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craindre d'un ennemi qui n'avait plus en sa faveur que la chance, plus que douteuse, de cette dernière attaque, si on lui résistait, ainsi que la religion et le devoir le commandaient.

On passa la nuit, dit M. Graillard, auquel j'emprunte une partie de ces détails, dans les batteries et sur les remparts. Il était près de cinq heures du matin quand l'ennemi se mit en mouvement; la pâleur de la lune, à moitié voilée de nuages, semblait favoriser l'audace des Turcs. Déja huit cents des plus déterminés étaient parvenus, sans être découverts, à se glisser dans le fossé avec des échelles et des fascines. A deux cents pas en arrière se trouvaient deux mille hommes de leur infanterie, prêts à les seconder, en dirigeant leurs feux contre le parapet, de manière à diviser l'attention des Grecs et à les attirer d'un côté opposé à celui du véritable point d'attaque, pour faciliter l'assaut à ceux qui devaient l'exécuter. Omer Brionès, Routchid et deux autres pachas devaient se précipiter, au même instant, avec le reste de leurs soldats, et faire main basse sur les chrétiens. Le succès leur semblait immanquable; Omer en avait informé d'avance Varnakiotis, qu'il avait contraint de se rendre sur la frontière du Xéroméros, en lui écrivant : Je dine demain à Missolonghi.

A cinq heures précises du matin, le signal ayant été donné par une décharge générale de l'artillerie turque, l'attaque commence sur toute la ligne avec une furie inconcevable. La fusillade s'engage, et, des deux côtés, le feu du canon éclate avec viva

cité. Les Turcs embusqués dans le fossé s'élancent et montent à l'assaut en poussant des hurlements affreux. Armés de sabres et de poignards afin d'être plus légers à l'attaque, ils atteignent le sommet du rempart, où les chrétiens, attentifs à la voix du commandement, persuadés que le moment décisif est arrivé, les saisissent par fois corps à corps et les terrassent. De deux porte - drapeaux turcs, qui avaient planté leurs étendards sur le parapet, l'un tombe percé d'une balle, et l'autre est fait prisonnier dans la place où il était entré; les barbares sont renversés. Le carnage commence! un peloton, parvenu à franchir la muraille, est égorgé par les Arcadiens du mont Cyllène; les soldats de Canelos, unis aux Étoliens, écrasent les Turcs qui se débattent dans le fossé. Des décharges d'artillerie à mitraille foudroient les deux mille hommes d'infanterie qui s'avançaient pour soutenir les assaillants; et ceux qu'un zèle religieux pousse à vouloir enlever les blessés et les morts tombent victimes de 4eur fanatisme sur les glacis de la place..... Mais le jour augmente, la campagne s'éclaire, et les premiers rayons du soleil, en dévoilant cette scène nocturne, révèlent aux barbares l'étendue de leurs pertes, en même temps qu'ils font connaître aux Hellènes l'importance de leur victoire. Mille des plus braves soldats d'Omer Brionès étendus sur la fange, dix drapeaux enlevés aux infidèles, tels étaient, à huit heures du matin, les résultats d'une victoire due à la sagesse de Mavrocordatos. Il l'avait méritée par sa rare prudence, autant que les Grecs

par leur valeur; et chose qui semblerait incroyable, si des officiers français témoins oculaires de cette action ne l'attestaient, les chrétiens ne perdirent que six hommes dans cette affaire mémorable.

On apprit, le même jour, par quelques Grecs esclaves, échappés du camp des Turcs à la faveur du désordre qui y régnait, qu'ils étaient consternés de leurs pertes. Omer Brionès avait versé des larmes ; et, au lieu de l'attaquer, comme quelques capitaines le demandaient, Mavrocordatos, qui avait des vues d'un ordre supérieur, jugea nécessaire de lui laisser reprendre confiance, et défendit de faire aucunes sorties.

Il venait d'apprendre que Pierre Mavromichalis était arrivé à Catochi, et que les Souliotes qui se trouvaient à Céphalonie depuis la perte de la Selléide, se disposaient à se rallier sous ses drapeaux. Ils en avaient obtenu la permission des Anglais, en faisant valoir la capitulation qu'ils avaient consentie sous leurs auspices, et en représentant qu'étant une peuplade de soldats, ils ne pouvaient nourrir leurs familles qu'en faisant la guerre aux Turcs, leurs ennemis naturels. La politique britannique s'était accommodée de ces raisons, et la seconde partie de la grande catastrophe préparée par Mavrocordatos devant s'accomplir de concert avec les insurgés, il voulait par cette raison temporiser. Mais comment modérer l'ardeur des lions intrépides qui venaient de vaincre les infidèles?

La marine grecque se chargea de distraire les soldats. Par une de ces singularités qui leur sont

assez ordinaires, les Anglais, qu'on avait vus négocier, pour procurer sur terre des succès aux Turcs, semblaient les abandonner sur mer à des bricks marchands, devenus la terreur du Croissant. Le ministère de S. M. B. avait reconnu le blocus des places assiégées par les Hellenes; et les Grecs, informés que la bande noire chargée de leurs approvisionnements attendait un bâtiment de guerre étranger, pour escorter un convoi de vivres qu'elle voulait envoyer à Patras, résolurent d'empêcher cette expédition.

Le navarque, informé à point nommé de l'expédition projetée par la compagnie des agioteurs de Zante, avait à peine établi sa croisière au promontoire Araxe, que ses vigies signalèrent un bâtiment suspect escortant un convoi. Il porte soudain le cap dans cette direction, et, parvenu à distance, il assure le pavillon de la Croix par un coup de canon, auquel le navire inconnu répond en hissant sa bandière. On l'approche; c'était un brick armé de quatorze pièces de canon, le Montecuculli, et on lui signifie que la ligne de blocus ayant été déterminée et reconnue jusqu'à cette hauteur, il ne pouvait naviguer au-delà. Il insiste pour passer, en prétendant au titre de bâtiment de guerre! On lui répond qu'il n'est qu'un pacotilleur, et on lui en fournit la preuve, en lui envoyant la liste des marchandises qui se trouvaient sur son bord. On l'entoure; on saisit son convoi, qui, amariné sous ses yeux est conduit à Missolonghi, et il est obligé de virer de bord, sous l'escorte de trois bâtiments

grecs, jusqu'au port de Zante où il rentre honteusement, à la vue des Anglais qui félicitent les Hellènes de soutenir des droits qu'ils ont si glorieusement acquis.

La marine impériale d'Autriche favorable aux Turcs dut feindre d'ignorer cet affront, dont elle ne tarda pas à faire retomber la vengeance sur Antoine Maritza, agent consulaire de France. Dénoncé comme complice de baraterie dans une affaire atroce qui s'était passée aux Scrophes, il est enlevé d'un bâtiment autrichien qu'il avait sauvé, par le lieutenant de vaisseau Angelo Soardo. Arraché au milieu d'une foule de femmes et d'enfants réfugiés sur ce navire, on le charge de chaînes, ainsi que son neveu, son écrivain, et ils sont bientôt après traînés dans les prisons de Trieste (1).

Ces incidents ayant fait trève à l'impatience de la garnison de Missolonghi, Mavrocordatos trouva le moyen de l'amuser ensuite par des escarmouches, qui durèrent jusqu'au 11 janvier (30 décembre),

(1) Ils arrivèrent le 13 janvier suivant à Trieste, et reconnus innocents, ils furent relâchés le 2 juillet 1823, après cinq mois d'incarcération. Les auteurs de leurs maux furent Nicoletto Zen, et son collègue. Voici un état des objets qu'Antoine Maritza réclame de la probité des agents de l'Autriche, qui s'empresseront sans doute de faire droit à ses réclamations : quarante-quatre chemises, une ceinture avec agrafes estimées quarante sequins de Venise, cent louis d'or monnayé, trois cents roubiés, trente sequins vénitiens, six rosponis, une double pontificale, dix-huit ducats, ses meubles embarqués sur le bâtiment, sa batterie de cuisine, et les effets appartenant à son épouse.

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