Images de page
PDF
ePub

des négociateurs, mais sur le pied de parlementaires gardés à vue; et le consul d'Angleterre, qui avait sans doute des instructions, veillait à ce qu'ils n'apprissent que ce qu'il voulait qu'ils sussent.

Son secrétaire grec, de qui on tient ces détails, fut plusieurs fois tenté d'avertir les commissaires que cette flotte ottomane, tant vantée, portait à peine trois mille hommes de troupes de terre, et qu'un typhus destructeur moissonnait ses équipages. Il aurait pu leur dire encore que les vaisseaux turcs s'étant approchés de Crio-Néro, source située au pied du mont Chalcis, les paysans de Calydon étaient tombés sur leurs chiourmes, qu'ils avaient exterminées; mais indépendamment de sa sûreté, qu'il aurait compromise, il craignait de faire perdre aux Souliotes une bonne occasion de traiter. Ceuxci n'étaient peut-être pas fâchés eux-mêmes de sortir avec honneur, d'une position telle qu'ils commençaient à manquer de vivres.

4

Le 9 août, les envoyés de Souli signèrent, avec les délégués d'Omer Briones, sous la garantie du gouvernement Anglo-ionien, une capitulation tendant à évacuer leurs montagnes. Elle portait qu'ils s'embarqueraient au port Glychys, ou sur tel autre point de la côte à leur convenance, pour être enbarqués sur des vaisseaux de S. M. B., transportés à Assos dans l'île de Céphalonie, avec leurs familles et tout ce qu'ils pourraient embarquer; qu'arrivés dans cet endroit, on leur fournirait des logements; et le cas échéant, comme ils n'étaient engagés par aucun serment, ils pourraient, quand bon leur

semblerait, prendre les armes, combattre à leurs risques et périls avec leurs frères de la Grèce, par terre ou par mer, contre leurs communs ennemis. Ce fut à ces conditions que les Souliotes consentirent à abandonner leur triste patrie pour la seconde fois; et l'appui qu'ils trouvaient dans les Anglais donna lieu à divers bruits qu'il n'est pas indifférent de rapporter.

Pendant la durée des négociations entre les Souliotes et Omer Briones, on avait remarqué qu'après l'arrivée du général Frédéric Adams, à Zante, celui-ci avait aussitôt expédié dans le golfe de Lépante un Anglais nommé Bancks, qui revint trop précipitamment pour permettre de croire qu'il y était allé pour prendre connaissance des évènements de l'Argolide. Les soupçons que son excursion mystérieuse avait éveillés se fortifièrent, lorsqu'on vit presque aussitôt arriver à Zante un évêque grec, sous prétexte de prier les agents anglais d'intervenir afin de réclamer de Jousouf pacha l'argenterie d'un monastère pillé par ses soldats. On prétendait conclure de ce qu'il ne s'était abouché qu'avec un protopapas dévoué à la police britannique, qu'il avait proposé, au nom de ceux qui trahissaient la patrie, de mettre la Morée sous la protection de S. M. B.

La chose parut évidente aux yeux du vulgaire quelques jours après, à l'apparition de Zaphiropoulos et de Timolas Ponéropoulos, membres du sénat des Hellènes, qui s'étaient sauvés avec une bande d'orateurs de l'Hétérie, lorsque les Turcs enva

hissaient l'Argolide. Le protopapas les avait visités dès leur arrivée au lazaret; et comme on les savait en correspondance avec le docteur Stéphano, qui avait négocié l'affaire du harem de Khourchid concurremment avec le consul Gréen, ces rapprochements, qu'on communiqua aux Grecs réunis à Astros, les décidèrent à investir Colocotroni d'une espèce de pouvoir dictatorial.

Cette mesure, bonne en soi, péchait cependant par les raisons qui l'avaient motivée. En y réfléchissant, on aurait été facilement convaincu que les Anglais ne pouvaient ni ne devaient prétendre à aucune espèce de protectorat sur les Grecs. En effet, une pareille détermination était contraire à la marche politique qu'ils avaient suivie, et ils auraient donné gain de cause aux ministres qu'ils avaient fait éloigner des conseils de l'empereur orthodoxe. A la moindre manifestation d'une intention de cette nature, ils déterminaient inévitablement, de la part de la Russie, une résolution qu'ils voulaient conjurer. De l'inauguration du pavillon britannique sur une des îles de l'Archipel, ou dans quelque port du continent, dépendait la prise de Constantinople par les Moscovites; et on savait de reste que le cabinet de Saint-James a rarement fait des démarches qui aient tourné à l'agrandissement d'une puissance rivale. Il avait pu avoir l'idée de l'émancipation d'Ali pacha, pour opposer un contre-poids politique à la suzeraineté que la Russie exerçait sur les provinces ultra-danubiennes. Il pouvait, plus tard, souhaiter que la Grèce changeât ses fers contre des

entraves qu'on lui donnerait, en la faisant exploiter régulièrement, sous la suzeraineté de la GrandeBretagne, par des princes Phanariotes, dont les familles, restant en otage à Constantinople comme celles des hospodars, répondraient au sultan de la misère et du servage des Hellènes (1). C'était le pisaller de la philanthropique bienveillance du minis

(1) Cette idée de diviser la Grèce en principautés est, à proprement parler, le grand œuvre des Phanariotes, qui furent de tout temps les instruments de la politique russe. Voici une partie des conseils perfides qu'ils transmettaient de père en fils et d'âge en âge à leurs enfants.

« Si vous parvenez au drogmanat et ensuite à l'hospodariat, « n'oubliez pas que le clergé grec vous déteste, et que vous de« vez sans cesse le tenir en respect, en persécutant celui de ses << membres qui voudrait s'affranchir du système phanariote. « Tant qu'il vous sera soumis, vous gouvernerez facilement les « Grecs, parce qu'il les tiendra sous la domination du préjugé, «< dans l'obéissance de vos volontés, et c'est alors que vous « serez véritablement chefs de la nation grecque et que vous « aurez un parti chez elle. »

[ocr errors]

"

Rappelez-vous, mes enfants, que les Phanariotes ont toujours fait en secret des efforts pour détruire les pachalicks, « soit dans la Servie, soit dans la Morée, mème à Cypre, non << dans l'intention d'en rendre les peuples indépendants ou au<< tonomes, mais pour les placer sous leur autorité, comme ceux << des provinces de la Moldavie et de la Valachie. Rappelez→ "vous-en si l'occasion se présente, afin de pouvoir accomplir ce « vaste projet. Essai sur les Phanariotes, par M. P. Zallouy, p. 206, 207, Marseille, 1824.

>>

[ocr errors]

C'est le fonds de cette proposition qui a été remis depuis en avant par certains négociateurs, aussi étrangers à la connaissance de la pensée des Grecs qu'aux intérêts de leurs souverains, qui sont inséparables, de ceux de la justice et de l'humanité,

tère de lord Castlereagh, quand il saurait les Hellènes vainqueurs; mais des esprits effervescents ne pénétraient pas aussi loin dans l'avenir, et ils furent bientôt désabusés quand ils apprirent ce qui se tramait à Prévésa.

Les Souliotes, qui avaient obtenu un délai de six semaines pour sortir de leurs montagnes, ayant réuni leurs peuplades éparses, le dénombrement qu'on en fit donna trois cent vingt-deux hommes, la plupart habitants de Lacca, contrée située à l'orient de Souli, et environ neuf cents femmes ou enfants, les palicares capables de soutenir les fatigues de la guerre de partisans s'étant disséminés dans les montagnes, avant la signature de la capitulation. Réunis à Phapari, les restes des habitants de la Selleïde, empor tant les images des saints et leurs drapeaux couronnés de lauriers, descendirent le 15 septembre, avec armes et bagages, au port Glychys, où se trouvaient deux transports anglais, sur lesquels ils montèrent; et le 16 ils firent voile, sous l'escorte de deux bricks de guerre, qui les escortèrent jusqu'à Assos dans l'île de Céphalonie, où ils débarquèrent le 18 du même mois.

Satisfait d'avoir arraché la Selléide aux Grecs, le directeur des complots de la police britannique, Méyer, apprenant qu'il s'était élevé des mésintelligences entre Khourchid et ses lieutenants, s'empressa de proposer sa médiation pour les réconcilier. Il offrait de remplir cette bonne œuvre en se rendant à Larisse, lorsqu'on le fit prier de rester à Prévésa, afin d'organiser les projets qu'il avait conçus pour

« PrécédentContinuer »