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cyons. Les stratarques et les principaux magistrats du peuple paraissaient satisfaits de son éloignement. Plusieurs d'entre eux avaient, sous différents prétextes, regagné leurs métairies, afin de respirer l'air frais des plateaux de l'Arcadie, et le patriotisme n'échauffait plus que les ames généreuses de quelques montagnards. On comptait neuf cents hommes à l'isthme, trois mille aux environs d'Athènes, deux mille cinq cents dans l'Argolide, et trois mille sous l'étendard de Colocotroni, qui tenait de fort loin le blocus de Patras; c'était tout ce qu'il y avait de troupes dans la partie occidentale du Péloponèse, et dans les autres contrées de la Hellade.

Mavrocordatos, depuis son arrivée à Missolonghi, ne voyait arriver aucun des secours qu'on lui avait promis; et en pensant à ce qui se passait, on pouvait présumer qu'il y avait non-seulement apathie, mais trahison contre lui. Comment s'était-il décidé à abandonner la presqu'île, quand il ne pouvait pas ignorer qu'une armée ennemie très-considérable se réunissait en Thessalie? Qu'allait-il faire en Épire? Deux mois plus tôt le projet était salutaire; mais il était maintenant évident qu'on ne centraliserait pas la guerre dans cette province. Ainsi la raison commune prescrivait d'acquiescer à ce qu'on fit plus tard. Il fallait abandonner les Souliotes à eux-mêmes, fortifier Missolonghi et y laisser garnison. Marchant de là à travers les montagnes vers les Thermopyles, on se consacrait à leur défense, et les barbares y trou

vaient leur tombeau. Les calculs ordinaires de la prudence semblaient dicter ce parti; mais la Providence voulait faire triompher les Grecs en opposition à toutes les combinaisons humaines, afin de confondre l'intrigue, les trahisons les plus odieuses, les calomnies anti-chrétiennes et les manoeuvres criminelles, qui avaient tracé aux Turcs leurs plans d'extermination.

Informé des évènements qui s'étaient passés dans la Selleïde depuis le 27 mai jusqu'au 13 juin, Mavrocordatos, n'espérant plus de renforts, partit avec quelques milliers d'hommes pour entrer en Épire. 11 passa le 15 l'Achéloüs au-dessous du village de Stamna, remontant par les lacs de l'Acarnanie, il fut joint à Laspès par les palicares du Valtos et par une compagnie de Céphaloniotes, aux ordres d'un nommé Spiro Panos. On tint conseil auprès de la fontaine de Couphara, et le 18 on s'ache mina à travers les vastes forêts du Sparton et du Macrynoros jusqu'à Comboti, où le président établit son quartier-général, On reçut dans cet endroit les bagages et quelques pièces de campagne, qui y furent apportés par un nommé Passano d'Ancône commandant de deux chaloupes canonnières. Jusque-là on n'avait pas aperçu d'ennemis; les car pitaines Acarnaniens semblaient bien disposés; on se concerta sur l'ensemble des opérations, et il fut décidé qu'on attaquerait la ville d'Arta (1).

(1) Mémoires de Max. Raybaud; ils sont fort bien circonstanciés dans cet endroit parce qu'il dit ee qu'iba vu. t. II, p. 261 à 267.

Tandis qu'on s'y préparait, on apprit que les combats avaient recommencé dans la Selleïde, et l'intrépide Marc Botzaris reçut une nouvelle que son courage ne put supporter, sans payer à la nature un abondant tribut de larmes. On a dit comment (1) son frère Constantin avait été livré en 1820 en qualité d'otage au visir Ali pacha, quand les Souliotes traitèrent pour racheter la Selleïde, en s'attachant à son parti. Ce jeune homme devait être compris dans l'échange du harem de Khourchid, au pouvoir duquel il était tombé après la mort d'Ali. L'honneur des Anglais, qui avaient concouru à ce pacte, était intéressé à ce qu'il fût ponctuellement exécuté, surtout dans un moment où ils travaillaient à corrompre les capitaines grecs; mais, soit qu'ils eussent oublié ou non cette affaire, Khourchid avait, disait-on, fait pendre, en arrivant à Larisse, les otages, au nombre desquels se trouvait le frère de Marc Botzaris. Mourant les armes à la main, Marc eût applaudi au trépas de son frère, et il fallut toute l'autorité de la religion pour le consoler dans cette douloureuse circonstance. Il ne vit plus que sa patrie et la Croix, au pied de laquelle il s'humilia devant la volonté du Seigneur (2).

(1) Voy. liv. III, ch. vii de cette Histoire.

(2) Cette nouvelle était fausse : Constantin Botzaris venait d'être rendu en vertu du traité d'échange; mais son frère l'ignorait. Il n'en est pas moins vrai que la nouvelle de sa mort fut alors répandue dans les îles Ioniennes, afin de décourager les partisans des Grecs. Mon correspondant de Corfou, homme véridique et bien informé, m'en fit part à cette époque.

venu,

par

Les guerriers de la Selleïde étaient aux prises avec les mahométans. Omer Brionès, qui était à force de soins et d'activité, à recomposer son armée aussitôt que Khourchid pacha eut quitté l'Épire, avait dressé ses tentes sur la rive droite de l'Achéron. Le brave Cyriaque, frère de Mavromichalis, qui était retourné dans le Magne pour s'y recruter, abordait en même temps au port Glychys avec quinze barques à voiles latines, chargées de soldats. Sans s'inquiéter des prétentions maritimes du lord haut-commissaire de Corfou, il s'était dirigé vers Syvota prenant terre à la plage de Mourtoux, il avait incendié cette bourgade et fait cent cinquante Turcs prisonniers, qu'il dirigea de suite vers la Morée. La lueur des flammes portant la consternation sur les rives de la Thyamis, il pouvait se flatter de parvenir à débloquer les montagnes de Souli, lorsqu'un avis secret l'obligea à se retirer. Les Anglais, qui secondaient ouvertement les barbares, se disposaient à brûler ses bâtiments; il dut se rembarquer et revenir à Phanari.

Ce poste était en danger. Les Chamides, prêts à se débander à la vue de leurs villages embrasés, ayant été rassurés par les promesses d'Omer Brionès, qui leur mandait que Cyriaque serait bientôt réprimé par la généreuse sollicitude de Thomas Maïtland, reprirent courage. En vain Cyriaque, pour les épouvanter, parvint, dans une dernière excursion, à incendier les magasins que les Turcs avaient formés au port Saint-Jean, ca

lanque située entre Glychys et Parga; ils tinrent ferme sous les drapeaux de Hassan et de Méhémet pacha.

Ceux-ci avaient la parole des agents anglais que ces efforts étaient les derniers de l'insurrection, dont ils étaient parvenus à corrompre les principaux chefs, parmi lesquels on citait tous ceux qui l'avaient jusqu'alors soutenue avec le plus d'intrépidité. Fondés sur cet espoir, des affaires meurtrières s'engagèrent sur toute la ligne de l'Achéron; et Cyriaque, réduit à combattre en champ clos, afin d'ôter tout moyen de retraite à ses soldats, congédia les bâtiments qui les avaient apportés. En leur prescrivant de retourner en Morée, il enjoignit à cinq des plus fins voiliers de cingler vers l'Acrocéraune pour hâter l'insurrection des Chimariotes. On devait d'abord tirer d'eux le plus de secours possible en hommes, et ne les engager à arborer l'étendard de la Croix que lorsqu'on apprendrait l'entrée de Mavrocordatos dans la Selléide.

Les Souliotes, auxquels Cyriaque trouva moyen de faire connaître l'arrivée du président dans l'Épire, voulurent célébrer cette heureuse nouvelle en attaquant les Turcs, parvenus à réoccuper quelques escarpements voisins de Kiapha. A la faveur des brumes qui enveloppaient alors les montagnes, ils avaient traversé les hautes régions; et tombant, au bruit d'un tonnerre épouvantable, sur les barbares, ils les frappèrent à la manière de la foudre. On s'attaquait, on se heurtait avec fureur, et le feu de la mousqueterie durait depuis

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