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écraser les chrétiens et remettre la Grèce sous le sceptre de ses dévastateurs.

Le vieux serasker, content des trophées qu'il recueillit devant Janina, sans se douter du titre de Khan que l'observateur autrichien lui avait décerné, allait subir le sort d'Ali, qu'il avait envié; mais il n'était pas destiné à tomber avec une pareille célébrité. Informé, par hasard, des premiers succès de Dramali, car ses courriers étaient régulièrement interceptés, il ne manqua pas de les attribuer à sa haute prudence dans un pompeux rapport qu'il adressa à Constantinople, pour faire savoir que les dgiaours du pays de Moreh avaient été passés au fil de l'épée, et cette province reconquise par son vaillant cimeterre, remis aux mains de Dramali, le plus distingué entre les esclaves de Sa Hautésse. Au reçu de cette dépêche il y avait eu grande joie au sérail, et le divan s'était empressé de propager cette nouvelle, en expédiant des courriers dans toute l'étendue de l'empire, afin de faire savoir que l'insurrection du pays de Roum était éteinte dans le sang de ses fauteurs.

L'ambassadeur d'Angleterre, Strangford, qui avait reçu de pareils avis, s'était rendu au palais du sultan afin de complimenter ses ministres. Il croyait tirer avantage de ces évènements pour les amener à des sentiments pacifiques, mais ce fut en vain, et il quitta Constantinople le 8 septembre, pour se rendre par Varna et Vienne au congrès de Vérone; en donnant au divan l'assurance d'amener la Russie à un accommodement pacifique.

Il était cependant loin d'être porteur de paroles amicales de la part d'un gouvernement devenu plus que jamais ombrageux et hautain vis-à-vis des légations européennes. Dans ses dernières conférences avec le divan, le réis-effendi et le favori de Sa Hautesse, Khalet, avaient répondu aux propositions que le lord Strangford leur avait faites d'évacuer les provinces ultra-danubiennes; d'annoncer officiellement à la Russie la nomination des hospodars; de rétablir le commerce de la mer Noire; d'envoyer un plénipotentiaire à Vérone, afin de concerter avec les puissances chrétiennes les moyens de faire cesser l'effusion du sang: que S. H. ne ferait jamais aucunes avances vis-à-vis du Moscove. Loin de là, il persistait à lui imputer l'insurrection des Grecs et la guerre des Persans, déclarant que la Porte s'en référait au contenu de toutes ses notes. Elle exigeait, en conséquence, que la Russie lui restituat ses châteaux situés sur le Phase qu'elle gardait contre la teneur des traités, et qu'alors il serait libre à cette puissance de renouer les rapports diplomatiques avec le divan, en envoyant un plénipotentiaire à Constantinople; que d'ailleurs la Porte n'ayant aucune espèce de satisfaction à donner au cabinet de Pétersbourg, il n'y avait nul motif de pousser plus loin les négociations.

Jamais Tamerlan au faîte de sa puissance ne parla avec plus d'arrogance, et ce fut avec cette réponse que le lord Strangford partit pour Vérone. Il n'avait sans doute point oublié l'assassinat du patriarche Grégoire, le renversement des églises, l'insulte faite

au pavillon russe, que les Turcs avaient jeté dans un cloaque à Patras; le massacre de la population de Chios; mais il devait soutenir le funeste système de lord Castlereagh, dont il ignorait encore la fin tragique. Il comptait sur la longanimité de l'empereur orthodoxe; Capo d'Istria, le baron de Strogonoff étaient éloignés de ses conseils; l'Europe alarmée avait d'ailleurs besoin de calme; il pouvait user et abuser. Le cabinet de Vienne était si ouvertement prononcé contre la cause de la Croix (1), qu'il était présumable que ce qui pourrait arriver de plus propice aux Grecs dans les circonstances, présentes, était de les abandonner à eux-mêmes, en observant à leur égard une stricte neutralité.

L'internonce, M. Lutzoff, prit quelques jours après le chemin de Vérone; mais déja le divan, après avoir fait publier ses immenses victoires, commençait à concevoir quelques doutes sur leur authenticité. Un firman relatif à des règlements somptuaires, qui prescrivait aux particuliers de dégalonner leurs habits et de porter leur argenterie à la monnaie; le récit du massacre d'une caravane de sept mille pélerins destinée pour la Mecque,

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(1) Le prince de Metternich, dont la charité apostolique pour le bonheur du genre humain est si connue venait d'ordonner la publication d'un ouvrage de M. Smith, tendant à la réunion des églises grecque et latine. Il y avait ainsi confusion dans les idées, occasionée par la politique de la peur, qui prend ou feint de prendre des fantômes pour des réalités, sans réfléchir que le pouvoir arbitraire est l'intérêt viager et mal entendu de la royauté.

commis par les Vahabis, alarmait les janissaires, qui, ne voyant arriver ni têtes, ni dépouilles opimes du Péloponèse, commençaient à contester les succès de Dramali. Ce fut pis encore quand on entendit raconter à quelques patrons de barques venant de l'Archipel, que les insurgés, qu'on disait anéantis sur terre et sur mer, avaient paru dans les derniers jours du mois d'août près de Clazomènes, où ils avaient débarqué, et enlevé les grains ainsi que les bestiaux de plusieurs tchiftliks turcs. Pour comble d'audace, ils avaient battu trois corsaires barbaresques que le pacha de Smyrne avait détachés à leur poursuite. Enfin on fut d'une colère extrême au sérail même, d'apprendre que plus de quatre cents familles mahométanes de Morée, se fiant au rapport des victoires publié par ordre du sultan, s'étant embarquées pour se rapatrier, avaient été rencontrées par les croiseurs de Psara, qui avaient coulé ou pris la totalité des bâtiments qu'ils montaient. On dépêcha aussitôt plusieurs capigisbachis à Larisse, afin d'ordonner à Khourchid de marcher en avant et de donner des renseignements positifs sur l'état de la Hellade.

Les premiers officiers de la Porte qui furent ainsi expédiés ab irato, étant arrivés au quartier du serasker le 15 août, le trouvèrent engagé dans une négociation qu'il avait entamée avec les insurgés redevenus maîtres du défilé des Thermopyles. Il avait député vers eux l'archevêque de Larisse et plusieurs prélats de la Magnésie, qui avaient ordre d'exhorter Odyssée à la soumission,

et de lui demander passage pour se rendre en Morée. Leur but était en même temps de travailler à ramener les chrétiens de la presqu'île sous le joug de l'obédience du sultan Mahmoud.

Le fils d'Andriscos Odyssée, Panorias et les autres chefs avaient accueilli les ministres du Seigneur en fléchissant le genou devant la sainteté de leur caractère; mais quand ils leur entendirent faire l'apologie des beautés du despotisme, de la magnanimité du sultan, et de la protection qu'il accordait aux autels du Christ, Odyssée tirant d'un sachet attaché sur sa poitrine un morceau de toile grossière qu'il présenta aux évêques, leur demanda s'ils connaissaient cette relique? - Ils répondirent qu'ils ne savaient ce que c'était.-Eh bien, cette relique sacrée qui fait la force de nos braves, repartit Odyssée, est un morceau du linceuil de notre patriarche martyr Grégoire. Voilà notre réponse à l'éloge que vous venez de faire de son assassin et des bourreaux qui l'ont égorgé...... Puis reprenant la parole avec douceur, il offrit aux prélats de rester sous ses drapeaux, et ceux-ci s'étant excusés d'y consentir, il les congédia en les priant de ne plus faire de démarches inutiles auprès de lui et de ses frères d'armes.

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Les choses en étaient à ce point, et Khourchid venait de faire traîner en prison l'archevêque ainsi que les prélats qui avaient échoué dans leur négociation, quand d'autres officiers de Sa Hautesse parurent pour le sommer d'entrer en campagne. Il s'y décida, et il venait de faire arborer les queues

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