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jours de la Turquie; le despotisme vainqueur allait régner sur des ruines et rendre pour des siècles à la Hellade dépeuplée, la paix des tombeaux.

Odyssée était un traître, un transfuge; tous les Grecs, des brigands ou des lâches! Au milieu de ces bruits, précurseurs de la tourmente, le ministère et le sénat des Hellènes, croyant à l'accomplissement de la capitulation qui devait leur ouvrir les portes de Nauplie, étaient descendus à Argos avec cet empressement inconsidéré d'hommes plus avides de jouir d'un succès, que de songer à s'assurer les avantages qu'ils avaient obtenus. Vainement, avant de s'éloigner, on avait fait de nouvelles tentatives auprès de Kyamil bey, ancien toparque de la Corinthie, pour découvrir ses trésors; le rusé mahométan continuant à protester qu'il avait dépensé tout ce qu'il possédait à la défense de Tripolitza, on l'abandonna à la merci d'un Chiliarque qui avait ordre de le surveiller et de vaincre son obstination.

On avait également laissé, faute d'argent pour l'approvisionner, l'Acrocorinthe à la garde d'Achille, prêtre de l'église orthodoxe, homme brave, mais sans expérience dans l'art militaire; enfin D. Hypsilantis, qui aurait dû rester à ce poste important, partit lui-même pour se rendre dans l'Argolide. Et dans quel moment? on ne peut se le dissimuler lorsqu'une armée turque était à la veille de passer le Sperchius, et quand l'isthme de Corinthe était abandonné à la garde des dervendgis de Mégare.

Nauplie était l'objet de l'attention générale. Le temps marqué pour sa reddition approchait. On avait occupé le fort de Bourdzi, situé à l'entrée de la Darce, qui y donne accès par mer; les Turcs paraissaient disposés à exécuter les conditions; on avait nolisé des bâtimens pour les transporter en Asie, quand on apprit que Kourchid pacha venait de lancer contre la Morée trente mille hommes sous les ordres de Méhémet Dramali. On en reçut le premier avis par Odyssée, qui écrivait au vice président, Athanase Kanacaris: Je vous envoie trente mille Turcs pour vous mettre d'accord; faites-en ce que vous pourrez; pour moi je vous promets de n'en plus laisser passer d'autres, et je me charge du serasker Kourchid pacha.

Le même signal d'alarmes était déja parvenu à Athènes, où l'on apprenait que la flotte du capitan pacha, augmentée d'un vaisseau à trois ponts, forte de plus de cent voiles, avait appareillé de Ténédos pour se rendre en Morée...... C'était le 11 juillet que ces nouvelles se succédaient, quand le peuple en fureur, qui voyait les Turcs, qu'on n'avait pu parvenir à embarquer, sortis de l'acropole, prêts à grossir le nombre des barbares qu'on disait arrivés à Marathon, fit main basse sur quelquesuns d'entre eux qu'il savait disposés à exercer de cruelles représailles contre les Athéniens. Un grand nombre périt (1); la chose était inévitable au mi

(1) Le journal de Smyrne porte ce nombre à 750; mais il y a exagération. Voy le n° 63 du même journal, 1822.

lieu d'une guerre où les passions étaient en présence; et, le 17, un vaisseau de la marine royale de France étant arrivé au Pirée, le capitaine, assisté de sept matelots, qui se rendirent à Athènes, parvint à sauver une foule de familles turques réfugiées dans les consulats.

Quoique cette circonstance prouve que ces malheureux ne couraient pas d'aussi grands dangers qu'on s'est plu à le dire, de la part d'un peuple réduit au désespoir, les officiers de la marine royale ne s'acquirent pas moins, dans cette circonstance, une gloire particulière; et s'ils ont eu le malheur d'être félicités de leur dévoûment par le Spectateur Oriental, les bénédictions de ceux qu'ils sauvèrent doivent leur tenir lieu de compensation. Ils firent leur devoir. Pourquoi le chef de la division navale, qui les avait envoyés à Athènes, ne leur procurat-il pas également le bonheur de secourir aussi efficacement les chrétiens de Chios (1), au lieu de complimenter leur bourreau, et d'abandonner un bâtiment sarde, à la fureur du lâche commandant de Smyrne?

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La justice, inséparable de l'histoire, nous oblige de dire que les officiers qui sauvèrent les Turcs d'Athènes dépassèrent les bornes de l'impartialité en leur faveur. De quel droit osèrent-ils se permettre d'empêcher les paysans de l'Attique, qui

(1) L'apologiste du capitan pacha, assassin des Chiotes, attribuait aux réfugiés de cette île, qui se trouvaient à Athènes, le massacre des Turcs. Voy. id., no 63, 1822.

s'enfuyaient une seconde fois à l'approche des barbares, de s'embarquer pour passer dans l'île de Salamine, en tenant le Pirée bloqué (1)? Les Turcs n'étaient plus qu'à quelques lieues d'Athènes! Quelle excuse aurait on pu alléguer, si, tombant sur les Grecs fugitifs, des officiers de la marine française avaient été la cause de massacres pareils à ceux que les victimes de Chios reprocheront à jamais, du fond de leurs tombeaux, aux escadres chrétiennes, qui ne firent aucun mouvement pour leur tendre une main secourable?

Le ciel veillait sur les Hellènes, et les desseins de Khourchid pacha n'avaient pas dans ce moment pour objet l'Attique ni Athènes, qu'une garnison de huit cents Grecs, qui s'étaient renfermés dans l'acropole, mettaient à l'abri d'un coup de main. Il s'était réservé cette expédition pour un autre temps. Dramali avait ordre de se diriger, par la ligne la plus courte, vers la Morée, et d'y porter la désolation, tandis que le capitan pacha, auquel on prêtait officieusement vingt mille hommes de troupes de débarquement, attaquerait la presqu'île du côté de Patras.

(1) Voici ce que dit à ce sujet le Spectateur Oriental, en parlant de la manière dont les Turcs furent sauvés : Il eut (le commandant français) la présence d'esprit de bloquer tout-àfait le Pirée, où se rendaient deux ou trois mille ames fuyant d'Athènes, et il arréta cette populace, prête à passer à Salamine. A cet effet, il expédia à l'Estafette l'ordre de s'embosser, et d'empêcher qu'aucune embarcation des Grecs ne sortit avant que les Turcs qu'il voulait sauver ne fussent rendus à bord. Spect. Orient., no 63.

Pendant ce temps, le serasker, dont le plan de campagne avait été tracé par les ennemis des Grecs, organisait une armée beaucoup plus considérable que celle qu'il avait mise sous les ordres de Dramali, Indépendamment de douze mille hommes d'élite qu'il avait retenus auprès de lui, on avait vu défiler à Salonique, du 7 au 15 juillet, onze mille soldats de l'armée du Danube, que la Porte, rassurée sur les intentions de la Russie, envoyait à Larisse; et avec les milices de la Macédoine transaxienne, il devait, avant le commencement du mois d'août, compléter un total de quarante mille combattants.

C'était une pareille masse de forces qu'Odyssée prétendait arrêter, quand il mandait aux chefs du Péloponèse qu'il se chargeait de Kourchid pacha. Comment était-il rentré en scène? Quels étaient ses moyens militaires pour tenir sa promesse ? C'est ce qu'il convient d'expliquer, en faisant connaître le terrein sur lequel les Hellènes allaient s'immortaliser.

On a dit comment Odyssée retiré, non comme Achille sous sa tente, à la vue des dangers qui menaçaient les Grecs, et satisfait des maux prêts à fondre sur eux, mais inquiet sur le sort de la Hellade, se préparait à servir la patrie, qu'un sénat imprudent l'empêchait de défendre à la tête d'une armée. Dans cette fausse attitude, il avait reçu plusieurs communications de la part de Khourchid pacha, qui lui offrait les dons de la fortune et les séductions d'un avenir exempt d'orages, s'il

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