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suspects d'étre suspects d'idées révolutionnaires. Ce fut ainsi que se trouva condamnée une cause sanctifiée par le martyre du patriarche Grégoire, de son synode, de la majeure partie des prélats de l'église d'orient, et de quarante cinq mille chrétiens assassinés dans l'île de Chios.

Les réclamations des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem pour le rétablissement de l'ordre de Malte, que sa destination primitive et ses statuts constituaient en état de guerre perpétuelle contre les ennemis du nom chrétien, n'eurent pas, dit-on, plus. de succès que ceux des Hellènes (1). L'Angleterre avait intérêt à éloigner une semblable négociation, qui laissa cependant des arrières pensées plus faciles à signaler qu'à discuter dans l'état actuel de la politique européenne, et que nous rapporterons comme un de ces projets aventurés dont il était question parmi les Grecs.

L'ordre de Malte se présentait au congrès avec ses souvenirs historiques et des institutions avouées, mais dans l'hypothèse d'une restauration qui était entièrement à recomposer. Ses commanderies aliénées sans retour, le siége de son gouvernement englobé dans l'empire britannique, mettaient les chevaliers dans l'alternative de recevoir un territoire qu'on leur aurait concédé en toute souveraineté pour y relever la bannière de la religion, ou de reconquérir un état par la voie des armes.

(1) Pas un chevalier de Malte ne s'est montré sous le drapeau de la Croix : que seraient-ils venus faire à Vérone?

Le dernier de ces partis était le plus convenable à la gloire des vieux champions de la Croix; mais, dans tous les cas, ils devaient être assistés au début de leur entreprise, qu'il convenait de discuter sans préventions ambitieuses, sans vues d'un passé auquel il ne fallait emprunter que le souvenir de ses héros et l'humilité plébéienne de son fondateur. Cette question subséquente aux moyens donnés pour la restauration de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, devait conduire ses chefs à examiner de quel côté ils tourneraient leurs armes. Si, par un sentiment de justice qu'il eût été si beau de voir émaner de l'Angleterre pour compenser l'occupation de Malte, qui ne fut jamais ratifiée par ses souverains légitimes, l'Angleterre, qui n'a que protection des îles Ioniennes, eût rétrocédé ses droits à la religion sur une Heptarchie impatiente de son joug, les chevaliers se trouvaient aussitôt et à peu de frais à même de signaler leur zèle contre les infidèles, et d'acquérir, par la plus sainte des conquêtes, une indépendance bien différente de celle qu'ils eurent dans les plus beaux siècles de l'Ordre.

la

Remuant, avec l'assistance du Souverain Pontife, les missions catholiques de la haute Albanie, aidés d'une Langue Russe agrégée à l'ordre depuis le règne de Paul Ier, les chevaliers pouvaient remplir le but de leurs statuts, et porter un coup funeste à l'empire ottoman, sans alarmer les Hellènes, dont le territoire antique ne dépassa jamais la région de la froide Dodone. Ils relevaient, à

l'aide des Mirdites, des Poulati, des Clémenti et des peuplades latines, les marquisats, comtés et baronies de Scodra, d'Antivari, d'Alessio, de Dulcigno, de Durazzo, d'Avlone et du Musaché, qui furent les apanages des seigneurs normands et des paladins attachés aux maisons d'Anjou et de Roger roi de Sicile. Qui sait même où une pareille entreprise pouvait les conduire, si on réfléchit que l'Herzegovine et la Bosnie ont pour fond de population des chrétiens catholiques, et que les Schypetars ne sont peut-être pas aussi éloignés qu'on le croirait de rentrer dans le sein d'une église dont la violence seule arracha leurs ancêtres.

Si les chevaliers tournaient au contraire leurs armes vers l'orient, ils ne pouvaient guère songer à s'emparer de Candie sans se rappeler que cette île ne fut qu'imparfaitement soumise aux Vénitiens, et que les Crétois ne supporteraient pas volontiers un joug étranger. Ils pouvaient reconquérir Rhodes, s'emparer de Cos, de Chios et même de Lesbos, mais l'ordre ne fondait, avec ces possessions, qu'un établissement précaire, à moins de conquérir quelques satrapies de l'Asie Mineure, et de les transformer en commanderies.

Telles étaient les considérations que fit naître dans le public le souvenir de l'ordre de Malte; et quoique la question des Grecs fût plus directe et moins compliquée, on se sépara sans vouloir rien entendre sur leurs dispositions. Ainsi fut justifié ce qu'a dit un historien moderne, que la folie des anciennes croisades a toujours empéché qu'on

en fit de nouvelles, lorsqu'elles étaient raisonnables (1). Les envoyés des Hellènes restèrent à Ancône, tandis que l'ambassadeur d'Angleterre, qui était le 7 décembre à Trieste, se préparait à retourner à Constantinople. Il devait probablement savoir que les assertions qu'il avait émises dans le congrès étaient plus que hasardées; mais quelle dut être sa surprise, car on aimait à croire qu'il avait parlé de bonne foi, lorsqu'il apprit, en abordant aux îles Ioniennes, que Dramali, qui avait envahi l'Argolide, se trouvait bloqué sous les murs de l'Acrocorinthe; que la superbe flotte du capitan pacha était anéantie ou dispersée, que Nauplie de Romanie venait d'ouvrir ses portes à ces Grecs vendus ou en traité pour se vendre, et que l'étendard de la Croix, victorieux, dominait dans la mer Égée?

Les Grecs, commandés par Nicétas et Staïtos Staïtou Pavlou, avaient repris le blocus de Nauplie dès que Dramali eut abandonné l'Argolide, et les assiégés ne tardèrent pas à se repentir d'avoir rompu la capitulation qu'ils avaient réglée avec les Hellenes. Témoins de la fuite honteuse du capitan pacha, qui n'avait pu réussir à les ravitailler, les croisières grecques ne leur présentaient plus qu'un vaste filet dans lequel tombaient tous les secours qu'on essayait encore de leur faire parvenir. En vain le zèle des Francs établis à Smyrne s'était hautement manifesté pour secourir une place

(1) Annales de l'empire, an 1460. Voltaire.

à laquelle était lié le sort politique du Péloponèse; le navire autrichien le Sincère, capitaine Pallina, ainsi que le Palémon, capitaine Calvi, chargé de vivres, escortés escortés par le brick de guerre le Rapide, commandé par un nommé Buratovich, avaient été interceptés et saisis sous leurs yeux à l'entrée du port de Nauplie.

Peu de jours après ils avaient été témoins d'une capture qui les consternait entièrement. Une goëlette chargée à Ancone pour le compte du consul anglais de Patras Gréen, montée par deux des frères de cet agent, gens capables de tout oser quand il s'agit de s'enrichir, avait, à deux reprises différentes, essayé de franchir la ligne de blocus; quand les Grecs, l'ayant inutilement sommée de se retirer, déployèrent les moyens de répression pour l'écarter. Il s'engagea un combat dans lequel le bâtiment anglais fut obligé d'amener pavillon. Conduit à Hydra, il fut déclaré bonne prise, la cargaison confisquée, et l'amiral Graham Moore, indigné des pirateries restées trop long-temps impunies, laissa à la justice un libre cours qui enleva en même temps les dernières ressources aux Turcs assiégés.

C'est à cette époque aussi qu'il faut rapporter cette espèce de variation dans le système de sévérité des agents de S. M. B. dans les îles Ioniennes contre les Grecs, qui ne manquèrent pas d'en rapporter la cause à la mort du lord Castlereagh. Ils en parurent pleinement convaincus, quand ils apprirent qu'on refusait de délivrer des expéditions aux bâtiments chargés de vivres pour les

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