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<< poser de la vie de celles qu'un même foyer vit << naître dans nos montagnes? Filles, épouses,

« mères, sœurs, enfants d'une commune origine,

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qui d'entre les femmes de Souli ne vous a pas suivis depuis la cabane jusque dans les retranchements, « où vos sœurs, vos femmes, vos mères n'ont pas <«< craint, au fort des dangers, de charger vos fu« sils, d'étancher votre sang, de panser vos bles<< sures et de rafraîchir vos poitrines haletantes par « des boissons salutaires, sans craindre les balles et <<< les boulets? Vous les connaissez, ces femmes, vos «< compagnes, qui, plus d'une fois, le sabre en «< main, ont chargé les barbares, fait des esclaves, << et honoré le nom de Souli à la face du monde. Eh «< bien! ces mêmes créatures, toujours dévouées et << soumises, sanctionnent aujourd'hui l'arrêt que vous << avez porté contre elles. Elles demandent à mourir << en chrétiennes, voulant paraître devant le tri«<bunal de leur juge suprême en martyres, et non << pas comme un vil troupeau immolé par le déses<< poir à la jalousie. Elles réclament des armes et «< l'honneur de périr à vos côtés; c'est à ce prix qu'elles consentent au grand sacrifice que la né«< cessité vous a imposé. Elles auront soin que leurs <<< enfants ne tombent pas au pouvoir des maho« métans; eux, ainsi que les vieillards, trouveront, << dans les mines du château de Ste-Vénérande, le « moyen de se soustraire à une honteuse servitude. >>

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Touchés de ce discours, les chefs s'empressent d'organiser un bataillon de quatre cents femmes

et ils renvoient à Khourchid pacha ses commissaires, en leur disant qu'ils n'avaient pas d'autre réponse à lui donner que le récit qu'ils les chargèrent de lui faire, de ce qu'ils avaient vu et entendu à Souli.

Le 10 juin les combats recommencèrent dans la Selléide. Ses défenseurs, impatients de chasser les Turcs du triangle de leurs lignes, attaquèrent Méhémet pacha et reprirent le moulin de Dâla. Mais, comme si la fortune se fût complue à ne leur accorder ses faveurs que pour leur faire sentir plus cruellement son inconstance; tandis qu'ils obtenaient ce succès, deux mille Turcs, commandés par Omer Brionès, enlevaient Avaricos. Le polémarque, que les années rabaissaient au-dessous de la valeur bouillante des Souliotes, au lieu d'attaquer l'ennemi au même instant, avait laissé Khourchid envoyer des renforts à son lieutenant, qui garnit aussitôt de canons et d'obusiers ce plateau sur lequel on pouvait faire manoeuvrer quelques pelotons de cavalerie légère. La faute fut plus sensible le lendemain, quand un parti turc, très-considérable, se précipita du côté de Samoniva, d'où on ne parvint à l'éloigner qu'après une lutte sanglante qui dura pendant cinq heures de temps.

La journée du douze se passa en actions brillantes sur les différents points de la Selléide où les Grecs et les Turcs étaient établis; et il serait impossible, sans se répéter, d'indiquer toutes les prouesses qui eurent lieu dans les divers engage

ments.

Le 13 au matin, les Souliotes, décidés à sortir, par un coup d'éclat, de la position précaire à laquelle ils étaient réduits, escaladent et emportent les hauteurs d'Avaricos, tandis que des détachements isolés se rendaient maîtres des défilés qui conduisent à cette hauteur. Les barbares, épouvantés d'une pareille résolution, s'effraient, reculent, et voyant les passages au pouvoir de leurs ennemis, se rallient pour les repousser. On se presse, on se dispute le terrain, lorsque sept Souliotes, descendant de rochers en rochers, parviennent au bord de l'Achéron, qui roule ses eaux mugissantes au fond des abîmes, à l'endroit où elles séparent Avaricos du village de Souli, et mettent le feu aux magasins des Turcs.

A cette vue les infidèles poussent un cri de désespoir, et les chrétiens, profitant de leur confusion, pénètrent dans la place qu'ils occupaient. La déroute devient générale. Les Asiatiques, qui ne peuvent fuir, sont précipités du haut des mornes. Dixsept cents d'entre eux périssent, et la terreur devenant générale, les Schypetars mahométans se débandent, en laissant aux Souliotes artillerie, drapeaux, munitions; Omer Brionès, obligé de se sauver à pied à travers les escarpements, a la douleur de voir prendre, sous ses yeux, son cheval de bataille.

Parvenu au-delà du fleuve, harasse et tombant de fatigue, il est réduit à monter une mule, sur laquelle il fait sa rentrée à Souli, en déplorant plus amèrement la perte de son cheval, que celle des

Asiatiques dont les cadavres encombraient le lit des torrents qu'il venait de repasser. Il se retourne plusieurs fois vers Avaricos, en poussant de profonds soupirs pour le compagnon de ses dangers. Tel qu'Achille assis devant sa tente, il demande non un autre Patrocle, mais son coursier qu'il chérissait avec tout l'amour d'un Bédouin (1), en chantant la myriologie de cet animal qu'il nommait son bienaimé, la gloire et la lumière de ses yeux (2). Il expédia plusieurs parlementaires afin de redemander son genéreux coursier; il offrait cinq mille talaris pour sa rançon (vingt mille francs), mais il ne fut pas écouté. Exaspéré de ce refus, et non moins affligé de l'idée que son cheval serait possédé par un capitaine chrétien, Omer Briones promit la même somme à celui qui parviendrait à le reprendre ou à le tuer. Il priait, il conjurait, il pressait ses Toxides de venger son injure, et il leur exprima son désespoir en des termes si pathétiques, qu'ils demandèrent, d'une commune voix, à marcher contre les Souliotes.

À quatre heures après midi, les Toxides et le restant de l'armée, sortis du village de Souli et des

(1) Omer Brionès, qui avait long-temps servi en Égypte, avait les mœurs des Bédouins.

(2) L'antiquité et les historiens arabes rapportent plusieurs traits semblables de l'attachement d'un guerrier pour son cheval. Nous pourrions en multiplier les exemples, qui sont plus excusables dans des ames brûlantes, que chez quelques personnages, qui poussent la sensibilité jusqu'à faire élever des tombeaux à leurs chiens et à leurs perroquets.

postes qu'ils occupaient, se dirigent, en frémissant de colère et d'indignation, vers le torrent de Samoniva. Un feu épouvantable, mêlé par intervalles de menaces et d'imprécations, éclate aussi loin que l'œil peut mesurer l'espace. Le cheval d'Omer Brionès, que les Souliotes regardaient comme leur plus beau trophée, paraissait sur une éminence, attaché à un mât de pavillon au haut duquel flottait l'étendard de la croix. Le bataillon des femmes avait pris rang parmi les guerriers de la Selléide, et le bruit de la mousqueterie, semblable aux roulements du tonnerre qui retentissent pendant les nuits d'hiver dans la Thesprotie, faisait gémir les échos, quand les Turcs s'écrièrent: Trapezolátres, infidèles, adorateurs du triple dieu brigands sans trone et sans autel, vils raïas révoltés contre l'autorité de votre souverain légitime et de vos agas, qui ont des places fortes et un empereur à Constantinople, sauvez vos tétes en tombant à nos pieds! - Impurs, répondaient les chrétiens, elle ne fut jamais notre roi, la poussière couronnée que vous nommez votre Padischa. Notre Roi, le grand Roi, l'Auguste Trinitaire, JésusChrist, c'est là notre souverain. Notre pavillon, c'est sa Croix! Vos mosquées et ces forteresses, qui font votre orgueil, sont nos autels usurpés et le domaine sacré de nos aïeux, que nous vous arracherons. Nos armes et la victoire, voilà notre légitimité. Eh quoi! hommes sans religion, ne craignez-vous donc ni ciel ni terre, en osant brûler des vaisseaux du roi, tuer des pachas et des beys? ·

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