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livrés aux Souliotes par leurs pères et par euxmêmes depuis trente-cinq ans, Tahir déposant sa chlamyde s'écria, en leur montrant les rochers de Souli Les voilà ces mornes exécrables, teints du sang des mahométans, qui vous rappellent tant de veuves et d'orphelins que l'Albanie regrette. Couverte d'habits de deuil, la patrie vous demande

vengeance.

A ces mots les Schypetars, brisant le fourreau de leurs sabres, et mettant leurs fusils en bandoulière, demandent à monter à l'assaut. Les derviches, le Coran dans une main et le sabre dans l'autre, font retentir les airs de hurlements; et fondant à l'arme blanche, tous se précipitent contre les chrétiens. Ceux-ci, plus calmes, les reçoivent par une fusillade si bien dirigée qu'elle les contraint à reculer. Sans s'épouvanter, les Turcs se groupent de nouveau autour de Tahir, s'excitent, s'encouragent, se pressent; et quatre fois assaillants et repoussés, ils commençaient à se débander, suivant l'usage qui permet la retraite après quatre charges malheureuses, quand Omer Briones, informé de leur situation, accourut avec une division de cinq mille hommes pour les secourir. Il donne le temps aux Toxides de se rallier à l'abri du feu de sa colonne, qui, plus sagement conduite, engage une action régulière contre les Souliotes.

Le terrain, disputé, attaqué et défendu avec valeur, est pris et repris tour-à-tour par les deux partis, qui déployèrent une valeur étonnante pour conserver et pour s'emparer du moindre pan de ro

cher; lorsque le polémarque Nothi Botzaris s'aper çut que les Turcs étaient parvenus à le tourner, et débordaient sa gauche. Contraint de céder, il se retire en bon ordre jusqu'au pied du mont Voutzi; de là il porte une partie de sa division au hameau de Mourgas, à l'endroit où le sentier commence à s'incliner à l'occident, vers le village ouvert de Souli, et il établit son quartier à l'église de SaintNicolas, qui commande l'entrée du défilé,

Le combat cesse dans cet instant. La fatigue, le poids du jour, les armes devenues brûlantes, les besoins physiques des soldats, suspendent la fureur des Grecs et des Turcs.

Haletants, dévorés par une soif brûlante, les Souliotes, séparés des sources, voient les ennemis établir leurs bivouacs autour de ces fontaines, où ils ne peuvent plus étancher leur soif; et un morne silence règne dans leurs rangs. Pour comble de douleur, ils entendent les barbares chanter l'hymne qui commence par ces paroles du Coran : la victoire vient de Dieu. Ils gémissent, ils prient, ils conjurent le seul vrai Dieu, le Dieu vivant, de les assister et de les dérober à la fureur de l'Assyrien impie. Ils lui demandaient quelques gouttes d'eau, échappées des nuages qui versent la fertilité dans les campagnes de la Thesprotie, quand on signala des blancheurs qui voltigeaient sur le faîte des montagnes de Souli.

Tous les regards se portent vers le pic de Kounghi, qui s'environne de vapeurs aériennes. Les vents de mer cessent de souffler; l'air devenu étouf

fant fait couler des ruisseaux de sueur des membres harassés des soldats; les nuées se condensent, le tonnerre gronde, l'éclair déchire l'orage qui se résout en torrents de pluie. Un cri d'allégresse se fait entendre, l'armée chrétienne renaît à la vie! Les soldats présentant leurs fèz de pourpre, reçoivent l'eau que les torrents, toujours limpides, des coteaux de la Selleide, répandent bientôt en flots écumeux autour de leur camp.

A dix heures du soir le ciel avait repris sa sérénité; et les ministres du Seigneur, entonnant le Trisagion, faisaient redire aux échos de la Thesprotie le nom du Dieu trois fois saint qu'ils invoquaient. Les soldats, répondant à l'hymne sacré, fourbissaient leurs armes et séchaient leurs vêtements au feu des bivouacs, quand une compagnie de femmes de Ste-Vénérande se présentèrent aux avant-postes. Elles demandaient l'honneur d'être admises à combattre avec leurs frères; et le polé marque, s'étant rendu à leurs vœux, leur assigna le poste de Samoniva, vers lequel on devait battre en retraite dans le cas où l'on serait forcé de céder le terrain à l'ennemi. Elles se portèrent ainsi en dedans de la ligne qu'on avait juré de défendre jusqu'au dernier soupir. On leur confia en même temps le soin de remporter les blessés, qui étaient au nombre de dix-huit; et les chrétiens, s'étant partagé les veilles de la nuit, goûtèrent tour à tour un sommeil suffisant pour les rétablir des fatigues de la veille.

Quel sommeil! les Souliotes ne pouvaient plus

espérer de repos qu'au sein de la victoire, ou dans l'asyle des tombeaux. Khourchid pacha, qui avait fait serment de les anéantir, ayant envoyé de nombreux renforts à Omer Brionès, ses troupes, qui se montaient à onze mille combattants, se dirigèrent le 31 mai contre le village de Mourgas, défendu par deux mille trois cent soixante Hellènes.

Dès le point du jour, le chef des barbares donna le signal du combat, en faisant tirer à boulets dixhuit pièces de canon, qu'il était parvenu à mettre en batterie pendant la nuit. Sans s'étonner du fracas d'une artillerie mal dirigée, les Grecs attendirent, pour commencer l'action, que les Turcs abordassent leurs positions. Ceux-ci, enhardis par une attitude qu'ils prenaient pour un effet de la peur, s'avancent, et ne reconnaissent l'erreur de leur présomption qu'en voyant tomber trois cents de leurs meilleurs soldats, ainsi que les derviches qui les animaient par leurs cris.

pour

Le temps des miracles est passé depuis long-temps les mahométans; et Tahir Abas, qui ne croyait pas plus aux paroles du Coran que son ancien maître Ali pacha, laissant le soin à Omer Brionès d'attirer l'attention des Souliotes, parvint à les tourner. Prenant avec lui trois mille Toxides, il fit un circuit de plusieurs milles en se dirigeant par la crête des montagnes, jusqu'à Stretezza, dont il s'empara. Maître de ce défilé, il vint à bout, à force de bras, d'établir une pièce de canon sur une éminence qui plongeait l'acropole de Kiapha; et par

un mouvement rapide, il se précipita dans le village de Souli, dont il parvint à s'emparer.

Informés de cette manœuvre, qui allait les mettre entre deux feux, les Souliotes s'empressent d'évacuer Mourgas. Le moment était décisif; l'ennemi, qui venait d'apprendre l'avantage obtenu par Tahir, accourant par la voie la plus directe, descendait de toutes parts vers Souli. Les chrétiens y arrivent en même temps, et des cris épou

vantables ébranlent les airs.

On se bat pêle-mêle, à coups de fusil, le sabre à la main, et souvent corps à corps, aux crís répé

tés du Christ et de Mahomet. Les barbares sont repoussés. Quatre fois ils prennent et perdent Souli; les artilleurs, et la pièce de canon que Tahir avait placée au sommet des montagnes, sont précipités au fond des abîmes. A cette vue, les Turcs transportés de fureur retombent sur Souli. Ni les quartiers de roches que les femmes lancent du haut des escarpements, ni les troncs d'arbres qu'elles font rouler sur eux, ne suspendent plus leur impétuosité. Foulant aux pieds les cadavres de leurs camarades, ils préssent, ils poussent, ils chassent lès chrétiens, qui sont rejetés au-delà du torrent de Samoniva, limite qu'ils avaient juré de défendre jusqu'au dernier soupir.

Abordant franchement cette vaste anfractuosité, au fond de laquelle coulaient en bondissant les eaux écumeuses formées par l'orage de la nuit précédente, les Turcs, renforcés de huit cents hommes que conduisaient Elmas bey et Soultzio Ghéortcha,

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