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Moustai pacha reprenait ainsi quelque courage; mais il n'en était pas de même d'Omer Brionès qui lui tint un discours pareil à celui que Thersandre, citoyen d'Orchomène, attribue à un Perse de l'armée de Mardonius dans une cir

sur une île au milieu des bas fonds. Notre chef du génie était Michel Cokkini, les fortifications se trouvaient en mauvais état. Nous perdîmes un capitaine et plusieurs soldats par l'effet du bombardement. Une bombe, étant tombée sur l'église de St.- Michel, tua la mère du curé, et, en brisant le pavé, fit jaillir une source qui devint le salut de la garnison et des habitants réduits à boire l'eau des lagunes.

22 octobre. Continuation de la canonnade et du bombardement, avec perte de quelques hommes. Le canonnier anglais Martin réussit à tuer les meilleurs bombardiers turcs. Vieillards, femmes, enfants travaillent à réparer nos batteries avec une ardeur admirable. Un jeune homme a la main emportée : il prie sa mère qui se désole d'étancher son sang, afin de continuer son travail.

27 octobre. Le feu des Ottomans se ralentit. La garnison de Missolonghi fait une sortie pour intercepter un convoi de vivres venant d'Hypochori, dont elle s'empare après avoir tué 47 cavaliers turcs.

29 octobre. Nous recevons trois pièces de canon, qui nous sont envoyées de Livourne par le pieux métropolitain Ignace, archevêque d'Arta.

31 octobre. L'ennemi nous envoie un parlementaire chargé de nous offrir une capitulation: on le chasse. Reçu une barque chargée de grain et de plomb provenant de Clarence en Morée. 4 novembre. Tempête, torrents de pluie; cependant le bombardement continue.

5 novembre. L'ennemi prépare des bateaux plats pour nous attaquer. Que Dieu daigne nous protéger !!!

9 novembre. Le bombardement recommence avec une fureur extraordinaire. Les troupes, le peuple et les autorités s'irritent;

constance presque semblable. «Vous voyez, mon « frère, cette armée; vous connaissez sa valeur : eh «< bien, de tout ce nombre d'hommes campés au << bord des lagunes, d'ici à très-peu de temps, croyez

la disette est extrême. L'ingénieur découvre l'importance d'un haut fonds nommé Poros, qu'on peut regarder comme un boulevard placé entre Anatolico et Missolonghi. Il entreprend d'y élever une batterie; l'ennemi fait tous ses efforts pour l'en empêcher, mais inutilement.

10 novembre. Le bombardement continue avec la même fureur. Nous avons à regretter un canonnier spetziote et un jeune homme de seize ans. Jusqu'à ce jour les Turcs ont lancé deux mille bombes. Mon calcul me porte à croire qu'ils ont dépensé 72,000 livres de fer, 12,000 de poudre, sans autre résultat que de nous avoir tué treize individus, et renversé quelques cabanes.

11 et 12 novembre. Le feu des ennemis se ralentit; nous avons perdu un homme par l'explosion d'une bombe.

15 novembre. Nous apprenons que des troupes sorties des Dardanelles de Lépante sont venues renforcer les corps d'Omer Brionès et de Moustaï pacha, dont les armées se montent à vingt mille hommes, la plupart cavaliers. Les munitions, les fourrages leur manquent, les maladies les désolent. On ne fait point de prisonniers dans cette guerre acharnée; on n'a pu encore en faire sentir la nécessité.

17 novembre. Un esclave grec, échappé du camp des Turcs, nous apprend qu'ils songent à se retirer. En effet, ils embarquent leur grosse artillerie, ils incendient leurs barques, et ils abattent les oliviers.

18 novembre. On fait une sortie pour poursuivre l'ennemi, auquel on tue quelques chevaux. Il nous a laissé une quantité de boulets, de bombes, de farine, avec une lettre portant que les Grecs reverront au mois de mai prochain le redoutable sabre du Scodra pacha. Qu'il vienne! sa perte est de plus de 1500 hommes tués ou emportés par l'épidémie.

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moi, il en restera à peine quelques-uns.

Mon « frère, répliqua Moustaï, ce que le destin a réglé, << les hommes ne peuvent l'éviter. Abstenez-vous « de contrister mon ame. Il n'y a pas pour l'homme

de plus grand chagrin que de prévoir ce qu'il y au« rait de mieux à faire et de ne pouvoir l'exécuter. << Trahis par le capitan pacha, qui s'est enfui à notre «approche, c'est à nous de tenter la fortune; espé<< rons que Allah nous dirigera dans le sentier de la « valeur (1).

Constantin Botzaris qui avait succédé à son frère, soupçonnant les desseins de l'ennemi, résolut de le déloger du poste qu'il occupait. Prenant avec lui huit cents hommes déterminés, il l'attaque de nuit, tue ou enlève une partie de ses soldats, et rentre en ville chargé de dépouilles.

Cet évènement, qui eut lieu dans les premiers jours de novembre, ne tarda pas à être suivi des pluies de l'automne; et lorsque les barques de Prévésa arrivèrent, les radeaux qu'on avait construits à Tzambaraki étant prêts, l'armée turque affaiblie ne se trouva plus en mesure de prendre l'offensive.

Un soupçon fatal qui, seul, aurait suffi pour paralyser ses efforts, planait dans l'armée; la Porte venait d'en troubler l'harmonie par sa politique. Adressant secrètement un firman à Omer Brionės, elle l'avait chargé de défaire le Sultan d'un visir puissant qui lui portait ombrage, en lui envoyant la tête de Moustaï pacha de Scodra. Une ukase

(1) Calliope, c. xvi.

semblable avait été envoyée à Moustaï pour faire décapiter Omer Brionès, accusé d'avoir hérité des trésors d'Ali Tébélen. On s'observait, on se tenait dans une défiance réciproque en s'épiant mutuellement, lorsque les éléments, d'accord avec la perfidie du divan, vinrent mettre le sceau aux cala. mités des Ismaélites.

Épuisés par les veilles et par les alarmes continuelles que leur causaient les insurgés, les mahométans ne s'endormaient plus qu'au bruit des orages qui inondaient leurs tentes et leurs bivouacs d'un déluge d'eau, dès que le soleil était couché. A des nuits pluvieuses succédaient des journées brûlantes; et les tremblements de terre, qui sont fréquents à l'automne, imprégnant l'atmosphère de miasmes délétères, les fièvres ne tardèrent pas à se multiplier dans l'armée. C'était l'effet de la température de la région marécageuse de la basse Étolie. On y faisait peu d'attention (car que sont les hommes aux yeux du despotisme?), lorsque chacun éprouva un malaise général.

Les soldats n'avaient jusque-là ressenti que des lassitudes dans les membres, des odontalgies ou maux de dents, des ophthalmies et des horripilations auxquelles succédaient des paroxysmes avec délire, quand le nombre des morts augmentant, les ottomans prétendirent qu'on avait empoisonné les sources. Insensés! la peste, communiquée par le capitan pacha à l'escadre barbaresque, avait pénétré des vaisseaux algériens dans le camp turc, qui offrit les scènes les plus terribles causées par ce fléau

meurtrier. On vit bientôt la terre jonchée de malades ayant les yeux injectés de sang, ou le regard menaçant, la bouche remplie d'ulcères, les membres couverts de taches noires; exhalant, avec des sanglots, un souffle cadavéreux du fond de leurs poitrines. Les uns courant aux fontaines ou vers l'Achéloüs pour étancher leur soif, s'y précipitaient et s'y noyaient. D'autres, atteints d'hydrophobie, fuyant les eaux des sources, gravissaient les rochers ou montaient sur les arbres, en demandant leurs armes pour combattre des fantômes qu'ils croyaient apercevoir dans les airs. Plusieurs, déchirant leurs vêtements, s'exposaient nus et baignés de sueur à l'impression des vents pour rafraîchir leurs membres couverts de pustules bleuâtres, d'où coulaient des ruisseaux de sang, lorsqu'ils se déchiraient avec leurs ongles, pour calmer un prurit qu'ils ne faisaient qu'exaspérer. Les moins énergiques, attaqués de bruissements d'oreilles, croyaient entendre des voix menaçantes parties du ciel, ou sortant du fond de la terre, qui leur annonçaient leur dernière heure. Ils versaient des larmes en nommant les lieux qui les avaient vus naître, leurs parents, leurs familles, leurs femmes et leurs enfants qu'ils ne devaient plus revoir. Un grand nombre, expuant péniblement une sanie visqueuse, la langue gonflée, roulant des regards furieux, expiraient suffoqués. Le désespoir se peignait dans les gémissements de ceux que des bubons qui ne pouvaient faire éruption enlevaient au milieu d'un transport convulsif. Plusieurs, frappés de cécité, errants à

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