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Fort bien.

ALCESTE.

PHILINTE.

Vous vous moquez.
ALCEST E.

Je ne me moque point;
Et je vais n'épargner perfonne fur ce point.
Mes yeux font trop bleffés, & la cour & la ville,
Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile;
J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond,
Quand je vois vivre, entre eux, les hommes comme
ils font;

Je ne trouve, par tout, que lâche flatterie,
Qu'injuftice, intérêt, trahison, fourberie,
Je n'y puis plus tenir, j'enrage; & mon deffein
Eft de rompre en vifiére à tout le genre humain.
PHILIN TE.

Ce chagrin philofophe est un peu trop sauvage.
Je ris des noirs accès où je vous envisage;

Et crois voir, en nous deux, fous mêmes foins nourris,
Ces deux freres que peint l'Ecole des maris,
Dont...

ALCESTE

Mon Dieu! Laiffons-là vos comparaisons fades,
PHILINTE.

Non, tout de bon, quittez toutes ces incartades,
Le monde par vos foins ne fe changera pas ;
Et, puifque la franchise a pour vous tant d'appas,
Je vous dirai, tout franc, que cette maladie,
Par tout où vous allez, donne la comédie;

Et qu'un fi grand courroux contre les mœurs du temps,
Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.

ALCESTE.

Tant mieux, morbleu, tant mieux, c'eft ce que je demande;

Ce m'est un fort bon figne, & ma joie en est grande.

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Tous les hommes me font à tel point odieux,
Que je ferois fâché d'être fage à leurs yeux.
PHILINTE.

Vous voulez un grand mal à la nature humaine.
ALCESTE.

-Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine.
PHILIN TE.

Tous les pauvres mortels, fans nulle exception,
Seront enveloppés dans cette averfion?

Encore en eft-il bien, dans le fiécle où nous fommes...
VALCESTE.

Non, elle est générale, & je hais tous les hommes;
Les uns, parce qu'ils font méchans & mal-faisans,
Et les autres, pour être aux méchans complaifans,
Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux ames vertueuses.
De cette complaisance on voit l'injuste excès,
Pour le franc fcélérat avec qui j'ai procès.
Au travers de fon masque, on voit à plein le traître,
Par tout il eft connu pour tout ce qu'il peut être ;
Et fes roulemens d'yeux, & fon ton radouci,
N'impofent qu'à des gens qui ne font point d'ici.
On fait que ce piéd plat, digne qu'on le confonde,
Par de fales emplois s'eft pouffé dans le monde,
Et que, par eux, fon fort, de fplendeur revêtu,
Fait gronder le mérite, & rougir la vertu;
Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne,
Son miférable honneur ne voit pour lui perfonne,
Nommez-le fourbe, infame, & fcélérat maudit,
Tout le monde en convient, & nul n'y contredit;
Cependant fa grimace eft par tout bien venue,
On l'accueille, on lui rit, par tout il s'infinue,
Et, s'il eft, par la brigue, un rang à difputer,
Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter.
Têtebleu, ce me font de mortelles bleffures,
De voir qu'avec le vice on garde des mefures;

Et, par fois, il me prend des mouvemens foudains, De fuïr dans un défert l'approche des humains.

PHILINTE

Mon Dieu! Des mœurs du temps, mettons-nous moins en peine,

Et faifons un peu grace à la nature humaine;
Ne l'examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons fes défauts, avec quelque douceur.
Il faut, parmi le monde, une vertu traitable;
A force de fageffe, on peut être blâmable,
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l'on foit fage avec fobriété.
Cette grande roideur des vertus des vieux âges,
Heurte trop notre fiécle, & les communs ufages;
Elle veut aux mortels trop de perfection,
Il faut fléchir au temps, fans obftination,
Et c'eft une folie, à nulle autre feconde,
De vouloir fe mêler de corriger le monde.
J'observe, comme vous, cent chofes tous les jours,
Qui pourroient mieux aller, prenant un autre cours;
Mais, quoiqu'à chaque pas je puiffe voir paroître,

En
courroux, comme vous, on ne me voit point être.
Je prens tout doucement les hommes comme ils font
J'accoûtume mon ame à fouffrir ce qu'ils font,
Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville,
Mon flégme eft philofophe autant que votre bile.
ALCESTE.

Mais ce flégme, Monfieur, qui raisonnez fi bien,
Ce flégme, pourra-t-il ne s'échauffer de rien?
Et s'il faut, par hazard, qu'un ami vous trahisse,
Que pour avoir vos biens on dresse un artifice,
Ou qu'on tâche à femer de méchans bruits de vous,
Verrez-vous tout cela, fans vous mettre en courroux?
PHILINTE.

Oui, je vois ces défauts dont votre ame murmure,
Comme vices unis à l'humaine nature;

Et mon efprit enfin n'eft pas plus offenfé
De voir un homme fourbe, injufte, intéreffé,
Que de voir des vautours affamés de carnage,
Des finges mal-faifans, & des loups pleins de rage:
ALCESTE.

Je me verrai trahir, mettre en piéces, voler,
Sans que je fois... Morbleu, je ne veux point parler,
Tant ce raisonnement eft plein d'impertinence.
PHILIN TE.

Ma foi, vous ferez bien de garder le filence.
Contre votre partie éclatez un peu moins >
Et donnez au procès une part de vos foins.
ALCESTE.

Je n'en donnerai point, c'est une chose dite.
PHILIN TE.

Mais qui voulez-vous donc, qui pour vous follicite ?
ALCESTE.

Qui je veux? La raison, mon bon droit, l'équité.
PHILIN TE.
Aucun juge par vous ne fera vifité?

ALCESTE.

Non. Eft-ce que ma cause eft injufte, ou douteuse? PHILIN TE.

J'en demeure d'accord, mais la brigue eft fâcheufe, Et...

ALCESTE.

Non. J'ai réfolu de n'en pas faire un pas.

J'ai tort, ou j'ai raison.

PHILINTE.

Ne vous y fiez pas.

ALCESTE.

Je ne remuerai point.

PHILINTE.

Votre partie eft forte,

Et peut par fa cabale entraîner...

ALCESTE

ALCESTE.

Il n'importe.

PHILINTE

Vous vous tromperez.

ALCESTE.

Soit. J'en veux voir le fuccès. PHILINTE.

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Je verrai, dans cette plaiderie, Si les hommes auront affez d'effronterie, Seront affez méchans, fcélérats & pervers, Pour me faire injuftice aux yeux de l'univers. PHILINTE.

Quel homme!

ALCESTE.

Je voudrois, m'en coûtât-il grand'chofe, Pour la beauté du fait, avoir perdu ma cause. PHILINTE.

On fe riroit de vous, Alcefte, tout de bon,
Si l'on vous entendoit parler de la façon.

ALCESTE.

Tant pis pour qui riroit.

PHILINTE.

Mais cette re&titude

Que vous voulez en tout avec exactitude,

Cette pleine droiture, où vous vous renfermez,
La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez ?
Je m'étonne, pour moi, qu'étant, comme il le femble,
Vous & le genre humain, fi fort brouillés ensemble,
Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux,
Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux;
Tome IV.

E

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