Images de page
PDF
ePub

devant sa tente, pour annoncer que chacun eût à se tenir prêt à marcher dans le délai de trois jours, lorsqu'on apprit les désastres de Dramali dans l'Argolide. Il n'y eut plus dès lors qu'un cri dans l'armée: On veut nous mener à la boucherie! Qu'on laisse les raids(Grecs) tranquilles! Ils sont les instruments de la vengeance de Allah, qui les a suscités pour chátier sur nous la démence de Khalet effendi et du Fils de l'esclave (le Sultan) qu'il entraîne dans l'abime.

›› Les janissaires de Larisse qui vociféraient ainsi, ayant remporté les marmites de leurs ortas aux casernes, déclarèrent qu'ils ne partiraient pas. Le restant de l'armée suivit leur exemple, et deux jours après cette émeute, les capigis-bachis partirent pour annoncer à la Sublime Porte que son serasker Khourchid, n'ayant plus autour de lui que sa maison militaire, était dans l'impossibilité de prendre l'offensive, et qu'il ne pourrait peut-être pas passer l'hiver sur les bords du Pénée.

Les capigis-bachis s'acheminèrent avec ces fâcheux détails, mais sans savoir qu'au-delà de la triple chaîne de montagnes dont les croupes remplies d'insurgés les séparaient du Péloponese, Dramali, battu par André Zaïmis dans une dernière affaire qui eut lieu le 18 septembre sur les bords de la rivière de Némée, avait perdu la réserve de son armée dont les débris périssaient en détail par la faim et les maladies.

A peine avait-il rétrogradé sur Corinthe après ce dernier échec, qu'il s'était empressé d'écrire au

capitan-pacha de le débarrasser d'une partie de ses troupes, ainsi qu'à Jousouf pacha, gouverneur de Lépante, de lui envoyer des vivrés; ces deux chefs, au lieu de répondre à ses justes demandes, avaient défendu la navigation du golfe. S'appropriant ainsi le monopole des fournitures, Jousòuf tira des magasins de l'état du biscuit qu'il aurait dû fournir gratuitement à l'armée, pour le vendre aux soldats turcs, au prix exorbitant de cinq francs l'oque, du poids de quarante-quatre onces. Le capitan-pacha empêchant, de son côté, les spéculateurs des îles Ioniennes de rien porter directement au camp des Turcs sous Corinthe, s'arrangeait à bas prix de leurs cargaisons pour en trafiquer, et Dramali comprenant qu'il fallait savoir tirer parti de tout, s'étant entendu avec les agioteurs, on vit trois chefs, qui auraient dû secourir leurs soldats, les réduire à vendre leurs armes pour se procurer le pain néces saire à leur existence. On permit aux enfants d'Israël de venir acheter les fusils, les sabres et les pistolets des soldats du sultan, qui s'en défaisaient pour obtenir les moyens de prolonger leurs souffrances; car la vie qu'ils traînaient dans un pays en proie à la contagion n'était pour eux qu'une longue agonie.

Il faut avoir été témoin d'une pareille déprédation pour y ajouter foi; et ce qui ne paraîtra sans doute pas moins incroyable, sera d'apprendre que, tandis qu'on défendait aux étrangers de porter des subsistances aux mahométans, Jousouf pacha et l'amiral Méhémet laissaient le champ libre aux Io

niens pour trafiquer avec les insurgés qui occupaient les positions d'Acrata, de Xylo-Castron et de Sicyone. Il suffisait d'obtenir de Jousouf pacha un sauf-conduit et un capitaine de pavillon qu'on payait et dont on répondait, pour se rendre sur les points qu'on vient d'indiquer. Là on chargeait des raisins de Corinthe, que les Grecs échangeaient contre du biscuit, de la poudre, des balles, des armes, et Colocotroni reçut ainsi de nouveaux moyens qui le mirent à même de continuer sa campagne. A la vérité; il fallait payer au pacha soixante talaris (trois cent vingt-cinq francs) pour chaque millier de raisin sec qu'on exportait; mais les bénéfices étaient tels, que ce commerce inouï d'un général qui faisait périr les troupes de son prince, en favorisant les insurgés, ne finit que quand les Grecs n'eurent plus de denrées à vendre. Alors les Osmanlis, anéantis par la misère, furent contraints, après avoir mangé leurs chevaux, de se renfermer avec Dramali dans l'Acrocorinthe, où l'on songea à leur donner des approvisionnements de siége, quand ils furent réduits au nombre de trois mille hommes, dont on n'avait plus l'espérance de tirer d'argent.

Une considération aussi déterminante que de n'avoir plus de moyens de pressurer pour s'enrichir, et la peste qui s'était manifestée à bord de ses vaisseaux, ayant rappelé au capitan-pacha qu'il était temps de jeter quelques vivres dans la forteresse de Nauplie avant de rentrer à Constantinople, il partit de Patras le 8 septembre. Les vaisseaux

grecs étaient, disait-on, retenus dans leurs ports par la crainte que leur inspirait l'armée navale du sultan. On avait transporté la population de l'île de Spetzia à Hydra, en laissant à sa place des hommes préposés aux vigies pour signaler l'ennemi. L'amiral ottoman naviguait dans cette confiance, lorsque sa flotte, arrivée dans les parages orageux de Cythère, fut assaillie par une bourrasque qui l'obligea de filer vent arrière vers l'île de Crète, où elle prit port au mouillage de la Sude.

Les Hydriotes, qui connaissaient le projet des Turcs, renforcés par les divisions navales de Spetzia et de Psara, faisaient alors les dispositions nécessaires pour empêcher les barbares d'approcher de Nauplie, lorsqu'on vit paraître une frégate française. Partie de Smyrne le 3 septembre, elle entrait le 12 dans le golfe d'Argos, suivie d'une gabare et d'une goëlette, au moment où trente-cinq bricks grecs se trouvaient sous voiles, et trente autres ancrés à Spetzia prêts à appareiller. L'amiral des Hellènes ayant aussitôt envoyé le capitaine Sahini complimenter le commandant français et le prier de ne pas communiquer avec Nauplie, il en reçut un refus formel, ainsi que la déclaration qu'il venait toucher les trente mille piastres (environ vingtcinq mille francs), reconnues par une obligation qui n'était exigible qu'à la fin d'octobre. Ainsi se reproduisait cette honteuse affaire de l'interlope Listock. Les Grecs pouvaient réclamer l'exécution de leur contrat; mais le respect qu'ils portaient au roi très-chrétien, au nom duquel on exprimait cette

volonté, les détermina à payer sans discussion la somme exigée dans le délai de six jours.

Levice-président Kanacaris, Papadiamantopoulos, Cavakatzanys, s'étant rendus garants de son exécution, expédièrent à Tripolitza pour se procurer vingt mille piastres turques, tandis que le grammatiste Théodore Négris se rendit à Hydra afin de compléter le restant de l'indemnité exigée. C'était à cette humiliation que les Grecs se résignèrent; et l'être le plus insensible serait ému, si on mettait sous ses yeux la dureté des injonctions faites à des hommes d'honneur à côté de leurs réponses aussi justes que respectueuses, dans lesquelles on ne remarquerait que la crainte qu'ils avaient de se montrer ingrats envers un monarque dont le nom sera vénéré d'âge en âge par tous les chrétiens

orientaux.

Cet accord étant fait, la frégate, cinglant pour reprendre sa croisière au large, rencontra, le 18 après midi, au débouquement de la passe du sud qui mène à Hydra, l'escadre grecque commandée par André Miaoulis Vocos, se dirigeant à la rencontre de la flotte turque. La journée du 19 se passa en évolutions de la part de ces Hellènes, si long-temps dédaignés, qui ne craignaient pas de tenir la mer devant un ennemi capable de les écraser avec un seul de ses vaisseaux de hautbord; tant ils étaient persuadés que Dieu protégeait l'étendard de la Croix et combattait avec ses enfants. Le 20, la flotte turque parut; il semblait qu'elle devait foudroyer tout ce qui se pré

« PrécédentContinuer »