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LE SICILIEN,

ου

L'AMOUR PEINTRE,

COMÉDIE-BALLET.

10 Jum 1567

SCENE PREMIERE.

HALI, MUSICIENS.

HALI aux muficiens.

HUT. N'avancez pas davantage, & demeurez dans cet endroit, jufqu'à ce que je vous appelle.

I

SCENE I I.

HALI feul,

L fait noir comme dans un four., Le ciel s'eft ha

billé ce foir en Scaramouche, & je ne vois pas une étoile qui montre le bout de fon néz. Sotte condition

que

celle d'un esclave, de ne vivre jamais pour foi, & d'être toujours tout entier aux paffions d'un maître, de n'être réglé que par fes humeurs, & de fe voir réduit à faire fes propres affaires de tous les foucis qu'il peut prendre! Le mien me fait ici époufer fes inquiétudes; &, parce qu'il eft amoureux, il faut que, nuit & jour, je n'aye aucun repos. Mais voici des flambeaux, & fans doute, c'est lui.

SCENE III.

ADRASTE, DEUX LAQUAIS portant chacun un flambeau, HALI.

Es-ce

ADRASTE.

S-ce toi, Hali?

HALI.

Et qui pourroit-ce être que moi, à ces heures de nuit ? Hors vous & moi, Monfieur, je ne crois pas que perfonne s'avife de courir maintenant les rues.

ADRASTE.

Auffi ne crois-je pas qu'on puiffe voir perfonne qui fente dans fon cœur la peine que je fens. Car, enfin, ce n'eft rien d'avoir à combattre l'indifférence, ou les rigueurs d'une beauté qu'on aime, on a toujours au moins le plaifir de la plainte, & la liberté des foupirs; mais ne pouvoir trouver aucune occafion de parler à ce qu'on adore, ne pouvoir favoir d'une belle, fi l'amour qu'infpirent fes yeux, eft pour lui plaire ou lui déplaire, c'eft la plus fâcheufe, à mon gré, de toutes les inquiétudes; & c'eft où me réduit l'incommode jaloux qui veille, avec tant de fouci, fur ma charmante Grecque, & ne fait pas un pas fans la traîner à fes côtés, HALI.

HALI.

Mais il eft, en amour, plufieurs façons de fe parler; & il me femble, à moi, que vos yeux & les fiens, depuis près de deux mois, fe font dit bien des chofes

ADRASTE.

Il eft vrai qu'elle & moi fouvent nous nous fommes parlé des yeux; mais comment reconnoître que chacun, de notre côté, nous ayons, comme il faut, expliqué ce langage? Et que fais-je, après tout, fi elle entend bien tout ce que mes regards lui difent, & fi les fiens me difent ce que je crois par fois entendre?

HALI.

Il faut chercher quelque moyen de fe parler d'autre maniére.

As-tu-là tes muficiens?

ADRAST E.

HALI.

Qui.

ADRASTE.

(feul.)

Fais les approcher. Je veux, jufque au jour, les faire ici chanter, & voir fi leur mufique n'obligera point cette belle à paroître à quelque fenêtre.

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HALI.

Il faut qu'ils chantent un trio qu'ils me chantérent

l'autre jour.

ADRAST E.

Non. Ce n'eft pas ce qu'il me faut.

HALI.

Ah! Monfieur, c'eft du beau bécare.
ADRAST E.

Que diantre veux-tu dire avec ton beau bécare?
HALI.

Monfieur, je tiens pour le bécare. Vous favez que je m'y connois. Le bécare me charme; hors du bécare, point de falut en harmonie. Ecoutez un peu ce trio. ADRAST E.

Non. Je veux quelque chofe de tendre & de paffionné, quelque chofe qui m'entraîne dans une douce rêverie.

HALI.

Je vois bien que vous étes pour le bémol; mais il y a moyen de nous contenter l'un & l'autre. Il faut qu'ils vous chantent une certaine fcéne d'une petite comédie que je leur ai vû effayer. Ce font deux bergers amoureux, tout remplis de langueur, qui, fur bémol, viennent féparément faire leurs plaintes dans un bois, puis fe découvrent, l'un à l'autre, la cruauté de leurs maîtreffes; & là-deffus, vient un berger joyeux avec un bécare admirable, qui fe moque de leur foibleffe. ADRASTE.

J'y confens. Voyons ce que c'eft.

HALI.

Voici, tout jufte, un lieu propre à fervir de fcéne; & voilà deux flambeaux pour éclairer la comédie. ADRASTE.

Place-toi contre ce logis, afin qu'au moindre bruit que l'on fera dedans, je faffe cacher les lumiéres,

FRAGMENT DE COMÉDIE, Chanté & accompagné par les musiciens qu'Hali a amenés.

SCENE PREMIERE.
PHILENE, TIRCIS.

I. MUSICIEN représentant Philéne,
I, du trifte récit de mon inquiétude,
Je trouble le repos de votre folitude,
Rochers, ne foyez point fâchés ;

Quand vous faurez l'excès de mes peines fecrettes,
Tout rochers que vous étes,
Vous en ferez touchés.

II. MUSICIEN repréfentant Tircis.
Les oifeaux réjouis, dès que le jour s'avance,
Recommencent leurs chants dans ces vaftes forêts;
Et moi, j'y recommence
Mes foupirs languiffans, & mes trifles regrets.

Ah! Mon cher Philéne.

PHILEN E.

Ah! Mon cher Tircis.

TIRCIS.

Que je fens de peine!
PHILENE.

Que j'ai de foucis!
TIRCIS.

Toujours fourde à mes vœux eft l'ingrate Climéne.
PHILEN E.

Cloris n'a point, pour moi, de regards adoucis.

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