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CHAPITRE VI.

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Situation de la Hellade au mois de septembre 1822; de Cos. Moines sellés et bridés dans l'île de Cypre. État prospère de Samos et de Psara. Délibérations du congrès réuni à Astros. Intrigues dévoilées. Projet d'envoyer des députés à Vérone. — Discussion à ce sujet. Rédaction et acceptation de l'adresse aux monarques chrétiens. — Désignation des envoyés chargés de la porter. Michel Comnène Aphendoulief rappelé de l'île de Crète, remplacé par un Harmoste, ou conciliateur. Discussion remarquable sur les finances. André Louriotis envoyé à Londres pour Bons territoriaux. Plan de la camMésintelligences entre Omer Brionès

former un emprunt. pagne d'automne.

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et Routchid pacha. Intrigues funestes du consul anglais de Prévésa. Il séduit plusieurs capitaines Acarnaniens. Trahison infâme de Georges Varnakiotis. Circulaire de D. Makrys. Invasion de l'Acarnanie, et de l'Étolie par les Sages dispositions de Mavrocordatos.

Turcs.

Affaire

́du 4 novembre; - conduite héroïque de Marc Botzaris. Il embarque sa famille pour Ancone. Blocus de Missolonghi par les Osmanlis.

LES Grecs étaient vainqueurs; mais leurs regards ne se reposaient plus que sur un pays désolé. L'Argolide, délivrée des barbares, n'offrait au loin que des villages incendiés; la Mégaride, l'Attique et la Béotie étaient couvertes de décombres. L'Eubée était soulevée; mais les Turcs, qui occupaient les places fortes, continuaient à y porter l'épouvante, et les chrétiens, expulsés des plaines, vivaient retranchés dans les montagnes. On avait perdu l'Acro

corinthe; et la bande noire de Zante, composée d'hommes sans honneur, qui avaient un crédit ouvert sur le trésor impérial de Constantinople afin · d'approvisionner les places fortes du Péloponèse occupées par les Turcs, pouvait prolonger l'effusion du sang. Le sultan devait à cette association la conservation de la forteresse de Lépante, de ses châteaux, de l'acropole de Patras, de Modon, de Coron, et on pouvait encore craindre que quelques bâtiments chargés de grains ne pénétrassent dans Nauplie, quoique on fût maître du fort de Bourdzi, qui forme la clef du port.

Les rapports extérieurs, dont le sénat des Hellènes prit ensuite connaissance, ne parlaient plus de Chios que comme d'un ossuaire couvert des squelettes de sa population (1). Cos et Rhodes étaient au pouvoir des Turcs, qui avaient égorgé une partie de leurs habitants. Il en était de même de Cypre, où soixante-deux bourgs et villages avaient entièrement disparu. Les Turcs, suivant leur expression familière, continuaient à y chasser aux chrétiens. Plusieurs églises avaient été converties en mosquées, d'autres en écuries; et le pacha de Césarée, enchérissant sur ses pareils, avait poussé la dé- · mence jusqu'à faire seller et brider les moines du couvent de Panteleïmon. Ses officiers avaient pris plaisir à parcourir les campagnes montés sur le dos

(1) L'île est encore dans le même état. On n'y rencontre, au milieu des décombres et des ruines des maisons, que des ossements humains et des carcasses d'animaux.

de ces infortunés, dont plusieurs étaient morts de fatigue, de coups de fouet, ou étouffés par le mords, qu'on leur introduisait dans la bouche en leur brisant les dents. Un plus grand nombre avaient été empalés, avec le cérémonial ignominieux attaché à ce genre de supplice (1). Dans plusieurs parties de l'île, on avait brûlé les vignobles, coupé les arbres fruitiers, embrasé les forêts, et l'opulente île de Cypre, dépouillée de ses bosquets, ne présentait plus qu'une scène de ruines et de tombeaux.

A côté de ce tableau tracé par le comte Métaxas, il montrait Samos, la terreur des barbares, portant périodiquement le fer et le feu au sein de leurs possessions de l'Asie Mineure, Psara, victorieuse du capitan pacha Kara Ali; mais Lesbos était encore esclave, et Syros, non contente de rester étrangère à la cause de la Croix, était devenue le centre de l'espionnage du gouvernement ottoman (2). Tout ce qu'il y avait d'ennemis des chrétiens semblaient s'y être réunis; on y conspirait ouvertement contre

(1) On fait coucher le patient sur le ventre, après lui avoir attaché les mains; on lui endosse ensuite le bât d'un âne sur lequel s'asseyent deux valets de l'exécuteur, tandis que celui-ci lui enfonce lentement le pieu dans les entrailles.

(2) Les Grecs n'ont pas de plus cruels ennemis. Nous devons le dire, afin que nos missionnaires s'empressent de réformer la conduite des chrétiens latins. La haine aveugle des enfants d'une église de charité est telle, que nous avons connu à Paris un jeune homme de Ténos, qui s'était constitué le pourvoyeur des calomnies répandues contre les Hellènes. Il appelait cette sorte de trafic infâme : faire la guerre aux schismatiques.

les Hellenes; on s'y réjouissait de leurs désastres; on avait célébré les hécatombes de Chios par des danses, et les concerts joyeux n'y étaient interrompus que par le récit des victoires des Grecs qui étaient des jours de deuil pour les Syriotes. Kasos, avec ses scampa via (1), aurait depuis long-temps châtié tant d'impudence; mais des raisons politiques obligeaient les Hellènes à dissimuler l'injure nationale.

L'île de Crète, qui appelait depuis long-temps l'attention du gouvernement hellénique, ne récla mait ni hommes ni argent, mais le rappel de Michel Comnène Aphendoulief, et l'assistance d'un magistrat éclairé pour diriger ses affaires. Enfin les Grecs, informés du départ pour Vérone des ambassadeurs Strangford et Lutzof, s'imaginant que l'équité des souverains ne consentirait pas à pro+ noncer dans leur cause, sans entendre la voix suppliante des défenseurs de la Croix, résolurent de leur envoyer une députation. On conçut en même temps l'idée de faire partir pour Londres un commissaire chargé de faire connaître l'état de la Grèce

(2) Le scampa via, ou bateau de chasse, en usage à Kasos, et maintenant à Psara, qui en a fait construire un nombre considérable, est une espèce de demi-chaloupe canonnière, armée d'un ou deux canons, propre à aborder les côtes, à pénétrer dans toutes les anses, et à faire les coups de main les plus hardis. Chaque barque de cette espèce est équipée de vingt paires de rames, pourvue de voiles latines taillées en aile d'oiseau, et porte soixante à cent hommes pour le service de la manœuvre, de l'artillerie et de la mousqueterie; son genre d'attaque est ordinairement l'abordage.

à la société des Philhellènes d'Angleterre, et d'aviser aux moyens de former, par leur entremise, un emprunt hypothéqué sur les biens du Vacouf (1) ou propriétés qui avaient appartenu aux mosquées. Elles avaient, dans l'antiquité, formé l'apanage du Parthénon, du temple d'Olympie, avant d'être annexées à la mense des métropoles chrétiennes, auxquelles les mahométans les avaient enlevées pour en doter leurs imams; ainsi la reprise de ces biens était légitime.

Ce n'était point, comme on voit, sur de vaines théories ni sur des abstractions idéologiques, que les chefs de la Grèce, réunis à Astros, allaient prendre des résolutions. Les hommes appelés à délibérer n'étaient point des rêveurs égarés dans des projets chimériques, qui cherchent l'ordre où il n'existe pas, mais des gens instruits par l'adversité et empressés d'aller au devant des maux qu'ils n'avaient pu éviter. Ils étaient convaincus que, s'il est facile de combattre les grandes passions, parce qu'on peut les attaquer en face, il est presque impossible de déjouer les ménées obscures. L'expérience leur avait également démontré, dans l'application de l'acte constitutionnel d'Épidaure, que les changements, pour arriver au mieux possible dans

(1) Vacouf. La dotation des mosquées, indépendamment de cette origine, se compose d'un droit pareil a celui qui s'établit en Italie en 1069, pour se soustraire à une foule de petits tyrans. C'était de donner ses biens à l'église, comme les Turcs les donnent aux mosquées, sous le titre d'oblata, afin d'en rester possesseur feudataire au moyen d'une légère redevance.

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