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tesse, enrichit d'un trait de plume le trésor et les particuliers, qui ne tardèrent pas à payer les denrées un quart en sus du cours ordinaire auquel on les achetait avant cette opération fiscale.

Pendant que ces mesures d'anarchique administration s'exécutaient à Constantinople, les Hydriotes, qui avaient relâché le bâtiment autrichien violateur du blocus de Nauplie, en lui laissant jusqu'à sa cargaison, s'empressèrent de détacher dix-huit bricks, fins voiliers, à la poursuite de l'amiral. Ceux-ci, après l'avoir observé jusqu'au port de la Sude, cinglèrent aussitôt vers l'île de Samothrace, où l'on avait déposé, comme on l'a rapporté dans le cours de cette histoire, une partie des religieux du mont Athos, qui s'étaient soustraits au glaive d'Aboulouboud pacha de Salonique. La sollicitude des Hellenes pour les pères de la Sainte-Thébaïde et un objet plus religieux encore les attiraient vers cette île mystérieuse, qui fut de tout temps le sanctuaire des initiations, que nul mortel n'osait révéler. On y avait déposé la Croix donnée autrefois par l'empereur Constantin aux religieux de la Vierge des Blaquernes, qui la transportèrent dans la suite des temps au mont Athos.

L'amiral André Miaoulis Vôcos et ses matelots étaient trop religieux pour s'enorgueillir des succès maritimes qu'ils avaient obtenus. Ils ne pouvaient les attribuer qu'à la protection toute-puissante de la Providence, qui avait confondu l'orgueil des soldats de Mahomet, et comme la victoire vient de Dieu, on résolut de décerner les honneurs du

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triomphe à sa Croix en la transportant, escortée de l'escadre grecque, à travers les îles de la mer Égée, pour la déposer à Hydra. Un aviso fut aussitôt expédié pour annoncer cette résolution dans les Cyclades et à l'amirauté des Hydriotes, qui se préparèrent par des jeûnes et des lustrations à recevoir le Palladium immortel de la Grèce régénérée, mais non pas restaurée, car il lui restait encore des torrents de larmes et de sang à verser avant d'arriver à ce but désiré.

Jamais Délos n'attendit avec autant d'empressement les théories qui abordaient à ses plages avec des hécatombes parfaites; jamais Israël ne souhaita avec plus d'amour le retour des lévites chargés de rapporter l'arche d'alliance dans le temple de l'Éternel, que les chrétiens d'Hydra ne soupiraient après l'apparition du vaisseau chargé du signe auguste de notre rédemption. On devait le reconnaître à une flamme de pourpre arborée au grand mât du vaisseau amiral. Les vigies, l'œil à l'horizon, frémissaient d'impatience, et dès qu'elles signalèrent la nef sacrée, le tonnerre de l'artillerie des redoutes et le son des cloches ébranlèrent les échos de l'Argolide. On comptait les instants, et les sémaphores ayant annoncé l'approche de l'escadre, Cyrille, évêque d'Égine, accompagné du sénat, de l'amirauté, des dicastes, des éphores, d'un peuple nombreux et du labarum, qui précédait la pompe chrétienne, descendit au rivage entouré du clergé.

L'ancre venait de tomber, lorsqu'on vit un groupe de religieux de l'ordre de saint Basile, soutenus par

les matelots, descendre dans des gondoles couvertes de tapis, et former un cortége autour de la yole de l'amiral, sur laquelle un Hégoumène, tenant la Croix entre ses bras, voguait vers le môle....... Le peuple, les magistrats, une multitude de femmes se prosternent et s'inclinent à son approche le front dans la poussière, tandis que les prêtres font fumer l'encens. Le palladium sacré est-remis aux mains de Cyrille, et la litanie ou cortége reprend le chemin de l'église du Pantocrator, plus connu sous le nom de Monastère, en chantant le Trisagion.

Gloire au trois fois saint, disaient Cyrille et les ministres du Seigneur; Gloire au Dieu immortel, répondaient les vieillards: Étoile des mers, ó Marie! chantaient les femmes et les enfants, sois propice à nos nautonniers! Astre toujours brillant, qui précèdes et accompagnes le lever et le coucher du soleil, guide à jamais nos vaisseaux et leurs équipages à la victoire !

Que ce jour soit célébré dans les siècles des siècles, dit l'évêque Cyrille après avoir déposé la Croix dans le sanctuaire, et le peuple ayant répondu amen, on fit silence pour entendre de sa bouche l'oraison funèbre des martyrs de Chios, qui devait terminer

cette sainte cérémonie.

Essuyant ses yeux baignés de larmes, qu'il tint long-temps élevés au ciel, Cyrille prit pour texte de son discours ces paroles du Roi prophète : Ils ont, Seigneur, affligé ton peuple; ils ont opprimé ton héritage; ils ont mis à mort la veuve et l'étranger; ils ont tué les orphelins!

Embrassant son sujet de toute la hauteur des idées religieuses que ce moment solennel rappelait, le prélat, après avoir représenté à ses auditeurs les délices de Chios, son air enbaumé, ses élysées enchanteurs, la vie douce et prospère de ses habitants, qu'il compara aux illusions d'un songe; soulevant tout-à-coup le linceul jeté sur les quarante mille martyrs tombés sous le fer des barbares, s'écria d'un ton souverain: La voilà, mes frères, cette mort, ou plutot ce triomphe, qui, les arrachant à un monde périssable, a transporté nos frères dans une patrie à jamais exempte d'orages et de larmes! contemplez ces quarante mille enfants, hommes, femmes et filles. O mort! que tu es belle pour le chrétien! Salut, tombeaux vénérables! Mánes des martyrs, salut! Dômes du ciel, ouvrez vos parvis éblouissants; les vainqueurs s'avancent! Le fils de l'homme convie les martyrs couronnés à entrer dans la céleste Jérusalem; il les appelle: vevieillards des autels, colombes du Seigneur, vierges sans tache, enfants bénis de mon père, approchez; et vous, mon peuple chéri, entrez dans la lumière éternelle; vous avez mérité la palme du

nez,

combat.

Cyrille, arrivé à cette partie de son discours, ne pouvant plus maîtriser les sanglots de l'auditoire, s'arrêta lui-même pour verser un torrent de larmes!... Redevenu homme avec les hommes qui l'entouraient, il ramena leur attention sur la scène ensanglantée de la Grèce, pour les avertir de se préparer à de nouveaux dangers.

Le dieu qui nous a suscités dans la sagesse de ses impénétrables desseins va nous guider par la main contre les implacables ennemis de son nom. Il n'admet ni partage, ni transaction avec Moloch, ce dieu jaloux, qui réunira un jour tous ses enfants autour de son trône. Déjà il nous aurait accordé l'assistance des rois pasteurs des peuples de la chrétienté; mais il les éprouve eux mêmes en ce moment; car un nuage formé des vapeurs de la calomnie leur dérobe la vérité. On nous a montrés, à travers ce prisme imposteur, aux princes de la terre, sous les couleurs de révoltés anarchiques. Mais cette accusation tombera devant les monarques, lorsqu'ils verront que, combattant pour la Croix, sous l'étendard de la Croix, nous aurons, par elle et avec elle, triomphé du peuple anti

chrétien.

Déja, mes frères, vos députés, réunis à Astros, ont fait choix d'hommes recommandables pour porter les vœux de la Hellade à la connaissance des souverains qui doivent se réunir à Vérone. C'est à vous de mériter qu'ils vous soient propices, en ceignant l'épée de la valeur. Nos frères de l'Etolie nous appellent; la mer vous présente de nouveaux lauriers à moissonner, et Dieu vous ordonne de marcher à l'ennemi.

Aux combats, à la gloire, au martyre, marchez sous l'étendard du Roi des rois!

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