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et les Grecs victorieux ayant reparu devant Carystos avec les drapeaux des mahométans, les assiégés, auxquels on laissa les moyens de s'évader, profitèrent en grande partie de l'obscurité de la nuit pour se jeter dans les bois, d'où la plupart parvinrent à se réfugier à Érythrée.

Les Eubéens rentrèrent en foule dans leurs foyers, et Odyssée, Tassos, Diamantis, unis aux navarques de Psara, s'étant portés vers Erythrée, cette place, dernier asyle des Turcs, fut si complètement assiégée, que tout porte à croire qu'elle ne peut long-temps résister. Alors sera complétée la conquête de la Hellade; car les Grecs n'ont point oublié cet adage de Philippe de Macédoine : que celui qui est maître de l'Eubée, est maître de l'Attique; ὅτι ὁ ἄρχων τῆς Εὐβοίας ἄρχει τῆς Ελλάδος.

Mais quelle main pouvait étancher les flots de sang qui coulaient dans la Crète, au moment où les chrétiens étaient victorieux au sein de la Hellade? Le gouvernement qui se trouvait à Argos venait d'apprendre que la flottille de Méhémet Ali, pacha d'Égypte, après avoir escorté jusqu'aux Dardanelles des navires chargés de présents envoyés par les pachas d'Acre et de Tarse au sultan, avait abordé, au retour de cette mission, à Candie. Embarquant aussitôt six mille Turcs tirés de cette ville, elle les avait transportés à Rhétymos, où, donnant la main à la garnison de la Canée, ils avaient fait une invasion dans l'intérieur de l'île. Réunis au nombre

de neuf mille combattants, conduits par Pilal pacha, ils étaient tombés à l'improviste sur les Grecs oc

cupés à la cueillette des olives, dont ils avaient exterminé un grand nombre. Trente-six villages avaient été réduits en cendres! Huit cents vieillards, femmes ou enfants, qui s'étaient cachés dans la grotte de Stomarambellos, enfumés comme les bêtes féroces que les chasseurs forcent dans leurs terriers, avaient été étouffés de cette manière.

Ici s'arrêtait la relation de ce désastre, lorsqu'on fut informé que l'harmoste Tombazis, avec un corps de six mille Grecs, avait rejeté les barbares dans les places, où ils étaient de nouveau renfermés. Aussi la nouvelle des succès des mahométans dans la Crète, quoique propagée avec la gothique emphase du Spectateur oriental, ne produisit pas plus de sensation à Constantinople que dans la chrétienté, où l'Observateur autrichien avouait, avec un dépit concentré: que les évènements militaires de la Grèce avaient de nouveau vivement inquiété le ministère ottoman. On n'a pas, disait-il à ce sujet, regretté beaucoup la perte de l'Acro-Corinthe (1), dont la garnison luttait depuis six mois contre la faim (2), et était presque réduite à rien (3). On a été plus affecté de la nouvelle que les insurgés (4)

(1) Il faut bien vouloir ce qu'on ne peut empêcher. C'est ici le dédain du renard gascon pour les raisins dont il ne pouvait tâter.

(2) Pourquoi le capitan-pacha et quatre armées lancées dans la Béotie n'ont-ils pas ravitaillé cette place?

(3) C'étaient les débris des vingt-huit mille hommes avec `lesquels Dramali envahit l'Argolide au mois de juillet 1822.

(4) On pourrait croire qu'il y a ici une faute d'impression;

avaient pris pied dans l'ile de Nègrepont, et qu'ils étaient débarqués à Mitylène.

Ces paroles, ou plutôt ces derniers abois d'une cause désespérée, ne tardèrent pas à être exprimés d'une manière plus accablante encore pour les turcophiles, à l'arrivée de Th. Maïtland dans les îles Ioniennes. Sa Grace, qui avait touché aux îles de Zante et de Céphalonie, où elle avait appris l'affaire de la corvette algérienne capturée aux attérages d'Ithaque par le navarque Colombotes, ne goûta plus de repos. Ne pouvant punir les Hellènes, elle fit retomber sa colère sur les Ioniens, en faisant publier la proclamation suivante :

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Corfou, 20 décembre 1823.

<< Attendu que, le 10 et le 12 du courant, une des plus flagrantes violations de territoire a eu lieu « dans les îles de Sainte-Maure et d'Ithaque, de la «< part de quelques bâtiments grecs armés, lesquels «< étaient sous le commandement d'un homme appelé le prince Mavrocordatos (1), et cela en opposition à tout principe reconnu de neutralité et « du droit des nations, S. Ex. le lord haut-commis« saire de S. M. B. se voit, avec un souverain déplaisir, forcé d'ordonner que les deux îles ci

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car les Grecs sont qualifiés d'insurgés. On les avait traités jusqu'alors de rebelles: mais l'Observateur Autrichien s'amende. Il a fait d'autres concessions plus importantes; espérons qu'il se convertira, en désespoir de cause.

(1) Mavrocordatos est d'aussi bonne famille que Th.Maïtland; car il est noble à double titre, armis et atavis.

«< dessus nommées soient sur le champ mises, re«<lativement au reste des îles Ioniennes, en une

quarantaine de trente jours. L'inspecteur-général « du département sanitaire de Corfou est chargé de << transmettre immédiatement les ordres nécessaires « à cet effet.

« S. Exc. éprouve une véritable douleur pour les <<< inconvénients et les pertes qui doivent nécessai<«<rement résulter d'une pareille mesure; et ce qui << la rend d'autant plus effrayante, c'est qu'on devait << moins s'attendre à voir tenter de compromettre <«< et d'insulter le gouvernement Ionien, placé sous << la protection exclusive de S. M. B., par des hom« mes qui déclarent combattre pour leur propre liberté, et de rendre ainsi ce gouvernement, si le << fait avait été passé sous silence, complice de ces << terribles malheurs et des odieuses atrocités qui, <<< dans cette occasion et dans plusieurs autres, ont signalé la conduite des parties engagées dans la « guerre actuelle. >>

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Cet incident, et surtout les victoires des Hellènes, altérèrent si rapidement la santé d'un homme irritable, qu'atteint le 17 janvier, à son retour à Malte, d'une apoplexie foudroyante, on entendit presque aussitôt retentir d'île en île jusqu'au fond du Péloponèse et dans Argos, ces paroles effroi des méchants: Sir Thomas Maïtland l'ennemi des Grecs se meurt, sir Thomas Maitland l'ennemi des Grecs est mort! Vanité des vanités, le lord haut-commissaire des iles Ioniennes est scellé dans la tombe! Anathème à ses œuvres et à sa mémoire!

Quelques Grecs voulaient se couronner de fleurs; mais réfléchissant sur l'instabilité des grandeurs humaines, ils se contentèrent de remercier le ciel de les avoir délivrés d'un homme déja trop puni sans doute des maux dont il affligea les enfants de la Croix. On avait des motifs plus nobles et surtout plus importants de se réjouir et de remercier la Providence, qui protégeait visiblement la Hellade.

Le capitan Khoreb pacha avait été disgracié au retour de sa campagne. Aboulouboud, nommé à une satrapie insignifiante au fond de l'Asie-Mineure, venait de disparaître de la scène de la Grèce (1). Le sultan avait déposé son grand visir Ali (2) et

(1) Il fut réintégré quelques mois après dans la charge de Romili vali-cy, la Porte ayant senti le besoin de cet instrument de terreur.

(2) Ali visir Azem fut remplacé par Ghalib pacha, auquel le sultan notifia son élévation par le Khatti chérif suivant en date du 13 décembre.

« Salut, mon premier, visir, représentant absolu, probe et << fidèle, Esseco-Mehmed-Said-Ghalib pacha, apprends que ton «< prédécesseur Ali pacha, d'après son caractère négligent, et ne << s'inquiétant de rien, n'a pris soin d'aucune affaire depuis sa « nomination, quoique ce fût de son devoir; et comme sa con«< duite n'a nullement répondu à mon attente, son renvoi est <<< devenu nécessaire. Comme depuis long-temps tu as été employé a des affaires importantes (*), que tu es instruit de tous <«<les intérêts de l'empire, et que tu as constamment donné des << preuves de fidélité et de probité, en conséquence je t'ai nommé << mon premier visir avec des pleins pouvoirs, et j'abandonne à « ton expérience et à ta fidélité reconnue la direction des af(*) Il avait été ambassadeur à Paris.

"

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