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incendiés, une campagne désolée, et les maladies faisaient de tels ravages parmi les Turcs, que pour sauver ceux que la nécessité retenait encore sous les drapeaux du Croissant, il n'y avait plus un instant à perdre.

Ainsi, après avoir chargé Routchid pacha d'injures ainsi que les Osmanlis qu'il commandait, auxquels il attribuait les désastres d'une campagne commencée sous d'heureux auspices, Omer Brionės se décida à tenter le passage du pont de Coracos. Mais il ne fut pas plus heureux dans cette troisième tentative. Prévenu par Hyscos et Christos Tzavellas, qui campaient depuis quinze jours aux environs de Véternitza, les bandes du mont Phrycias qui faisaient, cause commune avec eux n'eurent pas plus tôt aperçu l'avant-garde Albanaise, qu'ils l'enveloppèrent, et Omer n'échappa à leur poursuite qu'en laissant cinq cents de ses Toxides sur le champ de bataille. Rejeté ainsi en dehors du canton de Carpénitze, son armée se trouva réduite à manger ses chevaux.

Omer Briones détacha du côté de l'Événus Aslan bey d'Argyro-Castron, qui était un de ses plus braves officiers, en faisant répandre le bruit qu'il se proposait de traverser le mont Callidrone, et de pénétrer, par la vallée du Sperchius, dans la Thessalie. Il n'en fallut pas davantage pour attirer une partie des Grecs de ce côté, vers lequel Georges Hyscos, frère d'André, chiliarque d'Agrapha, se porta en toute hâte; et, les insurgés qui gardaient la rive droite de l'Acheloüs s'étant dégarnis à cette nou

velle, Omer Brionès, dirigé par ce même Passano d'Ancone, dont nous avons parlé précédemment (1), effectua son passage dans la nuit du 27 février, au gué de Stratos, qu'il n'aurait jamais dû franchir, sans la faute commise par les insurgés. Le 28, il avait dépassé les Ozeros ou lacs de l'Acarnanie, et, une partie de ses soldats ayant abandonné armes et bagages pour mieux courir, il arriva le 5 mars à Vonitza avec quatre mille hommes, tristes débris d'une armée florissante, composée de près de dixsept mille combattants lorsqu'il était entré en campagne, au mois d'octobre précédent. Il resta pendant trois jours dans cette ville pour attendre des embarcations qui n'avaient pas encore reçu tous ses soldats, quand son arrière-garde fut attaquée par Marc Botzaris (2), qui lui tua et prit une partie de ce corps ainsi que ses bagages.

Accablé du malheur de sa situation, Omer Brionès s'empressa de se réfugier à Prévésa auprès de son ancien ami, Békir Dgiocador, qu'il trouva, suivant sa coutume, jouant tranquillement aux cartes avec quelques débauchés qui formaient son entourage habituel. Routchid pacha s'embarqua de son côté pour rentrer à l'Arta; et les Schypetars,

(1) Il le considérait comme son esclave. Cet aventurier, après avoir végété long-temps dans les fers, est parvenu à se tirer des mains des Turcs, et il se trouve maintenant en Italie.

(1) Marc Botzaris avait pénétré à plusieurs reprises dans le camp des Turcs. Il osa mème entrer dans la tente de Routchid pacha; il avait plusieurs fois usé de ce stratagème pour découvrir la situation des ennemis.

après avoir chargé de malédictions Omer, Routchid, le Sultan, ainsi que toutes les dynasties passées, présentes et futures d'Ottman, mirent Vonitza au pillage. Arrachant aux Osmanlis des armes dont ils ne savaient pas se servir, ils s'équipèrent à leurs dépens; et, dès qu'ils eurent passé le golfe Ambracique, ils surent si bien s'indemniser aux dépens des paysans de la basse Albanie, qu'ils rentrèrent dans leurs montagnes mieux pourvus qu'ils n'en étaient sortis.

Cependant le Musaché, en voyant reparaître les débris de ses vieilles bandes, fut plongé dans la douleur. Les femmes firent retentir les valfons du mont Ismaros d'imprécations contre Omer Brionès et la Majesté des Sultans. On chassa tout ce qui était Osmanli à Bérat; Avlone se donna des magistrats, et la Toscaria dressa un arzugal (pétition), afin de demander le fils d'Ibrahim pour visir, en déclarant que la prière cesserait dans les mosquées si on ne faisait pas droit aux réclamations du peuple. On envoya quelques derviches en députation à Constantinople; mais la brigue, qui ne laissait plus depuis long-temps retentir la voix de la vérité jusque sous le dais impérial de Sa Hautesse, sut enchaîner leur langue.

Omer pacha ferma lui-même les yeux sur les troubles de la moyenne Albanie; c'était le meilleur moyen de les apaiser. Mais quelques efforts qu'il fit ainsi que le consul anglais de Prévésa, ils ne purent soustraire au mépris public Varnakiotis et ses complices. Le traître, obligé de quitter l'Acar

nanie, obtint la permission de se retirer à Zante (1). Tel fut le résultat de la campagne des Turcs dans l'Acarnanie et l'Étolie, où Mavrocordatos venait de nommer Marc Botzaris stratarque de la Grèce occidentale, quand il reçut des dépêches du comte Métaxas, qui l'informait du résultat de sa mission auprès du congrès de Vérone.

La lettre d'André Métaxas, écrite d'Ancône, le 15 janvier 1823, contenait, parmi une foule de lieux communs, certaines observations dignes d'être rapportées. << Dans ma correspondance avec les mi«nistres des augustes souverains réunis à Vérone, <«< écrivait-il, en parlant de la situation politique et militaire de la Grèce, ainsi que des exploits « des Hellenes combattant sous l'étendard de la Croix, j'ai évité soigneusement toute expression «susceptible de pouvoir être qualifiée de séditieuse «<et d'incendiaire. Le sénat m'avait chargé d'expo<< ser les griefs, les besoins des Hellènes, et de défendre leurs droits. Malheur à moi si je les avais «< soutenus avec des armes propres au mensonge « et à l'erreur; j'ai dû témoigner, et j'ai témoigné <«< la vérité. J'ai fait le mieux qu'il m'a été possible,

(1) On l'y vit paraître avec autant de plaisir que le buste du lord haut- commissaire Maitland. Mais comme on n'avait pas de sentinelles pour éloigner le public, il dut en partir, et, après avoir erré dans plusieurs îles de l'Heptarchie, se retirer sur l'écueil de Calama, où il vecut l'objet des anathèmes de l'église qui l'a rejeté de son sein. Il se trouvait en 1824 auprès d'Omer Brionès, mais il est probable qu'il ne tardera pas à recevoir le châtiment dû à ses forfaits.

<< car il n'était pas en mon pouvoir de m'élever à la << hauteur de mon sujet. Que n'aurais-je pas donné « pour posséder le génie et le talent de l'éloquent

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Athénagore! A défaut de ses moyens, si un vif « désir de servir la patrie avait pu y suppléer, j'au<< rais sans doute réussi (1).

(1) Que ferons-nous de la Grèce? Que ferons-nous de Constantinople? se demandaient, dit-on, les diplomates réunis à Vérone. La réponse la plus simple et la plus naturelle à ces questions ambigues aurait été de dire: Faites de Constantinople ce qu'elle a été, ce qu'elle doit être, c'est-à-dire un trône chrétien, indépendant, et vous ne serez plus embarrassés de faire de la Grèce ce qu'elle doit être, ce qu'elle ne devait jamais cesser d'être, une nation européenne, légalement libre et politiquement indépendante. Cessez de mentir à votre conscience en défigurant le motif de la cause nationale des Grecs, qui est essentiellement celle du christianisme et de la civilisation européenne. Renoncez à l'idée de représenter comme dangereuse aux souverains une insurrection sacrée, et tout évangélique!

Dans vos théories fallacieuses la nation grecque n'est comptée pour rien; personne ne l'interroge, aucun de vous ne daigne consulter ses besoins, ni embrasser ses intérêts. Seule, isolée, attaquée même par quelques lâches chrétiens, elle verse son sang par torrents; tandis que vous proclamez l'abolition de la traite des nègres, disons le mot, vous cherchez à remettre les Grecs sous le joug du successeur des caliphes. Pourquoi avez-vous refusé d'entendre les envoyés des Hellènes? Il eût été moins inique de les faire renfermer dans les cachots de Mayence. Là on les aurait interrogés à huis-clos; ils auraient parlé; et la vérité, qui plus d'une fois a retenti du fond des prisons, aurait peut-être produit quelques grandes conversions. Voy., pour l'éclaircissement de cette question, une brochure intitulée: Lettre Messénienne, sur l'intervention des puissances alliées dans les affaires de la Grèce. Paris, 1824.

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