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oreilles se prêtent aux confidences, des conversations moins secrètes s'établissent. Maximilien Ier et Marie de Bourgogne s'inquiètent. L'évêque, les dames, les chevaliers, la grande-maîtresse, tout s'agite, et perdant l'immobilité de convention, chacun des acteurs s'avance sur le théâtre et interroge le spectateur le plus rapproché.... Il s'est embarqué le 28 du mois dernier. Qui donc ?Bonaparte? Impossible, répondait - on..... Mais les croiseurs anglais nous en rendront un bon compte, disait-on d'un autre côté.—Où croyez-vous qu'il aille? demandait-on d'un autre.—Qui sait? en France. Peut-être en Amérique.

Peut-être

bien encore... Je pense comme vous, etc., etc. Tout le monde était dans un mouvement étrange. Un observateur indifférent aurait eu une belle occasion d'étudier le cœur humain; car dans ce premier moment de trouble, personne n'était en garde contre une si vive impression, et n'avait pu composer son maintien. Les uns feignaient une vive satisfaction, et laissaient prévoir d'avance tous les maux que cet étonnant épisode allait attirer sur la France... Les autres étaient bien plus effrayans par leurs flegmatiques et sérieuses figures, qui semblaient déjà calculer et combiner le produit d'une nouvelle invasion et d'un congrès encore plus lucratif. Les deux empereurs et les rois formaient un groupe à part. Le respect faisait tenir à distance les nombreuses altesses, dont les regards étaient fixés sur ces divinités visibles :

on sentait que de là jailliraient ces arrêts suprêmes qui allaient lancer la foudre et ébranler le monde. La physionomie de François parut celle de la bonne foi et d'un étonnement véritable. Celle de quelques puissances parut plus étudiée et moins naturelle. On se sentait pressé de se séparer. Chacun emporta chez soi matière à réflexions et à projets.

Deux jours après, on eut la certitude du débarquement au golfe Juan (Jouan), et l'on connut l'obligeance des croisières anglaises, qui ne virent point passer la modeste embarcation qui portait César et sa fortune. Ainsi le gouvernement anglais, par la complaisance de ses flottes, concourait à l'aplanissement du terrain sur lequel l'Europe, qui depuis six mois avait préparé ses armes, allait se jeter avec une ardeur dépouillée de toute générosité. Ce concours unanime de tant de circonstances fut l'objet d'un grand étonnement, Alors on se rappela l'oracle précurseur qui, dès la fin de septembre précédent, avait indiqué le rocher de Sainte-Hélène pour la prison du héros: alors furent expliqués ces immenses appareils militaires qui contrastaient d'une façon si étrange avec les sentimens et les assurances d'une paisible intelligenceentre les souverains, cette strangulation stratégique des frontières de la France, ces lenteurs inexplicables du congrès, ces regrets d'avoir laissé la France si puissante et si redoutable encore par son héroïsme et ses ressources fécondes, etc., etc.

Ce coup de main de la part de Napoléon paraissait si hardi, si extravagant, que beaucoup de gens se croyaient fondés à penser qu'une garantie mystérieuse avait été faite à ce prince à l'insu de l'empereur d'Autriche, quoique en son nom. Ainsi les annonces que Napoléon répandit, dès ses premiers pas sur le sol français des bonnes intentions de l'Autriche, du retour prochain de son épouse et de son fils, se trouvaient expliquées et justifiées.

On avait calculé qu'il s'élèverait en France des obstacles au retour de Napoléon, et qu'il en résulterait une guerre civile, laquelle amènerait naturellement l'intervention de l'étranger, et par suite le partage facile des plus belles provinces de la France. Mais deux grandes circonstances dérangèrent toutes ces combinaisons ténébreuses, si elles ont existé l'une fut le voyage paisible de l'île d'Elbe à Paris, voyage auquel l'histoire des siècles n'offre rien de comparable; et l'autre, après les funérailles de Waterloo, la rapidité du retour de Louis XVIII dans sa capitale. Sous le premier rapport, la brillante et audacieuse agression de Napoléon dans la Belgique, força les ennemis à se défendre et à mesurer leurs pas sur une ligne immense; et sous le second, l'entrée (8 juillet) du roi à Paris deux jours avant toutes les notabilités de la coalition (10 juillet), déconcerta

des projets qui ne purent être développés en face d'un trône qui n'était plus vacant. Aussi le mécontentement de l'empereur Alexandre fut-il assez marqué.

On sent bien que tout ce que je viens d'exprimer n'est appuyé sur aucune certitude réelle : purement conjectural, il reçoit sa seule importance des nombreuses observations que j'ai pu faire.

Cette machiavélique combinaison ne fut certainement pas connue de l'empereur d'Autriche, essentiellement probe et vertueux, ni des autres chefs suprêmes de la coalition, que le respect qu'ils devaient avoir pour eux-mêmes plaçait audessus d'une intrigue si basse. Elle ne fut pas non plus connue des ministres de la légation française à Vienne, premières victimes d'un ébranlement aussi funeste, et trop intéressés au bonheur de leur patrie pour qu'on eût pu risquer avec eux l'insinuation, même la plus indirecte, à cet égard. Mais il importe peu d'en rechercher les auteurs.

Après les premières impressions d'un événement aussi extraordinaire, les cours qui remplissaient la capitale de l'Autriche commencèrent sérieusement à s'occuper des affaires. Les plaisirs et les galas furent mis de côté, et les ordres de se porter contre la France furent expédiés à toutes les réserves qui formaient l'arrière-garde de la coalition. Un lien plus étroit semblait resserrer

l'amitié des trois premiers souverains; mais l'on remarqua que jamais l'empereur François ne paraissait sans être accompagné de l'un de ses grands collègues, et qu'il rendit des visites moins fréquentes à sa fille chérie. Etait-ce la crainte que sa tendresse paternelle ne rendit moins efficaces sa déférence et sa participation au rôle qu'on lui avait réservé dans cette sanglante tragédie? Faut-il mettre aussi au rang des explications conjecturales, ces affectueuses démonstrations dont on l'obsédait pour ainsi dire? Et Marie-Louise ellemême pouvait-elle désirer de rentrer en France? Qui pourrait la blâmer de n'avoir point exprimé ses sentimens à cet égard? Cette espèce d'exil, qui fut la dure conséquence des traités imposés à son époux qui les avait acceptés, traités si froidement exécutés envers elle, et sans que la manifestation d'une douleur publique eût consolé les blessures faites à l'amour-propre si naturel à son âge, à son sexe et à son rang; en un mot, le souvenir d'un revers si récent, et le plaisir de se retrouver à l'abri des orages politiques dans le sein de sa famille, près de laquelle son heureuse enfance et sa première jeunesse s'étaient paisiblement écoulées, et de s'y voir toujours l'objet de la plus tendre affection........; tous ces sentimens réunis avaient concentré son avenir dans celui de son fils, dont l'empereur d'Autriche, son père, venait de se déclarer le tuteur. Ne devait-elle pas en effet craindre pour ce fils chéri les périls d'une

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