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une heure, sans avoir été entendu, à cause du fracas de l'orage, quand les nuages, en se dissipant, montrèrent au serasker ottoman le danger de ses avant-postes.

A cette vue, il pousse un cri perçant, qui est répété par tous les Turcs. Sans attendre d'ordre, ils montent à l'assaut au milieu de la pluie, des torrents, des avalanches et des pierres que les chrétiens font rouler sur eux. Quelques-uns escaladent les rochers, et ce n'est qu'au bout de cinq heures de combat que les mahométans se retirent, après avoir perdu environ quatre cents de leurs meilleurs soldats.

Comme on s'était joint corps à corps dans plusieurs endroits, les Souliotes eurent à regretter cent trente hommes, vingt-six femmes commandées par un vieillard âgé, dit-on, de soixante-seize ans, qui, s'étant précipitées le poignard à la main, périrent en tombant la plupart avec les Turcs dans les gouffres de l'Achéron. Telle fut la dernière victoire que les Grecs remportèrent dans la Selleïde le 19 juin, époque mémorable dans les annales de la Hellade par l'incendie du vaisseau de l'amiral turc. Le même jour Mavrocordatos s'avançait vers le village de Péta, voisin d'Arta; et Omer Briones, apprenant ce mouvement, qui avait pour but de secourir les Souliotes, se vit contraint de changer son système d'opérations.

Le moment était décisif, et tout autre chef que ce serasker aurait succombé dans la crise qui se préparait; car la peste, qui accompagne toujours

les armées turques, venait de se manifester à Janina et à Paramythia. Le nombre des malades et des morts augmentait avec une effrayante rapidité dans ces deux villes, où se trouvaient ses dépôts. La contagion avait passé dans quelques villages; elle pouvait pénétrer dans son camp; et comme il est rare qu'elle atteigne les troupes en mouvement, ainsi qu'une longue expérience l'a prouvé, il partit pour se rendre à Variadès, position intermédiaire entre Janina, Souli et le khan retranché des Cinq-Puits. Mais, aussi bon capitaine que vaillant soldat, Omer Brionès, sans perdre de vue le grand objet de sa pensée, qui était la réduction de Souli, laissa à Tahir-Abas le soin de tenir les chrétiens en échec, en occupant la rive droite de l'Achéron, tandis qu'il chargeait Hassan et Méhémet pacha, unis aux Chamides, de faire tête au capitaine des Maniates, Cyriaque, retranché à Phanari. Convertissant ainsi l'attaque de la Selleïde en blocus, il pourvut à la sûreté des CinqPuits, en faisant choix de Routchid pacha pour défendre ce poste, qui devenait de la première importance, si Mavrocordatos avait intention de pénétrer dans la Thesprotie. Tel fut le changement de front d'Omer en apprenant ce qui se passait dans la basse Albanie, et les évènements prouvèrent qu'il ne pouvait être mieux conçu quoiqu'il fut ensuite redevable des succès qu'il obtint, plutôt à la trahison de quelques chefs grecs, qu'à la valeur de ses soldats.

Après quelques combats honorables, quoique

de

peu d'importance, qui eurent lieu aux environs de Comboti, où l'on dispersa plusieurs corps de cavalerie, détachés par les pachas cantonnés à l'Arta, les insurgés s'étaient établis à Péta. La position de ce hameau dont le lieutenant-colonel Charles de Stietz avait levé le plan, était l'endroit d'où on devait partir pour s'emparer d'une ville qu'il était indispensable d'occuper avant de s'avancer dans l'intérieur de l'Épire, lorsque Mavrocordatos fut rejoint par Gogos Bacolas, taxiarque des armatolis de l'Athamanie.

Ce vieillard, flétri d'ancienne date par l'assassinat du père de Marc Botzaris, nourri au milieu des intrigues de la cour d'Ali pacha, dont il avait été successivement l'ami et l'ennemi, n'aurait pas dû inspirer une grande confiance, si on avait écouté les hommes au courant des affaires d'un pays que Mavrocordatos ne connaissait pas mieux que la presque totalité des soldats qui servaient sous ses ordres. Ceux-ci, enchantés de l'aspect de l'Amphilochie qui s'offrait à leurs regards, ne voyaient que la possession de ce riche et beau pays, pret a subvenir à leurs besoins; car la disette qu'ils éprouvaient était telle, que la plupart d'entre eux n'avaient pour nourriture que des épis de maïs, qu'ils faisaient rôtir sur les charbons.

Marc Botzaris seul soupirait. Il sentait qu'il pouvait démasquer le traître; mais n'aurait - il pas été soupçonné de partialité par des hommes qui savaient que Gogos était le meurtrier de son père? Mavrocordatos comprenait lui-même combien il était

utile d'étouffer toute espèce de ressentiment; il en parla dans ce sens à Marc Botzaris, dont l'ame noble et élevée ne vit plus dans Gogos Bacolas qu'un homme cauteleux qui, cédant aux circonstances, resterait fidèle à la cause des Grecs autant qu'ils seraient heureux. On se décida donc à l'employer; et le fourbe vieillard, qui avait une influence trèsétendue sur les armatolis de l'Athamanie, s'excusa avec tant de franchise de son hésitation, trouva tant de moyens de légitimer les diverses circonstances de sa conduite, que Mavrocordatos n'hésita à lui confier la défense de Péta, concurpas remment avec les régiments des Philhellènes, et des troupes régulières, dont il avait le commandement en chef.

Cette faute fut suivie d'une condescendance qui eut des résultats non moins funestes, quoiqu'elle provînt d'une cause bien différente. Marc Botzaris, informé de la détresse de ses compatriotes, ne voyant qu'eux, comme sujet dominant dans l'expédition de l'Épire, demandait six cents hommes pour marcher à leur secours. Il était informé qu'après le dernier mouvement opéré par Omer Brionès, Cyriaque, qui n'avait pu parvenir à établir ses communications avec les Souliotes, était vivement pressé par Méhémet pacha. Ses compatriotes, qui s'étaient répandus en partisans, écrivaient en lui donnant avis qu'ils venaient de détruire plusieurs postes mahométans, de leur enlever un convoi considérable; que, s'il parvenait à leur donner la main, on pouvait rétablir les affaires,

qui n'étaient rien moins que désespérées. Les Chimariotes, auxquels le nouveau pacha de Janina avait demandé impérieusement des otages qu'ils refusaient, étaient en armes. Les féroces habitants de Ducatès promettaient de les seconder; et comme les Turcs d'Avlone venaient de faire pendre le mousselim qui leur avait été envoyé par Omer Briones, on pouvait calculer que, n'ayant plus rien à craindre des Toxides du Musaché, qui étaient compromis par cet acte de rébellion, l'insurrection se propagerait jusque parmi les chrétiens de la moyenne Albanie.

Ces espérances étaient fondées, d'un autre côté, sur la mésintelligence qui venait d'éclater entre les beys du Musaché et Omer, que la Porte avait imprudeinment nommé béglier-bey de Berat, pour régir cette province conjointement avec le sangiac de Janina. Les Toxides, qui n'avaient point oublié les bienfaits d'Ibrahim pacha, leur ancien visir, demandaient, et rien n'était plus légitime ni surtout plus politique, d'être gouvernés par son fils. Omer Briones, auteur des maux du juste Ibrahim, retenait en otage, dans le château du lac de Janina, ce dernier rejeton d'une famille à laquelle se rattachait le nom vénéré de Courd pacha, et la mémoire de Scanderbeg. En le rendant à leur amour on accomplissait un grand acte de justice, puisque le père de ce jeune homme était mort pour la cause du sultan, victime de la vengeance d'Ali pacha. Ily avait équité, raison, tandis qu'Omer Brionès ne se présentait à ses compatriotes qu'entaché de l'op

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