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Une goëlette, qui accompagnait le Cambrian, déployant ses voiles, cingle aussitôt vers Hydra, et arborant le pavillon de la Croix à côté de celui

<< poussa dans le canal de Chios, et à une heure après minuit le << vaisseau turc était en feu.»,

Canaris, poursuivant son récit, dit à M. Clotz: « Nous étions << encore deux brûlots pour l'expédition de Ténédos, un Hy<< driote et moi. Les gardes-côtes de Ténédos nous virent sans << défiance doubler un des caps de l'île. Nous portions pavillon « turc, et paraissions fuir la poursuite de quelques bâtiments. « grecs. Obligés de passer entre la terre et les vaisseaux turcs, <«< il me fut impossible de m'accrocher comme la première fois <«< au bossoir de l'amiral. Je profitai donc du mouvement de la <«< vague pour faire entrer mon beaupré dans un des sabords <«< du navire turc, et dès qu'il fut ainsi engagé, j'y mis le feu. << en criant aux Ottomans: Çornus, vous voilà brûlés comme « à Chios! La terreur se répandit aussitôt parmi eux, fort heu<«< reusement, car mon brûlot ne s'étant pas bien enflammé je « remontai à bord pour y mettre une seconde fois le feu, et je « pus me retirer dans mon canot sans aucun danger; car ils ne << tirèrent pas même un coup de fusil. »

Le capitaine Clotz fit ensuite plusieurs questions à Canaris, auxquelles il répondit avec clarté, et il lui offrit son poignard d'abordage, qu'il accepta.

Quelque temps après cette entrevue, l'amirauté d'Hydra décerna à Canaris une récompense considérable, qu'il refusa, quoique pauvre, en se contentant de demander des secours pour les gens de son équipage. On lui proposa ensuite de le créer amiral et de lui donner un commandement; mais il s'excusa d'accepter ces avantages, en répondant qu'il était capitaine, et ne se sentait pas les moyens nécessaires pour remplir un emploi supérieur. Canaris content de ses filets pour vivre, fait ordinairement le service de simple matelot sur la flotte, en attendant qu'on lui donne la direction de quelque brûlot.

d'Angleterre en entrant au port, le capitaine transmet, avant de jeter l'ancre, la nouvelle du succès obtenu par Canaris à Ténédos. Le peuple court en foule aux églises pour remercier Dieu d'une victoire marquée du sceau de sa toute - puissance. On se félicite; et cette nouvelle, passant dans les Cyclades, y répand une allégresse générale. La Croix triomphe; les Grecs propagent, jusque sur les rives occupées par l'ennemi, le récit des exploits de leur marine. Ils l'apprennent à coups de canon à l'aga de Clazomène, qui voit enlever sous ses yeux les barques chargées de fruits destinées pour Smyrne. Les Turcs cantonnés dans l'ile de Mitylène s'en effraient, et le sérail des sultans, agité par des factions, est dans l'épouvante.

Il touchait à une de ces crises dont il est toujours difficile de prévoir les conséquences. Depuis quelque temps des chansons et des pamphlets séditieux circulaient dans les casernes des janissaires. En vain on voulut faire trève à leurs pensées, en leur offrant le spectacle du supplice de Constantin Négris, ancien caïmacan de Valachie, injustement accusé de correspondances criminelles avec son frère Théodore, secrétaire-d'état du gouvernement des Hellenes; l'ochlocratie militaire de Constantinople voulait un sang plus illustre, à défaut de celui de son souverain, qu'elle ne respecte que parce qu'il n'a pas de successeur en âge de lui succéder; elle avait juré la perte de Khalet effendi.

Ce favori du jour, trop confiant dans la protection du sultan, était accusé par les grands de l'em

pire, envieux de son crédit, de vouloir substituer des milices régulières aux hordes des janissaires; et le grand - visir, Salik pacha, qui était sa créature, donnait, disait-on, activement les mains à ce plan, de concert avec le mouphti ou cheïk-islam. Tel était, aux yeux d'une soldatesque anarchique, le crime d'hommes remplis de bonnes intentions, qui n'avaient pas compris à quel point est dangereux le poste de réformateurs dans un pays gangrené d'abus, toujours profitables à la haute domesticité qui environne et assiége le trône d'un maître absolu.

Le mécontentement des janissaires éclata, dans les premiers jours de novembre, par des cris et des menaces contre les chrétiens, étrangers à toute espèce d'affaire politique. Les séditieux se rassemblèrent en tumulte autour du sérail, et Khalet effendi ne parvint qu'à suspendre l'orage en répandant l'or à pleines mains, tandis qu'il excitait leur fureur en les menaçant de faire marcher contre eux les troupes asiatiques campées à Scutari. Sa perte fut accélérée ; et les séditieux, ayant rédigé une requête dans laquelle ils demandaient l'éloignement du favori, chargèrent un nommé Abdoulla de la présenter au sultan en l'accompagnant d'un mémoire: il était a peu près conçu en ces termes :

« On a remarqué de tout temps, avec raison, «< que les ministres accoutumés à violer leur foi et <«<leurs serments ne se sont jamais arrêtés au pre-«<mier parjure. Race de Bélial, habituée à faire usage «< du mensonge, ces illustres esclaves ont réduit ce

<< crime en art et couvert du nom de politique leur <«< mauvaise foi. Funeste aveuglement qui sous le pré<< texte d'une précaution affectée a long-temps caché <«<le parjure et la dissimulation de Khalet effendi. « Sultan, fils d'esclave, ouvre les yeux: Allah, le Prophète, notre sainte religion demandent la pu. << nition des traîtres; n'attends pas que le bras de « nos invincibles janissaires s'arme du glaive de la <«< vengeance. »>

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Cette démarche jointe à quelques incendies, signal ordinaire du mécontentement public, décidèrent le Grand-Seigneur à se convaincre personnellement de l'état de la ville. Le 9 novembre, veille de la destruction de la flotte à Ténédos, il parcourut les rues de Constantinople, sans autre escorte que celle de deux bourreaux, cachés comme lui sous le voile de l'incognito. Il visita les cafés, s'entretint avec plusieurs personnes, et les renseignements qu'il recueillit l'ayant éclairé, il se détermina à accéder au vou de ses gardes préto

riennes.

Rentré dans son palais, il prononça la déposition du grand-visir, qui fut remplacé par Abdalla, créature des factieux; il changea également le mouphti, auquel il donna pour successeur Sidik Zadé, député des oulémas, l'un des provocateurs du mécontentement des soldats. Dans la lettre d'usage, Sa Hautesse annonçait à Abdalla qu'elle avait destitué son prédécesseur à cause de son caractère avide et opiniâtre, et lui recommandait de se concerter à l'avenir avec les oulémas et les chefs

des Odgiaklis (janissaires) pour le bien de la religion et de l'empire. Le ton de ce protocole disait assez sous quelle influence il était dicté. Enfin le noble barbier perdit l'emploi qui le mettait en possession de raser la tête et d'être le gardien des archives de son maître, il fut exilé avec Khalet effendi. On renvoyait en même temps des offices du sérail une foule de scribes, d'employés; et la Kasnadar ousta, livrée, pour être fustigée, au bras séculier du chef des eunuques noirs, ainsi qu'un grand nombre d'odaliques, fut renfermée dans les lieux de correction du harem.

Comme on ne versa pas de sang, on pouvait dire que jamais révolution de sérail ne s'était opérée avec autant de ménagement. L'éloignement de Khalet effendi, surtout, ne fut accompagné d'aucune mesure de rigueur; on ne touchait ni à sa fortune, ni à ses propriétés. On lui avait assigné la ville d'Iconium (Kényeh) pour lieu d'exil.

Il sortit de Constantinople en plein jour, entouré de ses serviteurs et de ses clients, moins en proscrit qu'en homme qui allait prendre possession d'une de ces riches satrapies de l'Anatolie, objets de l'envie des courtisans. On croyait même à son prochain retour; mais l'évènement ne tarda pas à prouver qu'un favori écarté des yeux de son maître est bientôt loin de son cœur. A peine se trouvait-il à quelques journées de marche que ses ennemis, qui connaissaient l'avidité du Sultan, le décidèrent à faire apposer d'abord les scellés sur les papiers de son esclave; et le séquestre s'étant

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