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rinthe ne pouvait faire un plus mauvais choix, dans les circonstances où l'on se trouvait. De quel œil des capitaines et des braves, liés d'intérêt avec les Souliotes, pourraient-ils supporter le commandement d'un stratarque qui portait un nom entaché d'infamie? Il aurait suffi sans cela que Palascas se trouvât accolé à Alexis Noutzas pour perdre toute espèce de considération.

Celui-ci, qui avait connu Odyssée à Janina, au service d'Ali, où il n'avait pas manqué de lui prodiguer des dédains, était regardé comme l'adversaire le plus prononcé de l'émancipation des Grecs, dont il n'avait jamais parlé qu'avec dérision. A Souli, à Vrachori, à Missolonghi, où il avait voté constamment avec Tahir, devenu pacha depuis qu'il eut trahi Marc Botzaris à l'attaque d'Arta (1), Noutzas n'avait jamais ouvert la bouche que pour plaider en faveur du tyran de l'Épire, qui le nommait son fils. C'était sous la protection d'Ali qu'il avait gouverné en pacha turc, plutôt qu'en vaivode chrétien, les quarante-deux villages grecs de la Perrhébie qui gémirent trop long-temps sous son administration. Compagnon de débauche de Mouctar et de Véli, il en avait les mœurs dissolues. Il ne connaissait pas de plus beau gouvernement que celui du sabre et du bâton! Il semblait cependant, depuis l'extinction de Tébélen, s'être converti en désespoir de cause au parti des Hellènes.

L'histoire, dit Platon, qui a reçu ce nom parce

(1) Voy. liv. VII, ch. 1 de cette Histoire.

qu'elle arrête le flux de notre mémoire, ne se compose pas seulement de dates et de faits; elle doit être utile, et à ce titre, suivant le précepte d'Horace, mère de justice et d'équité. Arrivé au point le plus contesté des annales de la Grèce moderne, et trop près des évènements pour en juger quelquesuns avec parfaite connaissance de cause, je me contenterai de les faire connaître tels qu'ils m'ont été communiqués. Mais il en sera probablement de l'évènement que nous allons rapporter, comme de la trahison imputée aux Alcmæonides, après la journée de Marathon (1): il restera peut-être à jamais couvert de doutes, et sujet à beaucoup de commentaires.

A peine Odyssée fut-il informé qu'on envoyait, pour le remplacer, le stratarque Palascas et Alexis Noutzas, qu'on disait chargés de le faire saisir pour le conduire à Corinthe, qu'il remit le commandement de l'armée à son état-major, et se retira, avec quatre-vingts de ses plus intrépides palicares, dans le voisinage d'Arachôva. Il n'avait pas prétendu disputer le pouvoir contre l'autorité du gouvernement hellénique; mais il refusait d'obéir à sa citation juridique. Élevé à la cour du satrape Ali pacha, où être accusé et mandé pour se justifier étaient synonymes d'un arrêt capital, il crut qu'en se rendant à Corinthe c'était courir à sa perte, et la chose n'était pas hors de vraisemblance. La famille de Palascas avait été de tout temps ennemie de la

(1) Voy. Hérodote, liv. VI, Érato, ch. cxiv.

sienne; Alexis Noutzas lui était plus que suspect; D. Hypsilantis, encore puissant, l'avait dénoncé; Théodore Négris, chargé de dresser son acte d'accusation, voulait le perdre. Quelle honte d'ailleurs pour un brave qui avait rendu d'aussi éclatants services, d'être réduit à paraître et à répondre en coupable devant des juges? Abandonner la Livadie, berceau de ses aïeux, où se trouvaient les propriétés de la dot de sa femme, un pays qu'il avait si courageusement défendu, le devait-il, le pouvait-il? II prit donc, sinon le parti le plus légal, celui du moins qui était le plus propre à le sauver, en se mettant à portée d'attendre les évènements. Retiré à peu de distance du théâtre de la guerre, Odyssée s'était mis en rapport avec les éphores de Salone, qui étaient Papa Jean OEconomos, Basile Khazaris, Anagnoste, fils de Nicolas, Anagnoste, fils de Christophe, et Eustate Pharétras, pour aviser aux moyens de défendre la Phocide. Utilisant ainsi les loisirs de sa disgrace, si les Turcs se montraient, il voulait leur faire une guerre de partisans, quand on apprit que Palascas et Alexis Noutzas avaient été tués à l'entrée du Triodos, défilé qui, depuis la mort tragique de Laïus, a toujours été fameux par les assassinats, et ce double meurtre ne manqua pas d'être attribué au fils d'Andriscos.

Tels sont les faits connus au sujet de cet évènement qui répandit la consternation dans l'armée de la Grèce occidentale, si on peut donner ce nom à quelques milliers d'Armatolis et de Péloponé

siens répandus dans le voisinage des Thermopyles, car la plupart des corps s'étaient débandés depuis la retraite d'Odyssée. Sa tête fut frappée d'un anàthème général. La confusion régna dans le sénat des Hellenes; la patrie allait être déclarée en dan ger, si pour faire trève à ces alarmes Thanos Kanacaris, vice-président du pouvoir exécutif, et Gonivos, député, qui se trouvaient à Argos, n'eussent écrit que les Turcs, assiégés dans le château de Nauplie, étaient entrés en pourparlers afin de capituler.

Depuis l'incendie du vaisseau amiral, qui avait été suivi de la dispersion de la flotte ottomane, les Turcs chargés de la défense de Nauplie, n'espérant plus de secours, avaient fait des propositions pour traiter de la reddition de cette forteresse. Les premières paroles de cette négociation, qu'on n'avait jamais entreprise qu'afin d'échanger de plus près des injures et des menaces, furent adressées à cette femme intrépide, Bobolina, qui avait repris avec persévérance, depuis le mois d'octobre 1821, le blocus maritime d'une place à laquelle les destinées du Péloponèse seront à jamais attachées.

› C'était par son entremise que les parlementaires ennemis avaient presque toujours communiqué avec les chefs des Hellènes. Aussi adroite que conelle devinait leurs desseins et leurs penrageuse, sées. Soit qu'ils envoyassent, comme ils le firent plusieurs fois, les hommes de bonne mine et les mieux portants, afin de montrer aux Grecs que, loin

d'être exténués par la disette, ils conservaient toute leur énergie; soit qu'ils déléguassent les plus rusés d'entre eux pour nouer quelques intrigues, ils étaient constamment prévenus par leur ennemie. Bobolina disait aux uns : « que leur extérieur loin « de montrer qu'ils étaient pourvus de vivres, prou« vait qu'ils n'étaient pas assez sobres pour des assiégés, dont la famine triompherait tôt ou tard, « graces à la garde sévère qu'elle faisait aux portes «< de Nauplie. » Elle ne donnait aux autres que des nouvelles affligeantes; et devant eux, comme au milieu du conseil des Hellènes, sa conclusion était toujours: J'ai perdu mon époux, Dieu soit loué! Mon fils ainé est mort les armes à la main; Dieu soit loué! Un second fils, ágé de quatorze ans, qui me reste, combat avec les Grecs, et il est probable qu'il obtiendra un trépas glorieux; Dieu soit loué! Je verserai aussi mon sang sous le drapeau de la Croix; Dieu soit loué! Mais nous serons vainqueurs, ou nous aurons cessé de vivre avec la consolante idée de ne pas laisser après nous de Grecs esclaves dans le monde.

Étonnés de cette résolution magnanime, que Bobolina accompagnait de gestes trop expressifs pour n'être pas comprise, les Turcs, pressés par les besoins de la vie, avaient enfin demandé à traiter dès qu'ils surent à quelles conditions leurs coreligionnaires d'Athènes s'étaient soumis. S'étant, en conséquence, présentés au conseil des Hellènes, rassemblé au milieu de l'enceinte de Tirynthe, ouvrage des Cyclopes, que des siècles n'ont pu ren

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