichalis battait les Turcs devant Nauplie, et les rejetait dans cette place, après leur avoir fait éprouver une perte considérable. Mais comme si la fortune avait voulu avertir les Grecs qu'elle vend ses faveurs, et qu'elles ne sont trop souvent que baignées de larmes, ils eurent à pleurer, dans ce jour de victoire, la mort du taxiarque Nicolas Nicétas, frère

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