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probre d'avoir trahi son ancien visir, et occasioné les malheurs qui l'avaient conduit au tombeau. Voyant qu'on ne les écoutait pas, ils s'étaient révoltés, en faisant mettre à mort les agents que le béglier-bey qu'ils abhorraient leur envoyait. Il était naturel que, s'étant placés dans cette position, ils ne seraient même pas fâchés de voir l'Acrocéraune insurgée.

D'après ces considérations, on se persuadait que, si on parvenait à débusquer Omer Brionès des positions qu'il occupait, on le forcerait à se replier sur Janina. Ces raisons étaient séduisantes; et Mavrocordatos, qui n'entendait rien aux intrigues des Épirotes, toujours prêts à se diviser et à se réconcilier, consentit à ce que demandait Marc Botzaris, qui entra aussitôt dans les régions montueuses de l'Athamanie.

Cyriaque était encore une fois attaqué par les Chamides, unis à Méhémet pacha, qui furent battus et repoussés, le 1er juillet, jusqu'au marais Achérusien. Il parvint, à la faveur de la confusion qui régnait parmi les Turcs, à faire parvenir des lettres aux Souliotes, et à connaître leur véritable situation. Il leur faisait part des évènements qu'on vient de rapporter, et ceux-ci lui apprenaient: qu'indépendamment du convoi qu'ils avaient enlevé aux barbares, ils recevaient journellement quelques renforts des chrétiens de la plaine, qui parvenaient à se réfugier auprès d'eux avec des vivres.

Depuis quelque temps, disaient-ils en terminant leur rapport, les infidèles semblent craindre d'ap¬

procher de nos montagnes ; et la quantité que nous en avons exterminés surpasse ce qu'on pourrait croire, vu le petit nombre de nos forces militaires. Nos femmes, qui ne sont la plupart armées que de frondes, en ont tué quelques centaines à elles seules. Leur régiment en a fait dernièrement soixantedouze esclaves, qu'elles ont conduits à Kiapha, où elles les ont sabrés, sans que nous ayons pu en arracher un seul de leurs mains. Nos palicares ont, de leur côté, pris un grand nombre de Turcs, des mortiers, des abus, et quatre pièces de canon de campagne. Tels sont les principaux évènements qui se sont passés, depuis le 20 jusqu'au 30 juin; ils nous paraissent si extraordinaires, que nous ne pouvons en rapporter la gloire qu'à Dieu, et au signe auguste de la Croix, sous lequel nous combattons.

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Lisez à nos frères cette lettre, que vous écrivent Marie Photos, mère de Christos Tzaɣellas, et son fils Costas le taxiarque ; de Kiapha, le 3 juillet 1823.

Dès le moment de son arrivée dans l'Athamanie, il fut convenu, entre Marc Botzaris et les différents capitaines qui se trouvaient dans cette région, que Coutelidas, commandant des Dolopes de Godistas, village du mont Polyanos (1), descendrait dans les Catzana-Choria, villages chrétiens, que leur situation au midi de Janina rend d'une extrême importance pour les besoins de cette

(1) Polyanos. Voy. t. II, p. 170 à 234 de mon Voyage dans la Grèce.

ville. Il devait inquiéter les Turcs, leur enlever leurs ressources, et engager les habitants à se lever

masse afin de seconder les insurgés, tandis qu'un frère de Gogos, André Hyscos, chef des Agréens, Théodore Grivas et Tassos, inquièteraient Omer Brionès, en attaquant les positions voisines de Variades.

Les choses étant ainsi arrangées, Marc Botzaris se dirigea vers Placa, où il ne s'arrêta que le temps nécessaire pour faire ses dispositions, afin de se porter à Sclivani; et de là, par le Cleïsoura ou défilé de la Parorée, au khan des Cinq-Puits, qu'Omer venait de fortifier et de munir d'une nombreuse garnison, circonstance qu'on ignorait en

tièrement.

On leva le camp, ou plutôt on partit de Placa, en jetant la cape sur l'épaule; car les palicares épirotes n'ont pour tente, pour abri, pour vêtement et pour lit, que la bure grossière qu'on fabrique dans les colonies valaques du Pinde; et on marcha avec la légèreté des chasseurs qui cherchent leur proie. On avait franchi le mont Sideros, on commençait à gravir le chemin taillé en galeries qui se déploie par étages sur ses flancs, quand les palicares signalèrent l'ennemi. Il s'avançait an nombre de plus de trois mille hommes, commandés par le Kisaïanbey de Khourchid pacha, qui avait été fait pris sonnier et échangé avec le harem de son maître à Tripolitza. On prit sur-le-champ les mesures de guerre usitées dans la tactique des Schypetars, en se répandant en tirailleurs par groupes isolés sur

les coteaux, tandis que Marc Botzaris, qui commandait ces guérillas, dont la totalité se montait à peine à huit cents, s'embusquait à l'entrée de la forêt de Déréra (1).

Les Turcs, informés de ces dispositions, serrèrent leur cavalerie; et forts de la supériorité numérique, ils se disposèrent à franchir les échelles. Ils préludèrent au combat par un Doua, et les der-. viches ayant lu les prières, s'avancèrent en agitant des drapeaux, aux cris prolongés d'Allah et de Mahomet, que les soldats répétaient en se précipitant sur leurs pas. La fusillade commença aussitôt de la part des Grecs, qui, à la faveur des épaulements (car ils combattaient à l'abri des rochers et des arbres), tiraient juste, et n'avaient que peu de dangers à courir. Il n'en était pas de même de leurs ennemis, occupés à gouverner leurs chevaux, embarrassés de leurs longues carabines, qu'ils déchargeaient au hasard, sous le feu de leurs adversaires. Malgré ce désavantage le combat se soutenait; et il durait depuis près de trois heures, quand les insurgés, remarquant que les Turcs se dégarnissaient pour emporter leurs tués et leurs blessés, résolurent de fondre sur eux. Quittant subitement leurs embuscades, ils descendaient des coteaux, lorsque ceux-ci les aperçurent, et prirent la fuite, en laissant quelques morts sur le terrain. Il aurait été dangereux de les poursuivre;

(1) Voy., pour la topographie de cette contrée, le tom. II, c. xxxv, du Voyage en Grèce.

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quoique, suivant les rapports des prisonniers, ils eussent perdu cent quatre-vingts hommes, au nombre desquels se trouvaient le Kisaïan, le gendre de Balios Coscas de Margariti, et Idris, aga de Gricochori, qui appartenaient aux principales familles mahométanes de la Thesprotie.

Il était essentiel, avant de s'avancer davantage, de connaître le résultat des opérations des capitaines qu'on vient de nommer, pour se porter à l'attaque des Cinq-Puits, qu'il fallait nécessairement occuper afin de secourir les Souliotes, et de parvenir au but qu'on se proposait. On était dans cette alternative, quand on apprit que MetchéAbas, cousin de Tahir, avait surpris et battu le stratarque Coutelidas dans les Catzana-Choria, où, depuis ce succès, le vainqueur mettait tout à feu et à sang. André Hyscos et Théodore Grivas n'avaient pas été plus heureux contre les avantpostes d'Omer Briones. Le seul capitaine Tassos, quoique contraint de céder le terrain devant un ennemi supérieur en forces, était parvenu à racheter le mauvais succès de sa tentative, en faisant prisonniers cent cinquante janissaires et cinq beys, qui périrent quelques jours après, en voulant profiter du désastre des Grecs pour recouvrer leur liberté.

L'expédition de l'Épire, sur laquelle reposaient tant d'espérances, ne se présenta plus dès lors que sous un aspect sinistre. Marc Botzaris découvrait les montagnes de sa patrie, qu'il ne pouvait secourir, et il voyait la perte de la Selleïde écrite dans

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