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jour auquel Omer Briones reçut une lettre de Varnakiotis, qui l'obligea de prendre un parti décisif. Il lui mandait que J. Rhengos, oubliant la foi jurée lorsqu'il embrassa la cause du sultan au mois d'octobre précédent, s'était de nouveau rangé dans le parti des Grecs Acarnaniens rentrés en terre ferme. A la suite d'une violente altercation avec le vieux Gogos Bacolas, capitaine de l'Athamanie, dont la fidélité était, disait-il, équivoque, il avait déclaré publiquement qu'il voulait désormais combattre et mourir pour la cause de la Croix. Qu'il marchait, par Langada, à la tête de trois cents palicares, pour lui couper la retraite dans le Macrynoros. Enfin il le prévenait de l'arrivée à Catochi, de Pierre Mavromichalis, qui avait déja réussi à rassembler plus de deux mille cinq cents hommes sous ses drapeaux; de l'occupation des défilés des lacs Ozeros par les insurgés de l'Agraïde, de la levée en masse des paysans du Valtos, et de la nécessité de pourvoir à sa sûreté avant que toute espèce de retraite lui fût coupée. Pour comble d'embarras, on venait d'apprendre qu'Odyssée manœuvrait sur l'Événus, et qu'il était au moment de pénétrer dans le Vlochos.

La nuit qui suivit la réception de cette dépêche fut extrêmement agitée, sans que les assiégés en connussent la cause. Le 13 janvier, à deux heures du matin, on aperçut les feux d'un vaste incendie. C'étaient les tentes des Turcs auxquelles ils avaient mis le feu. Mais on craignait quelque ruse, et on attendit le jour pour faire une reconnaissance.

En effet, à sept heures on sortit. Omer Brionès s'é- . tait mis en route à deux heures du matin, et son armée le suivait en désordre. On n'osait encore ajouter foi à une retraite aussi précipitée, on craignait qu'elle ne couvrît un stratagème, et ce ne fut qu'au retour de quelques éclaireurs détachés pour reconnaître le camp ennemi, qu'on apprit qu'il était en plaine retraite.

Une partie de la garnison, conduite par Mavrocordatos, se porte aussitôt sur les lieux. On s'empare de huit pièces de canon en bronze, montées sur affûts de campagne, de leurs caissons, de deux obusiers, d'un mortier, des munitions de guerre, des fusils, des effets de campement et d'une quantité considérable de provisions de bouche. On montre le lieu où était dressée la tente d'Omer Briones, qu'on trouve renversée; on voit les tables qu'il n'avait pu emporter, une partie de ses harnais. On visite le quartier des Toxides, celui des Guègues, et le lieu où les Asiatiques avaient dressé leurs somptueux pavillons. A chaque pas on découvre des armes, des selles, des bagages, on fait main basse sur quelques traînards, après avoir tiré d'eux des renseignements relativement à la route que l'ennemi suivait dans sa fuite.

Informé qu'Omer Brionès se retirait par le défilé de Cleïsoura, tandis que Routchid pacha, traversant la forêt de Coudouni, marchait vers Gérasovo, on détache cinq cents hommes à leur poursuite. Ils volent sur leurs traces, en passant au fil de l'épée les fuyards qui tombent sous leur

main; arrivés à Cleïsoura, ils enlèvent aux Turcs la dernière pièce d'artillerie qu'ils avaient sauvée, et ne les quittent qu'en vue du lac Trichon (1).

Ils rentraient au camp en même temps qu'un détachement envoyé à l'embouchure de l'Événus, où Routchid pacha avait établi son camp. Instruit à temps de la résolution de son collègue, il avait évacué les malades et les blessés sur Lépante; et on avait saisi une grande quantité de bagages abandonnés dans les villages de Galata et d'Hypochori. Les Grecs ramenaient en triomphe deux canons et un mortier, dont ils s'étaient emparés. Leur bonheur était au comble; ils étaient désormais invincibles; ils triomphaient du superbe Omer Brionès. Il ne s'agissait plus que d'anéantir son armée; et dès que Mavrocordatos leur eut permis, de la poursuivre, les chrétiens prirent la route de Vrachori, vers laquelle l'ennemi opérait sa retraite.

C'était le 26 janvier. Omer Brionès, au moment

(1) Ce fut à peu près dans ce temps que le docteur Lucas, médecin d'Ali Tébélen, et frère de l'infâme Athanase Vaïa, déserta du camp d'Omer Brionès pour se réfugier à Missolonghi. Il donna à Mavocordatos plusieurs renseignements utiles, qu'il n'est pas encore temps de révéler. On sut par lui que ce serasker avait fait un médecin d'un des Philhellènes pris à Péta, auquel il avait sauvé la vie. L'esculape de sa façon tuait journellement une foule de malades sans rien perdre de sa considération, Omer soutenant envers et contre tous que c'était un fort habile homme, quoiqu'il eût dépêché un des éphèbes, Delicias domini! En revanche l'archiatre s'était décidé à prendre le turban; nous nous abstenons de nommer cet individu par respect pour sa famille.

où l'on découvrit ses avant-postes, en s'éloignant des bords de l'Achéloüs, rétrogradait. Le fleuve, gonflé par les pluies qui n'avaient pas cessé de tomber depuis six semaines, ne lui avait pas permis d'opérer son passage au gué de Stratos. Cependant quelques éclaireurs qui avaient gagné la rive droite, à la faveur des chevaux dressés pour franchir ce passage à la nage, lui en avaient assez appris pour connaître que la position de Lépénou était occupée par un corps d'insurgés, ainsi que les principaux défilés. Dès lors il conçut le projet d'attirer l'attention des Grecs sur plusieurs points, et de chercher ainsi le moyen de se frayer un passage pour rentrer dans l'Épire.

Après avoir formé cette résolution, il vint s'abriter au milieu des ruines de Vrachori, afin de reprendre haleine, et il y séjourna jusqu'au 2 février, où, apprenant que les eaux de l'Achéloüs étaient considérablement baissées, il voulut de nouveau tenter le passage du gué de Stratos. Sa cavalerie pouvait lui donner la facilité de l'effectuer, en prenant en croupe un fantassin qu'elle déposerait sur la rive droite du fleuve. Ceux-ci devaient, à leur tour, former une espèce de tête de pont, tandis que les cavaliers transporteraient successivement les hommes de pied; et tous, partant de là en masse, avaient assez de moyens pour forcer les passages, et regagner les bords du golfe Ambracique; mais ce projet, sans être déraisonnable, n'eut aucun succès.

A peine les premiers pelotons de l'infanterie

J

turque avaient pris pied sur la berge opposée de l'Achéloüs, que les compagnies de Lépéniotis, unies aux Acarnaniens et à quelques détachements des soldats de Mavromichalis, les ayant chargés, ils furent culbutés dans le fleuve, et la cavalerie qui arrivait à leur secours partagea leur désastre. Les chevaux qui n'avaient pas eu le temps de respirer, obligés de se remettre aussitôt à la nage, furent emportés par la rapidité des courants et se noyèrent. Ce fut un spectacle affreux de voir les cavaliers saisissant les bordures de lauriers-roses lorsqu'ils parvenaient à se dégager de leur selle, lutter contre la mort, ou ne gagner quelques bas-fonds que pour y servir, en quelque sorte, de but aux tirailleurs grecs qui les perçaient de balles. Le cœur d'Omer Briones, quoique endurci dans le métier des armes, ne put résister à ce spectacle; et, après avoir vu périr quinze cents de ses meilleurs soldats, il se retira du côté de Zapandi, en versant des larmes.

Il y apprit, durant la nuit, par le retour de quelques Iapyges qu'il avait envoyés à la découverte dans l'Acarnanie, que ceux de ses soldats qui avaient été d'abord assez heureux pour gagner les montagnes, avaient été tués ou faits prisonniers par les Grecs, dès qu'ils eurent passé le fleuve. Ils lui confirmèrent la nouvelle de la défection de Rhengos, qui occupait les passages du Macrynoros, et que les routes jusqu'à l'Arta étaient interceptées par les insurgés. Ainsi, il fallait vaincre ou périr; car le Vlochos n'offrait de toutes parts que des villages.

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