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approvisionnée par des bâtiments autrichiens chargés de vivres, sortis de la Dalmatie, de Raguse et des Bouches de Cattaro. Le génie malfaisant qui avait engagé Moustaï pacha à quitter Scodra pour ravager la Grèce, l'assistait ainsi dans son entreprise; et l'Observateur autrichien préconisait à l'avance les succès du jeune chef des barbares, contre les défenseurs religieux de la Croix.

Ce n'était pas sans quelque apparence de réalité, en raisonnant suivant le cours ordinaire des évènements; car le Péloponèse, d'où les Étoliens pouvaient recevoir des secours, était plus que jamais en proie à l'anarchie des chefs qui se disputaient l'autorité. Les ambitieux qui n'avaient vu dans un changement de choses que l'avantage de se substituer aux Turcs avaient remplacé les beys mahométans. Le Déli-ianeï, Anagnoste et ses cinq frères, un certain Papa Phléonas, Baroucas d'Argos et Colocotroni, n'étaient plus que de coupables chefs de parti! Les Déli-ianeï, qui se disputaient la possession des timars ou fiefs, dont ils ne considéraient les habitants que comme des vilains corvéables, venaient d'outrager, dans un combat de village contre village, un stratarque nommé Koléopulos, qui s'opposait à leurs prétentions. A la suite de cet évènement, la terre de Pélops avait vu se reproduire des scènes pareilles à celles qui précédèrent le siècle de Thésée, exterminateur des monstres. Les vainqueurs avaient traîné en esclavage le gendre de Koléopoulos, coupé la chevelure de sa fille; et les haines, les représailles, suites de cet évène

ment, avaient occasionné une guerre civile dont il était difficile de calculer les conséquences.

D'un autre côté, André Zaïmis de Calavryta, et André Londos de Vostitza, attaquaient Georges Sissinis, primat de Gastouni, et ces dissensions avaient tellement paralysé les forces des insurgés, qu'on n'éfait pas encore parvenu le 18 septembre à resserrer le blocus de Patras (1), conformément à l'ordre qui en avait été donné par le gouvernement hellénique avant son départ pour Salamine. Cependant on savait à cette époque, à Tripolitza', que cinq mille Turcs sortis de l'ile d'Eubée étaient en marche pour assiéger Athènes.

(1) La lettre suivante du colonel français de La Villasse, adressée à un de ses correspondants à Zante, confirme ce triste état de choses.

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Gastouni, 6-18 septembre 1823.

« J'arrive de Patras, et je compte partir demain pour le camp qui doit se former à deux lieues de cette ville. Hier les Turcs << sont venus, au nombre de mille hommes, nous attaquer; mais « au bout d'une demi-heure de combat, ils ont battu en retraite,

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quoique nous n'eussions que deux cents soldats à leur oppo«ser. Notre perte a été de six individus tués, deux blessés et «< un prisonnier. L'ennemi a eu seize morts, et un blessé que nous « avons fait prisonnier. Ce sont deux cents cavaliers qu'il avait jetés en avant, qui nous ont attaqués, et ils ne nous ont pas << donné le temps de les attendre ; l'infanterie mahométane a pris << la fuite.

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« Si les Grecs n'étaient pas désunis, les Turcs seraient bien de chose; mais la guerre civile divise les Hellènes, et s'ils << ne changent pas de conduite, il est à craindre qu'ils ne com

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C'était donc en vain que toutes les voix parties de l'Étolie, depuis la mort de Marc Botzaris, demandaient des secours aux Péloponésiens, lorsque l'éparque Constantin Métaxas fit connaître l'invasion des barbares à l'amirauté d'Hydra, qu'il priait de venir à son secours. Mavrocordatos, qui se trouvait dans cette île, avait prévenu ses voeux à cet égard, en engageant la marine grecque à mettre en mer. Mais comment y parvenir? On manquait d'argent pour payer les équipages; et d'ailleurs, convenait-il d'aventurer une escadre du côté de Patras, tant que le capitan-pacha serait en force dans l'Archipel? La prudence s'y opposait; car on savait que son intention était de rétrograder vers l'île d'Eubée. Il fut donc décidé que Missolonghi pouvant résister jusqu'à la fin de l'automne, l'attention du navarque se porterait sur les mouvements qui se passaient dans la mer Égée.

Les Psariens, non contents de faire des descentes sur les côtes de l'Asie-Mineure, venaient d'épouvanter la flotte du capitan-pacha, en lui détachant un brûlot qui avait suffi pour le faire sortir du canal de Chios. Des corsaires de Spetzia enlevaient, à peu près en même temps, plusieurs bâtiments de transport turcs dans la bouche Pélusiaque du Nil, et s'emparaient, au retour, d'un chébeck qui portait la solde à l'armée ottomane de l'île de Cypre. Enfin la peste, auxiliaire fidèle des Hellènes, avait moissonné dans le cours d'une semaine le fameux Cassan ou Hassan, lieutenant-général de Méhémet Ali en Candie; le visir de Rhétymos, celui de la

Canée, et un nombre si considérable de soldats, qu'Ismaël Gibraltar, amiral du pacha d'Égypte, avait dû rentrer à Alexandrie, pour y faire une nouvelle cargaison de généraux, d'officiers et de milices.

A la faveur de cette discordance d'opérations, les Samiens débarqués à Taglianos, dans l'Asie-Mineure, récoltaient les produits de la moisson dans les campagnes que les Turcs avaient abandonnées à leur approche. Persuadés que les barbares ne manqueraient pas de les attaquer, ils imaginèrent un stratagème particulier pour les abuser.

Connaissant la poltronnerie des Asiatiques, ils arborèrent un drapeau sur la maison la plus apparente du village de Taglianos. Dirigeant ensuite leurs pas d'un autre côté, ils continuèrent à butiner partout où il se trouvait des grains et des troupeaux à enlever. Plaçant des vigies sur les hauteurs, ils battirent le pays; tandis que les mahométans, qui n'avaient pas tardé à revenir en force, perdaient leur temps à bloquer étroitement leur propre bourgade.

A la vue du drapeau des insurgés, placé sur la demeure de leur aga, ils s'imaginèrent que les Samiens étaient retranchés dans leurs maisons. Et comme ils désiraient, dit le Spectateur oriental (1), éviter toute effusion de sang, en obligeant les Grecs à se rendre à discrétion, ils attendaient depuis quatre jours qu'ils voulussent bien leur livrer leurs têtes, lorsqu'ils commencèrent à soupçonner que

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(1) Spectateur Oriental, no 125.

leur bourgade ne renfermait peut-être personne. On tint conseil à ce sujet. Les raisons pour et contre furent entendues; mais comme personne n'était disposé à sonder le terrain pour s'assurer du fait, on contraignit quelques Juifs d'aller vérifier l'état des lieux. Il est inutile de dire qu'il fallut largement stimuler à coups de bâton ces Israélites afin de leur inspirer du courage; mais à peine eurentils rapporté aux enfants d'Islam qu'il n'y avait pas de Samiens cachés dans leurs maisons, que les barbares se précipitèrent en faisant des décharges de mousqueterie et le sabre entre les dents vers leur bourgade, qu'ils occupèrent en vainqueurs, trop contents d'avoir un drapeau à expédier à Constantinople, où douze tartares, envoyés par Moustaï pacha de Scodra, apportaient un trophée non moins important.

C'était la tête de Marc Botzaris : le grand prévôt de la diplomatie Germanique le fit publier dans le journal à ses ordres; voici le fait. Dans le combat du 20 août, les Souliotes avaient été forcés d'abandonner dix de leurs soldats tués au pouvoir des ennemis, qui se hâtèrent d'en trancher les têtes, qu'ils envoyèrent à Moustaï pacha, en lui en désignant une comme étant celle du polémarque Botzaris. Sans autre examen, le jeune sérasker s'était empressé de l'expédier à Constantinople, ainsi que le bulletin de la grande victoire de Névropolis qu'il avait remportée sur les Hellènes. C'était avec le récit de ce brillant fait d'armes, propagé en Orient par la flotte turque, qu'on se faisait illusion; mais on apprit

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