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les barbares n'avaient pas envahie, à cause de sa position dans une île située au milieu des pêche

ries.

Les conférences étaient au moment de se rompre malgré toute l'adresse de Mavrocordatos et de Marc Botzaris, lorsque, le 10 novembre, Jousouf pacha, non moins jaloux des succès d'Omer Brionès que celui-ci l'était de Routchid pacha, qui lui portait également envie, entra en pourparlers avec Mavrocordatos. La tête du président était un objet ambitionné, que les contendants auraient voulu pouvoir envoyer à Constantinople. Le barbare, après de grandes protestations de clémence, exigeait pour conditions la mise à sa discrétion d'une vingtaine d'individus et l'exil d'un pareil nombre dont il envoyait la liste; c'étaient tous les capitaines et le chef même du gouvernement hellénique, Mavrocordatos. (1).

Rien ne pouvait arriver de plus heureux. Le président s'étant empressé de communiquer les propositions de Jousouf pacha aux seraskers Omer Brionès et Routchid comme s'il n'eût pas été éloi

(1) Les propositions apportées par l'agent de France, Antoine Maritza, étaient de la teneur suivante :

1o Le serasker demande la tête d'Alexandre Mavrocordatos, celles de Capsali, Marc Botzaris, Makrys et de trente autres capitaines.

2o La remise, comme esclaves, de tous les Francs, Souliotes et soldats.

3o Le peuple retournera sans être molesté aux travaux de la campagne.

gné d'y accéder, ceux-ci en concurent un dépit extrême. Dans leur mauvaise humeur, ils consentirent d'autant plus volontiers à une nouvelle trève que des pluies pareilles à celles des tropiques les empêchaient de rien entreprendre. Cet incident, favorable aux assiégés, auxquels il donnait du temps, était cependant moins rassurant que les dispositions qu'ils virent bientôt prendre aux Turcs. Ceux-ci recevaient journellement des canons, des obusiers, et dressaient des batteries ; d'où on pouvait conclure qu'ils ne songeaient plus à une escalade, à laquelle il aurait été difficile de résister; et on ne pensa qu'à augmenter la solidité du rempart, qui fut porté à cinq pieds d'épaisseur.

Les assiégés avaient obtenu ce résultat, quand l'armée turque, démasquant ses batteries, ouvrit son feu avec des pièces de vingt-quatre, dont elle se promettait le plus grand succès. Mais les Grecs étaient aguerris; et, bientôt accoutumés à ce fracas, ils n'y firent d'autre attention que celle qu'on prête à une scène de pyrotechnie. C'était surtout pour eux un spectacle aussi nouveau qu'amusant de voir tomber des bombes, qu'ils étouffaient presque toutes et qu'ils rapportaient, ainsi que les boulets, après lesquels ils couraient, pour gagner le modique prix auquel on les payait. Chaque jour ils attendaient avec impatience la canonnade; et on raconte qu'on vit un montagnard, qui n'avait peutêtre jamais entendu tirer le canon, courant audevant d'une bombe, s'amuser à jeter des pierres contre la fusée enflammée, jusqu'à ce qu'averti.

par les cris des siens, il put encore s'éloigner avant qu'elle éclatât.

Pendant que ces combats avaient lieu, le président, feignant de se rapprocher de Jousouf pacha, parvint à exciter une telle jalousie dans l'esprit d'Omer Briones et de Routchid pacha, indignés de voir que leur antagoniste pouvait leur ravir la gloire de leur succès avec quelques vaisseaux, qu'ils firent cesser, pour la troisième fois, les hostilités afin de recommencer les négociations.

C'était ce que souhaitait Mavrocordatos; mais l'ennemi pouvait s'apercevoir d'une ruse, qui n'avait pour but que de temporiser afin d'attendre les secours qu'on devait lui envoyer du Péloponèse. Avec quelle anxiété on les désirait! Nos regards, dit le lieutenant-colonel du génie, M. Graillard (1), cherchaient à découvrir à l'horizon quelque point mobile qui finit par se dessiner en forme de voile! Combien de fois, dans notre attente déçue, ne primés nous pas pour des navires l'aspect trompeur de quelques nuages fugitifs! Enfin le 20 novembre au matin, nous vimes la goëlette turque, qui faisait partie des armements de Jousouf pacha, manoeuvrer pour rentrer dans le golfe de Patras, tandis qu'un des bricks ennemis, trop avancé pour suivre la même direction, à cause du vent contraire, cinglait toutes voiles dehors vers Ithaque. Ils avaient aperçu l'étendard de la Croix flottant aux mâts de

(1) Relation manuscrite de la défense de Missolonghi, par M. Graillard, datée du 22 janvier 1823.

six bâtiments Hydriotes, qui arrivaient avec la rapidité des alcyons, poussés par le vent du midi.

Ils portent le cap sur l'ennemi, ils le poursuivent, ils gagnent, ils l'approchent, ils le serrent, l'éclair brille, le canon tonne, le combat s'engage; le brick turc se bat bord à bord avec un brick hydriote commandé par le navarque Lazaros, et après avoir perdu la moitié de son équipage, il s'échoue sur la plage d'Ithaque... Nous suivons des yeux l'escadre libératrice, mais le vent tombe, et la nuit qui survient la dérobe à notre vue.

Partagés entre le bonheur d'un secours désiré et quelques craintes, avec quelle impatience nous passámes la nuit! Le 21 novembre au matin, nous aperçúmes les vaisseaux, grecs à l'ancre près du fort de Vasiladès. Quels transports! quel moment de bonheur! Il nous sembla voir le génie tutélaire de la Hellade sortir du sein des eaux, pour dominer encore et la terre et la mer.

La division navale grecque n'eut pas plus tôt rendu la navigation libre entre l'Étolie et le Péloponèse, que quatre de ses vaisseaux mirent à la voile, pour aller prendre, dans le golfe de Cyllène, les troupes que le gouvernement des Hellènes envoyait au secours de Missolonghi. C'était le 23 novembre; mais ce jour d'allégresse fut troublé par la mort du général Norman, qu'une fièvre ataxique, résultat de sa funeste campagne en Épire, conduisit au tombeau. Infortuné! Il sentit approcher son heure suprême avec l'unique regret d'expirer loin d'une jeune épouse qu'il chérissait ;

car il entrevoyait la certitude de la victoire, dès qu'il eut appris l'arrivée de l'escadre hydriote. Le président perdait en lui un ami, ses camarades un frère, les soldats un chef intrépide. On lui rendit les honneurs funèbres dus à son grade, et il fut enterré auprès de Cyriaque Iatrani, qui avait perdu la vie quelques mois auparavant, en combattant aux bords de l'Achéron.

C'était la dernière perte sensible que l'armée devait éprouver dans cette campagne. On venait d'apprendre qu'Odyssée et le stratarque André Londos avaient réoccupé Salone, les Turcs s'étant enfuis à l'approche de ces deux généraux, qui s'étaient emparés d'une partie de leurs bagages. On vit entrer, quelques jours après, au port, un vaisseau chargé de munitions de guerre commandé par Spiros Vitalis, Zantiote, qui venait de Livourne. Il avait fait voile vers Missolonghi à la première nouvelle du blocus de cette ville. Le même jour les frères Kalergys firent don au gouvernement, de fusils et de canons; mais les Maniates en volèrent une partie. La fortune commençait à sourire aux chrétiens. Mavrocordatos, satisfait d'avoir obtenu, à la faveur de la discorde qu'il avait excitée entre les pachas, le temps nécessaire pour recevoir du secours du Péloponèse, allait être non moins secondé par la haine aveugle que les agents anglais des îles Ioniennes portaient aux Hellènes.

On a dit avec quelle joie cruelle les émissaires du gouvernement britannique de Corfou avaient publié l'invasion de Dramali en Morée; le parti qu'ils

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