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chose était facile; car ces soldats mercenaires calculaient qu'il était de leur intérêt de faire traîner la guerre afin de gagner en détail l'équivalent des trésors d'Ali pacha, dont ils se regardaient comme frustrés par les Osmanlis; et si on avait eu de l'argent à leur offrir, on les aurait facilement débauchés. Ils savaient d'ailleurs que, si l'Épire retombait sous la main du sultan, il leur donnerait des pachas de race asiatique, et qu'ils seraient ainsi pour jamais asservis.

Les choses étaient dans cet état, quand Omer Briones, après l'évacuation de la Selleïde, descendit à l'Arta, satisfait d'avoir entravé son antagoniste, mais ayant au fond dérangé et compromis le succès de la campagne qui avait été résolue antérieurement. En effet, six semaines plutôt, lorsque Dramali pénétrait dans l'Argolide, au moment où la flotte du capitan pacha mouillait à Patras, l'exécution d'un pareil plan ne rencontrait presque aucun obstacle. Il fallait, après la défaite des Grecs à Péta, et la destruction des armements de Passano, marcher droit sur l'Achéloüs; les chrétiens étaient consternés; ils auraient abandonné Missolonghi; ainsi on avait perdu une occasion, dont ni les Turcs, ni les Anglais, qui les conseillaient, n'avaient pas connu l'importance. Enfin on crut devoir procéder par l'intrigue, ressource misérable des hommes d'état sans vues et sans moyens; et on se trompa complètement.

Le consul d'Angleterre Méyer, quoique éconduit par Khourchid, qui avait refusé ses services, était

trop satisfait des succès qu'il avait obtenus en abusant les Souliotes, pour ne pas s'empresser d'accourir à l'Arta, afin d'appaiser les mésintelligences survenues entre Omer Brionès et Routchid pacha. Il s'était déja entendu avec ce dernier pour faire des ouvertures à Georges Varnakiotis, capitaine des armatolis du Xéroméros (1); et il venait offrir le moyen de livrer toute la Grèce occidentale aux mahométans.

Il croyait avoir fasciné les yeux des insurgés; mais ceux-ci, auxquels Omer Brionès s'était adressé sous main, pour leur révéler les desseins de Routchid pacha, étaient sur la trace des complots qu'on tramait. Prévenus depuis long-temps contre Varnakiotis, les Grecs avaient intercepté des lettres, dans lesquelles on lui demandait l'échange des prisonniers, et où il était question d'amnistie. Il n'en fallut pas davantage pour les irriter. S'étant aussitôt transportés vers Mavrocordatos, ils lui firent répéter le serment de ne jamais traiter avec les mahométans, et de livrer au glaive des lois quiconque oserait émettre une semblable proposition. On décreta la levée en masse; mais il était déja trop tard.

Varnakiotis, cédant aux insinuations du consul Anglais, qui s'était rendu auprès des pachas à l'Arta, avait consommé l'acte de sa trahison, en entraînant dans son parti Jean Rhengos, et plusieurs autres capitaines Acarnaniens. Non content de cette lâche

(1) Xéromeros. Voy. t. III, ch. LXXII de mon Voyage dans le Grèce.

apostasie, il avait lancé des proclamations, faites long-temps d'avance; et les Agréens s'étaient enfuis dans les hautes vallées de l'Achéloüs, tandis qu'une partie des Xéromérites émigraient de leur côté, pour se réfugier à Calama et à Meganisi, îles dépendantes de l'heptarchie ionienne.

Il fallut aussitôt songer à évacuer les positions d'Agrilos, près du grand lac Ozeros, de Papadatès, de Machala, de Catouna, abandonner le Valtos (1), et se replier derrière la rive gauche de l'Achéloüs. Cependant on fit mine de vouloir conserver le poste de Stratos, ville voisine du gué de Lépénou, tandis que le capitaine Makrys s'établissait avec huit cents hommes à Angélo Castron, décidé à défendre ce passage, l'Achélous n'étant plus praticable qu'au moyen d'un bac, depuis cette hauteur jusqu'à la mer. Mais c'en était fait des Grecs, s'ils avaient été attaqués à cette époque de confusion; et ils l'auraient été, si la peste n'eût éclaté à l'Arta, et forcé les pachas à tenter les voies de la négociation, qui donnèrent aux chrétiens le temps de se reconnaître.

Depuis la malheureuse affaire de Péta, le président Mavrocordatos, rentré à Vrachori, ville qu'il n'aurait jamais dû quitter, convaincu, comme le général Norman et les officiers qui l'entouraient, qu'il était facile de défendre un pays montueux, couvert de forêts, avec une population entièrement armée, ne respirant qu'une indépendance farouche,

(1) Valtos. Voy., pour la topographie de ce canton, le t. III, ch. LXXXII de mon Voyage.

habituée au pillage, s'était occupé à l'organiser en compagnies. Son infatigable activité lui avait fait parcourir tous les villages, et les lieux les plus inaccessibles de l'Acarnanie et de l'Étolie. Calmant d'un côté les superbes armatolis d'Agrapha, excitant ailleurs des peuplades engourdies par des siècles de misère et d'asservissement, il était parvenu, à force d'habileté, de douceur et de patience, à assoupir ou à éteindre les haines et les rivalités des capitaines; à faire goûter aux primats grecs un genre d'administration moins vexatoire pour les paysans; à créer dans chaque lieu des moyens de défense, et à établir l'harmonie entre des peuplades jusqu'alors discordantes (1).

A la faveur de sa longanimité le président avait réussi à composer un corps d'environ cinq mille hommes de milices, qui se trouvaient campés au village de Paradisi, voisin de Vonitza, quand Varnakiotis, auquel il en avait confié le commandement, trahit sa confiance et la patrie.

A cette nouvelle Mavrocordatos, qui se trouvait à Anatolico, informé que ces mêmes troupes s'étaient

(1) Le 28 juillet Alexandre Mavrocordatos vint de Missolonghi à Anatolico, pour assister à l'oraison funèbre des braves morts à Péta.

Le 31 juillet il partit pour se rendre au camp de Marc Botzaris; la flotte turque se trouvait devant Missolonghi.

Le 12 août son bivouac se trouvait à deux lieues de Vrachori. Le 4 septembre il se rendit à Stamna, où il apprit la trahison de Varnakiotis. Mémoires manuscrits communiqués à

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l'auteur.

débandées et que les défilés étaient ouverts à l'ennemi, rassemblant ce qu'il put trouver d'hommes capables de porter les armes, marcha en avant le dix-neuf septembre à dix heures du soir. Arrêtant de toutes parts les fuyards et les déserteurs, il arriva à Vrachori le 24, et la tranquillité publique se rétablit à son aspect.

Les capitaines auxquels il avait envoyé des ordres n'ayant pas tardé à se rendre auprès de lui, il quitta aussitôt Vrachori pour se rendre à Calivia Zygotica, petit village situé au-delà d'Angelo Castron, sur le bord de l'Achéloüs. C'était le rendezvous assigné aux troupes pour leur organisation; et ayant eu à son arrivée connaissance de l'amnistie proposée par les pachas, il exhorta les chefs à feindre de l'accepter afin de gagner du temps, tandis qu'on aviserait aux moyens de se défendre.

Cet avis ayant été adopté à l'unanimité dans un conseil de guerre, le capitaine Makrys, qui avait la confiance des paysans, sentant la nécessité de contrebalancer l'effet des proclamations du transfuge Varnakiotis, leur adressa une circulaire de la teneur suivante, en réponse à une lettre que les troupes. débandées lui avaient fait parvenir :

« Acarnaniens, mes frères, par cette lettre frater<< nelle je vous fais savoir que j'ai reçu celle que « vous m'avez adressée. J'ai fort bien compris son <«< contenu, et je reconnais avec joie que nous som« mes tous du même avis, c'est-à-dire d'attaquer de «< concert nos ennemis. Nos frères de Cravari, d'Aponéro, d'Involucos, de Zygos se réunissent dans

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