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un soleil ardent, et dura depuis midi 1214. jusqu'à la nuit.

Le roi, qui avoit marché toute la matinée, ne comptoit pas combattre dans ce jour. Il avoit pris la résolution de faire reposer ses troupes harrassées, et lui-même jouissoit d'un peu de fraicheur au pied d'un frêne, lorsqu'on vint l'avertir que les ennemis paroissoient. Il entendoit déjà dans les postes avancés le cliquetis des armes. Aussitôt il reprend les siennes, fait une courte prière dans une chapelle, qui se trouvoit près de lui, et comme il soupçonnoit des traitres dans son camp, il imagine de les lier par une espèce de serment qu'ils auroient honte de rompre. Ce monarque fait poser son sceptre et sa couronne sur un autel portatif à la vue de son armée, puis élevant la voix : << Seigneurs fran« çais, dit-il, et vous valeureux sol<< dats, qui êtes prêts d'exposer votre <<< vie pour la défense de cette cou<< ronne; si vous jugez qu'il y ait <«< quelqu'un parmi vous qui en soit, « plus digne que moi, je la lui cède « volontiers, pourvu que vous vous « disposiez à la conserver entière « et à ne la pas laisser démembrer << par ces excommuniés. Vive

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« Philippe! vive le roi Auguste ! s'é«< crie toute l'armée; qu'il règne, et que <<< la couronne lui reste à jamais; nous << lalui conserverons aux dépens de nos << vies». Ils se jettent ensuite à genoux, et le roi attendri, leur donne sa bénédiction qu'ils demandent. Il prend alors son casque, monte à cheval, et vole à la tête de l'armée. Les prêtres entonnent les pseaumes, les trompettes sonnent, et la charge commence.

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L'ordre de bataille des confédérés étoit de porter tous leurs effort contre la personne du roi, persuadés que lui tué ou fait prisonnier, leurs projets n'éprouveroient ni obstacles, ni retardemens. Ainsi trois escadrons d'élite devoient l'attaquer directement pendant que, de chaque côté, un autre de même force tiendroit en échec ceux qui voudroient venir à son secours. L'empereur commandoit ces trois escadrons; il marchoit précédé d'un charriot qui portoit l'aigle d'or sur un pał du même métal. Othon fond impétueusement sur la troupe royale. Le choc est soutenu avec fermeté; mais le nombre l'emporte. Philippe est renversé, et foulé aux pieds des chevaux. En vain le chevalier qui portoit l'étendard auprès de lui, le haussoit et bais

soit

pour avertir du danger où se trouvoit le roi, et appeler du secours : serrés de trop près eux-mêmes par les escadrons qu'on leur avoit opposés, les plus voisins du roi se soutenoient à peine, loin de pouvoir courir à son aide. Cependant ils font un effort commun, repoussent les assaillans, et attaquent à leur tour: Philippe est remonté,' il tombe comme la foudre sur ses ennemis le charriot impérial est renversé, l'aigle enlevé. Othon, trois fois démonté, saisi au corps par un chevalier français, et délivré par les siens, prend un des premiers la fuite. Les comtes de Flandres et de Boulogne, qui avoient le plus grand intérêt à ne pas tomber entre les mains du roi entretinrent long-temps le combat, mais furent enfin faits prisonniers et présentés au roi. Après de durs reproches, il les fit charger de fers. Renaud fut enfermé dans un noir cachot, attaché à une grosse chaîne qui lui permettoit à peine d'en parcourir l'espace, et Ferrand fut traîné à la suite du roi pour servir à son triomphe.

Le principal succès de la bataille est dû à Guerin, chevalier du Temple, qui s'étoit distingué dans les guerres d'Orient, et qui étoit nommé évêque de Senlis. Chargé de ranger l'armée en

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ce

bataille, il eut l'adresse de mettre le
soleil dans les yeux de l'ennemi,
qui contribua beaucoup à la victoire.
Philippe, évêque de Beauvais, se servit,
dans cette journée, d'une masse de fer
avec laquelle il assommoit les ennemis.
Il avoit été fait prisonnier autrefois
dans une bataille où il s'étoit distingué
par le carnage. Le pape demanda sa
liberté, en l'apellant son fils; le vain-
queur envoya au souverain pontife les
habits ensanglantés du prélat, et lui fit
dire, comme autrefois les enfans de
Jacob à leur père : reconnoissez-vous
les vêtemens de votre fils? Le souve-
rain pontife n'insista pas; l'évêque,
délivré par un autre moyen, devint
plus scrupuleux ou plus circonspect,
et c'est pour cela que de peur de ré-
pandre le sang, tuoit, non avec l'é-
pée, mais avec la masse.

Les communes qui faisoient le plus grand nombre dans l'armée n'en faisoient pas la principale force; c'étoient les chevaliers, ces hommes couverts d'une armure impénétrable, montés sur des chevaux, bardés de fer comme eux, qui décidoient de la victoire. Mais aussi, dans une déroute, la soldatesque, légèrement armée, alerte et avide de butin, faisoit une terrible exécution

sur les fuyards. Rarement les Vilains, comme on les appeloit, gardoient des prisonniers de leur classe, parce qu'ils ne pouvoient pas en espérer grande rançon. Ils tuoient pour les dépouilles ; aussi quand le massacre étoit une fois commencé, il devenoit épouvantable. On dit que les confédérés perdirent de cinquante à cent mille hommes, malheureux Allemands et Flamands tirés de leurs villages pour venir se faire égorger en France; au lieu que peu de chevaliers perdirent la vie dans la bataille de Bouvines. Il étoit difficile de les tuer, à moins qu'on ne les assommât mais aussi une fois démontés, il étoit très-aisé de les faire prisonniers, parce qu'emmaillotés, pour ainsi dire, dans leurs armures, il leur étoit presqu'impossible de se relever. Les fantassins les tiroient avec des crocs de dessus leurs chevaux, les garottoient et les emmenoient pour en tirer rançon, Il fut présenté au roi, sur le champ de bataille, vingt-cinq seigneurs portant bannière, une multitude de nobles et chevaliers, et cinq comtes, outre Renaud de Boulogne et Ferrand de Flandres. Une vieille tante de celui ci inquiète du succès de son entreprise,

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