Images de page
PDF
ePub

étendu jusqu'à ses biens, on n'eut pas de peine à obtenir le firman de mort, qu'un nommé Arif, aga des janissaires, fut chargé de mettre à exécution, tandis qu'on faisait conduire dans les prisons du bostandgi-bachi le juif Hazakiel, banquier du proscrit, avec ses commis et toute sa famille.

Dans cet intervalle, Khalet effendi, qui voyageait avec une suite considérable, cheminait vers le lieu de son exil; et quoiqu'il eût douze journées de marche d'avance sur Arif, chargé de son firman de mort, celui-ci, prenant des chemins détournés, arriva avant lui à Blavoudoun. Il se rendit sur-le-champ auprès du cadi, afin de lui donner connaissance de l'objet de sa mission, et requérir, en cas de besoin, l'appui de la force armée. Il se retira ensuite, et Khalet, étant arrivé aux portes de la ville, y fut reçu par une foule de derviches d'Iconium, accourus à sa rencontre pour le complimenter. Ils l'accompagnèrent au logement qu'on lui avait préparé, et il se disposait à prendre du repos, lorsqu'on introduisit Arif, qui lui présenta le firman fatal, en l'engageant à se soumettre à sa destinée et à se préparer à la mort.

Vainement Khalet effendi, accablé d'un coup parti de la main d'un prince dont il se croyait aimé, voulut s'appuyer d'un écrit autographe, par lequel le sultan garantissait ses jours contre tout ordre contraire. Arif persista à demander sa tête. Mettant alors la main sur ses pistolets il allait se défendre, quand l'aga des janissaires, se précipitant sur lui, le terrasse et réussit, après une

lutte violente, à l'étrangler avec le cordon en soie de son sabre. Il tranche lui-même la tête du favori; il s'en empare, et, le 4 décembre, elle était exposée sur un plat d'argent, à l'endroit où avait figuré celle d'Ali Tébélen, dont tous les ennemis étaient destinés à périr de mort violente, et à subir l'affront du yaphta ou sentence infamante (1).

Le yaphta du favori était encore attaché à sa tête exposée à la porte de son maître, quand les oulemas,

(1)

Yaphta attaché à la tête de Khalet effendi.

Cette tête, exposée aux regards du public pour servir d'exemple, est celle de Khalet effendi, ci-devant Nichandgi. S'il fut élevé aux premières dignités de l'empire, or comblé des graces de son souverain, le but de cette faveur était qu'il servît l'état avec droiture et fidélité, et qu'il travaillât à maintenir cet esprit de concorde qui, dans les circonstances actuelles, devrait former de tous les croyants un seul corps, les porter à renoncer au goût d'un luxe effréné, que réprouve la loi de notre Prophète, et leur inspirer le zèle de servir la foi par le sacrifice de leurs passions particulières.

Telles étaient les obligations sacrées de cet homme pervers. Loin de les remplir, il s'est livré aux impulsions de son caractère perfide. Il a employé un grand nombre d'artifices, dont une foule de malheureux ont été les victimes. Il s'est fait une habitude de semer la zizanie et la discorde entre les croyants, tandis qu'il revêtait les dehors d'une droiture et d'une fidélité sans bornes, qualités dont il se servait comme d'un masque pour mieux cacher son extrême égoïsme et sa perversité. Cette conduite, si opposée aux intentions du monarque, avait été découverte. Ue traître pareil ne pouvait s'attendre à une punition moindre que la peine capitale; elle a été consommée envers lui d'après un ordre du Grand-Seigneur.

ET CELLE-CI EST LA TÊTE DE KHALET EFFENDI.

[ocr errors]

unis aux janissaires, présentèrent à la sanction du sultan une liste de proscription contre les adhérents et fauteurs de Khalet effendi. Khourchid qu'ils surnommaient Dgiaour pacha, à cause qu'il était né chrétien, y figurait en première ligne. Son armée s'était débandée; il n'avait pas rendu compte des trésors du satrape de Janina, et on oublia qu'il avait terrassé cette hydre, pour ne voir, dans un vieux serviteur de l'état, qu'un vil concussionnaire. La sentence fatale fut lancée contre lui, et si sa chevelure ne figura pas au pilori impérial des sultans, c'est que le poison prévint l'arrivée à Larisse du capigi bachi chargé de trancher les jours du vainqueur d'Ali Tébélen.

Khourchid mourut, dit-on, sans regretter une vie dont il n'avait guère connu que les amertumes. Georgien d'origine, arraché du sein de sa famille, vendu comme esclave, devenu le favori de l'amiral Kutchuk Husseïn, il avait été promu au grade de pacha, en 1803, à la recommandation de Mouhamed Khosrouf ou Khoreb pacha. Ainsi, il avait été esclave, favori d'un esclave son compatriote, et protégé d'un esclave; car Hussein et Khosrouf ses compatriotes, étaient, comme lui, enfants de tribut. Nommé visir du Kaire, on le vit tour à tour flotter entre le parti des Schypetars commandés par Omar bey (plus connu sous le nom d'Omer Brionès), et celui des mameloucks et des Osmanlis, dont il éprouva successivement l'ingratitude, aussi long-temps qu'il fut chargé du gouvernement anarchique de l'Égypte. Vainqueur des

Serviens, lorsqu'il fut nommé grand visir, on paya ses services par une disgrace. Non moins malheureux à Alep, la fortune ne sembla lui sourire un instant en Épire que pour lui rendre plus sensible la perte de ses faveurs. Il descendait dans la tombe affligé du deshonneur d'une épouse qu'il chérissait, et, moins favorisé qu'Ali pacha, dont il envia le sort, il n'excitait aucuns regrets. Il fut enseveli par ses esclaves dans le linceuil qu'il portait (1), à l'exemple de tous les Turcs élevés en dignité, qui ont sans cesse présente à la pensée l'image d'une fin tragique, et aucun ami ne versa dest pleurs sur ses restes inanimés.

[ocr errors]

Les officiers du fisc impérial, étant arrivés à Larisse, saisirent les dépouilles de Khourchid au nom du sultan, qui s'empara de ses propriétés, et la ligue impie des janissaires unis aux oulémas s'applaudit de ce nouveau forfait.

Tout prospérait à son audace! les éphémérides mensongères de Smyrne et de Vienne, qui célé braient naguère la sagesse de Khalet effendi et les prouesses de Kourchid, avaient changé comme leur fortune. Non contentes de déverser le blâme sur leur mémoire, elles semblaient prêter mainforte à l'inflexible opiniâtreté du divan, qui avait refusé de prendre part aux négociations du congrès de Vérone, en haine de la Russie, qu'il s'obstinait

(1) C'est un usage constant parmi les Turcs élevés en dignité, de se précautionner d'un drap mortuaire, persuadés que tout homme en place a un pied dans la tombe.

à considérer comme la cause de l'insurrection des Grecs. Un des ministres mandés de Constantinople à Vérone, pour y faire connaître le véritable état des affaires de l'Orient, semblait excuser la barbarie des Turcs, par le rapport qu'il fit devant le sénat des rois chrétiens. La rébellion, disait-il, est anéantie! L'armée de Dramali a envahi le Pélo· ponèse; le capitan pacha, avec une flotte redoutable, appuye son entreprise, et il ne tardera pas purger l'Archipel des pirates impunis jusqu'à présent, qui osent l'infester. Les chefs des révoltés sont achetés, ceux qui semblent encore tenir sont en marché pour se vendre, et les trésors d'Ali pacha achèveront de tout pacifier. On a donné trop d'importance à une pareille émeute.

[ocr errors]
[ocr errors]

Les esprits étaient ainsi prévenus dans le congrès, quand on apprit l'arrivée à Ancône de l'archevêque Germanos, du comte André Métaxas et de Georges, fils de Mavromichalis. Une police hostile leur défendit de passer le Rubicon, et ils furent retenus loin de Vérone. Ils envoyèrent leur requête, mais on ne fit que hausser les épaules de pitié à la lecture de cette adresse touchante dictée par la religion, dont elle empruntait la voix, et elle fut écartée sur la demande d'un individu (1) qui prouva à sa manière que les Grecs étaient

(1) Comme on pressait ce diplomate de donner une réponse aux 'envoyés des Grecs, il répondit avec humeur : Je mettrai ces canailles à leur place!— Mais, dit un personnage auguste, rangez-vous Mavrocordatos dans cette catégorie? Le visigot musqué, fronçant le sourcil, changea de conversation.

« PrécédentContinuer »