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secouant ses torches au milieu du conseil des Grecs, montra que, s'ils étaient unis devant l'ennemi, ils étaient malheureusement encore les descendants de ces mêmes hommes que l'antiquité nous représente, après la victoire, en proie aux factions qui firent le malheur de la Hellade.

L'anarchie menaçait de désoler la Grece. Les autorités civiles et militaires étaient en présence. Les unes invoquaient le règne des lois, les autres voulaient du pouvoir, et l'intrigue aux aguets rendait Théodore Négris un des personnages les plus importants de cette époque désastreuse. Incapable d'élévation, vivant au jour le jour, il s'attachait à tous ceux de qui il pouvait espérer du crédit et de l'argent. D. Hypsilantis, qui a montré en Grèce beaucoup de vertus publiques, voulait, quoique indolent, rentrer en scène; et Mavrocordatos, se défendant d'aspirer à aucun emploi, prêt à figurer dans les derniers rangs pourvu qu'il servît sa patrie, ne cherchait qu'à rétablir la concorde entre des chefs divisés par des rivalités d'intérêt et de cupidité.

Plusieurs députés de la Grèce orientale et des îles de l'Archipel étaient déja arrivés dans le Péloponèse, quand le gouvernement hellénique, qui se trouvait à Hermione, demanda à transférer le siége de ses délibérations à Nauplie. Il en fit part à Panos, fils de Colocotroni, commandant dans cette place, qui osa répondre qu'il ne les admettrait que comme simples citoyens; et pour éviter une rupture, ils durent se rendre à Argos, d'où ils ne tardèrent pas à s'acheminer vers Tripolitza.

Théodore Colocotroni, accusé depuis long-temps d'avidité, ne s'était pas plus tôt uni à la famille des Déli-Ianeï, de Caritène, par le mariage d'un de ses fils, qu'il montra une ambition démesurée. Enorgueilli des succès qu'il avait obtenus pendant la dernière campagne, et livré aux suggestions de Théodore Négris, qu'on avait éloigné des conseils du gouvernement, le vieux chef de bande, qui fit toujours son dieu de l'argent, prétendait forcer ses compatriotes à le choisir aux prochaines élections pour président du conseil exécutif. Déclamant avec le ton des démagogues, qui n'invoquent la liberté que pour s'emparer du pouvoir, il ne cessait de se plaindre des prétentions des Phanariotes, qui regardaient la Grèce comme l'apanage des prétendues familles historiques dont ils avaient usurpé les noms. Il pouvait citer avec raison Michel-Comnène Aphendoulief, qui ne parlait qu'imparfaitement le grec; Cantacuzène et Caradjea, qu'on avait vus disparaître successivement; D. Hypsilantis, qu'une vanité ridicule, quoique bon, aveuglait; mais il osait répandre des soupçons injurieux contre Mavrocordatos; et la fourbe fut démasquée. Il parut même se trahir lorsqu'il déclara qu'il ne remettrait la citadelle de Nauplie au gouvernement hellénique, qu'à condition qu'il serait élu président, ce qui aurait équivalu à confier le soin de l'administration à Négris; car Colocotroni, qui sait à peine signer son nom, fut de tout temps étranger au maniement des affaires publiques.

Sans donner trop d'importance aux prétentions

d'un homme incapable de soutenir le rôle auquel il aspirait, on réunit les assemblées électorales de la Hellade, dont les choix ne furent pas plus tôt connus, que le gouvernement précédent s'empressa d'annoncer la cessation de ses fonctions. Pierre Mavromichalis avait été nommé président d'un congrès qui venait de succéder au gouvernement provisoire, tel qu'il avait été organisé dans la session tenue à Épidaure au mois de janvier 1822. Déja plus de trois cents députés étaient réunis à Astros, dans la Cynurie, où l'on avait établi le siége des états, quand on reçut les propositions de Colocotroni, qui s'expliquait article par article sur la nature de ses prétentions. Elles furent toutes mises au néant; sommé de remettre les clefs de Nauplie de Romanie, il évacua cette place, en laissant son fils Panos à la tête de la garnison; et on le nomma généralissime du Péloponèse. Odyssée fut confirmé dans le commandement de la Grèce orientale, et Marc Botzaris dans celui de la Hellade hespérienne.

Telle était la situation du gouvernement hellénique, qui semblait prendre modèle sur la marche tortueuse de la Porte Ottomane. En même temps qu'elle faisait arrêter à Jassy et à Bukarest les boïards qui y étaient rentrés en vertu de son amnistie, le consul autrichien de Zante inondait la Morée et les provinces adjacentes de prétendues déclarations des puissances alliées, adressées aux chrétiens, dans le but de les engager à s'en remettre au bon plaisir de leurs oppresseurs. Ces

notes fallacieuses portaient qu'à la suite de la médiation de la Sainte-Alliance, les différends qui étaient survenus entre la Russie et la Turquie venaient d'être arrangés à l'amiable; que les puissances chrétiennes, toujours animées des sentiments les plus religieux et les plus philanthropiques, étaient ensuite intervenues auprès de la Sublime Porte, pour l'engager à pardonner à ceux qui reviendraient promptement à une soumission sincère, tandis que les récalcitrants contre cet acte de clémence seraient livrés à toute la rigueur des peines réservées aux rebelles.

Ces paroles retentissaient dans le désert (1), car tout s'élevait contre la Porte pour en démontrer l'absurdité; il n'était plus temps de tenir un pareil langage à un peuple qui, ennuyé d'attendre le Messie politique qu'on lui avait annoncé, aspirait

(1) Le consul autrichien, étonné du manque absolu de succès de ses homélies, en demandait la raison à un député du congrès qui se trouvait à Zante. -« Hélas! monsieur, nous savons à quoi nous en tenir sur l'oubli du passé et les paroles des Turcs. Voyez les suites de l'amnistie de Chios et des garanties données par des consuls tout aussi désintéressés que vous. Sachez, pour vous guérir de la manie des interventions, que la Porte, ne doutant pas, au commencement de la dernière campagne, qu'elle reconquerrait la Morée, avait enjoint à Jousouf pacha de publier une amnistie, et de passer au fil de l'épée tous les chrétiens dès qu'il aurait réussi à les désarmer. Épargnez-vous donc la peine de répandre des proclamations, et surtout ne vous donnez plus une importance inutile auprès de votre gouvernement, à moins qu'il ne juge à propos de continuer à être abusé sur le compte des Grecs. »

a changer le Provisoire par un état fixe d'insti

tutions.

Quoique l'ordonnance de convocation (1) qui inquait le mode à suivre dans les nouvelles élections, en insistant sur la nécessité de choisir des hommes distingués par leurs vertus, spécifiât strictement le nombre des représentants fixé par l'acte d'Épidaure, l'ardeur des communes, pour installer une confédération capable de contribuer au bien-être général, était telle, qu'environ trois cents députés étaient réunis au commencement du printemps à Astros. Il s'y trouvait également un corps considérable de troupes, une foule de chefs militaires, tels qu'Odyssée, Mavrocordatos, D. Hypsilantis, l'archimandrite G. Dikaios, et un grand nombre d'étrangers. Les séances et les délibérations du congrès se tenaient à l'ombre d'un bocage de citronniers et d'orangers, entre le lever du soleil et midi, tandis que l'auditoire et les spectateurs restaient à l'écart sous le couvert d'un plant d'oliviers.

Le premier soin du congrès ainsi constitué fut de réviser et corriger quelques articles de la constitution d'Épidaure. Les députés, prenant pour leurs modèles les législations connues, et y cherchant ce qui était applicable à leur situation, avaient nommé une commission. Sur sa proposition on déclara que

(1) Voy. le rapport du chevalier Édouard Blaquière sur l'état actuel de la confédération grecque, et sur les droits à l'assistance et aux secours de la chrétienté, lu au comité grec à Londres le 13 septembre 1823; traduit et imprimé à Paris, 1823.

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