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MELICERTE, PASTORALE-HÉROÏQUE. Décembre 1666

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE. DAPHNE, EROXENE, ACANTE, TIREN E.

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Pourquoi me chaffes-tu?

TIRENE à Eroxène.

Pourquoi fuis-tu mes pas?

DAPHNE' à Acante.

Tu me plais loin de moi.

EROXENE à Tirène.

Je m'aime où tu n'es pas

ACANTE..

Ne cefferas-tu point cette rigueur mortelle ?

TIRENE.

Ne cefferas-tu point de m'être fi cruelle?

DAPHN E'.

Ne cefferas-tu point tes inutiles vœux?

EROXEN E.

Ne cefferas-tu point de m'être fi fâcheux?

ACANTE

Si tu n'en prens pitié, je fuccombe à ma peine.
TIRENE.

Si tu ne me fecours, ma mort eft trop certaine.
DAPHN E'.

Si tu ne veux partir, je quitterai ce lieu.

EROXEN E.

Si tu veux demeurer, je te vais dire adieu.
ACANTE.

Hé bien, en m'éloignant, je te vais fatisfaire.
TIRENE.

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Mon départ va t'ôter ce qui peut te déplaire.
ACANT E.

Généreuse Eroxène, en faveur de mes feux,
Daigne au moins, par pitié, lui dire un mot ou deux.
TIRENE.

Obligeante Daphné, parle à cette inhumaine;
Et fache d'où, pour moi, procéde tant de haine.

SCENE

A

SCENE II.

DAHPNE, EROXENE.

EROXEN E.

Cante a du mérite, & t'aime tendrement;
D'où vient que tu lui fais un fi dur traitement?
DAPHN E'.

Tirène vaut beaucoup, & languit pour tes charmes; fans pitié, tu vois couler fes larmes? EROXENE.

D'où vient que,

Puifque j'ai fait ici la demande avant toi,
La raifon te condamne à répondre avant moi.
DAPHNE'.

Pour tous les foins d'Acante on me voit infléxible,
Parce qu'à d'autres vœux je me trouve sensible.
EROXENE.

Je ne fais pour Tirène éclater que rigueur, Parce qu'un autre choix eft maître de mon cœur. DAPHN E'.

Puis-je favoir de toi ce choix qu'on te voit taire? EROXENE.

Oui, fi tu veux du tien m'apprendre le mystére.

DAPHNE'.

Sans te nommer celui qu'amour m'a fait choifir,
Je puis facilement contenter ton defir;
Et, de la main d'Atis, ce peintre inimitable,
J'en garde, dans ma poche, un portrait admirable,
Qui, jufqu'au moindre trait, lui reffemble fi fort.
Qu'il eft fûr que tes yeux le connoîtront d'abord.
EROXEN E.

Je puis te contenter par une même voie,
Et payer ton fecret en pareille monnoie.

Tome IV,

R

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J'ai de la main auffi de ce peintre fameux,
Un aimable portrait de l'objet de mes vœux,
Si plein de tous les traits & de fa grace extrême,
Que tu pourras d'abord te le nommer toi-même.
DAPHN E'.

La boëte que le peintre a fait faire pour moi,
Eft tout-à-fait femblable à celle que je voi.
EROXEN E.

Il eft vrai, l'une à l'autre entiérement reffemble;
Et, certe, il faut qu'Atis les ait fait faire ensemble.
DAPHN E'.

Faifons en même temps, par un peu de couleurs,
Confidence à nos yeux du fecret de nos cœurs.
EROXEN E.

Voyons à qui plus vîte entendra ce langage,
Et qui parle le mieux de l'un ou l'autre ouvrage.
DAPHN E'.

La méprife eft plaifante, & tu te brouilles bien;
Au lieu de ton portrait tu m'as rendu le mien.
EROXEN E.

Il est vrai; je ne fais comme j'ai fait la chose.
DAPHN E'.

Donne. De cette erreur ta rêverie eft caufe.

EROXEN E.

Que veut dire ceci? Nous nous jouons, je croi.
Tu fais de ces portraits même chose que moi.
DAPHNE.

Certes, c'eft pour en rire, & tu peux me le rendre. EROXENE mettant les deux portraits l'un à côté de l'autre.

Voici le vrai moyen de ne fe point méprendre.
DAPHN E'.

De mes fens prévenus eft-ce une illusion?

EROXEN E.

Mon ame fur mes yeux fait-elle impreffion?

DAPHN E'.

Mirtil, à mes regards, s'offre dans cet ouvrage.
EROXENE.

De Mirtil, dans ces traits; je rencontre l'image.
DAPHN E'.

C'est le jeune Mirtil qui fait naître mes feux.
EROXENE,

C'est au jeune Mirtil que tendent tous mes vœux.
DAPHN E'.

Je venois aujourd'hui te prier de lui dire
Les foins que, pour fon fort, fon mérite m'inspire.

EROXEN E.

Je venois te chercher pour fervir mon ardeur
Dans le deffein que j'ai de m'aflurer fon cœur.

DAPHNE'.

>

Cette ardeur qu'il t'inspire eft-elle fi puissante?
EROXEN E.

L'aimes-tu d'une amour qui foit fi violente?
DAPHN E'.

Il n'eft point de froideur qu'il ne puiffe enflammer,
Et fa grace naiffante a de quoi tout charmer.
EROXEN E.

Il n'eft Nymphe en l'aimant qui ne se tînt heureuse, Et Diane, fans honte, en feroit amoureuse.

DAPHNE'.

Rien que son air charmant ne me touche aujourd'hui; Et, fi j'avois cent cœurs, ils feroient tous pour

EROXEN E.

lui.

Il efface à mes yeux tout ce qu'on voit paroître; Et, fi j'avois un fcéptre, il en feroit le maître. DAPHNE'.

Ce feroit donc en vain qu'à chacune, en ce jour, On nous voudroit, du fein, arracher cet amour. Nos ames, dans leurs vœux, font trop bien affermies, Ne tâchons, s'il fe peut, qu'à demeurer amies;

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