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bre auprès d'un pont que Louis avoit fait jeter sur le Tanis. La corruption des uns et des autres infecta l'air et les eaux; les petits poissons que le soldat en tiroit, corrompus eux-mêmes, étoient plutôt un poison qu'une nourriture. Une si triste situation fit songer à la retraite, retraite de malades, de blessés, d'hommes exténués par défaut de nourriture, sous un soleil brûlant, devant une armée saine et active. On entassa des blessés ou languissans de maladies, le plus grand nombre qu'on pût dans les bateaux. On plaça le roi avec peine sur un cheval. On se distribua les postes ; les moins foibles se chargèrent de protéger la marche.

1250.

Le roi est

nier.

Mais cette triste phalange ne se fut fait prison-pas plutôt ébranléc, que les ennemis l'assaillirent de tous côtés, de près de loin, en queue et de front, à coups de dards, d'épées et de masses. Louis, dans ce moment, retrouva sa vigueur; il faisoit avec les chevaliers qui l'environnoient, des charges terribles. Pendant la fuite des ennemis, les Français tâchoient de gagner du terrein; mais ceux-là revenoient toujours plus nombreux. Les forces enfin abandonnèrent le monarque; il succomboit, il alloit être tué ou pris. Un chevalier

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nommé Geofroi de Sargines, le tira de la mêlée, reçut les coups qu'on lui portoit et le fit passer au-delà du pont.. Gauthier de Chatillon soutint longtemps seul sur ce pont l'effort des ennemis; mais ils l'abbattirent à la fin, et passant précipitamment par - dessus son corps hérissé de flêches, percé et meurtri, ils arrivèrent à une maison où gissoit le monarque presque mourant. Des chevaliers le défendoient encore. Un huissier cria, sans commandement, que le roi ordonnoit qu'on se rendit, que s'ils ne le faisoient pas, ils exposoient sa personne. Les armes leur tombèrent des mains, qui furent aussitôt chargées de chaînes. Premier Le roi, ses frères et les seigneurs Almoadin. pris avec eux, eurent beaucoup à souffrir de la soldatesque effrénée, jusqu'au moment où Louis pût s'aboucher avec Almoadin. Ils firent ensemble un traité assez avantageux pour des vaincus, réduits à une si extrême détresse; mais la catastrophe du soudan les replongea dans de nouveaux malheurs. Quelques émirs, mécontens ou jaloux, inspirèrent à leurs troupes des sentimens de révolte. Ils répandirent le bruit qu'Almoȧdin vouloit garder pour lui et ses favoris la rançon du

traité avec

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roi, sans leur en faire part; qu'il avoit même dessein de se servir des prisonniers français, après qu'il auroit rompu leurs fers, pour se débarrasser de ceux qui lui étoient suspects, entr'autres des Mameloucks, qui faisoient dès-lors un corps puissant dans l'armée. Ces imputations soulèvent cette milice ombrageuse. Ils attaquent le jeune soudan à l'improviste il se sauve dans une tour de bois sur le bord du Nil. Les révoltés y mettent le feu. Almoadin se jette dans le fleuve pour se sauver à la nage; mais il est percé de flèches avant d'arriver à l'autre bord.

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Douxieme

les émirs.

Le roi se ressentit ainsi que les autres prisonniers, de l'anarchie cai- traité avee sée par cette rébellion. Les mutins s'emparèrent de sa personne. Les uns venoient lui demander insolemment leur part de sa rançon; ils allèrent même jusqu'à le menacer de massacrer sous ses yeux ses compagnons d'infortune, et de le mettre lui-même à la torture; pendant que d'auꞌres, témoins de son courage dans la bataille, admirant sa fermeté dans les fers, et touchés de sa patience et de sa douceur, lui offroient leur couronne. Il devint en quelque manière, arbitre entre les émirs, et les rapprocha. On remit sur

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le tapis le traité dont l'exécution avoit
été suspendue par les troubles, et il
fut suivi sans aucun changement. Le
roi rendoit Damiette pour sa rançon
personnelle, n'ayant jamais voulu con-
sentir à être mis à prix d'argent pour
ses frères et les autres prisonniers, il
s'engageoit à une somme de huit cent
mille besans d'or, (1) (cent mille marcs
d'argent), dont le tiers seroit payé
comptant, et on stipula une trève de
dix ans.
Louis laissa son frère Al-
phonse et un certain nombre de che-
valiers en otage, et partit pour-Da-
mictte, d'où il envoya le premier paie-
ment qui délivra ces prisonniers. Le
trésorier se vanta à Louis, d'avoir ga-
gné par ruse quelque chose sur le poids
des espèces, auxquelles les Sarrasins ne
se connoissoient pas. Le scrupuleux
monarque ordonna que ce gain illicite
fût restitué. Ce premier paiement, trop
fort pour ce qui restoit dans la caisse
royale, fut formé des contributions vo-
lontaires des malheureux qui avoient
échappé, tant par terre que par eau, à la

(1) Besans ou bizantins, monnoie de Bysance ou de Constantinople, de la valeur d'un huitième de marc d'argent, et par-con. séquent équivalente à six à sept francs d'aujourd'hui.

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fureur des barbares, et qui s'étoient refugiés à Damiette, et de tous les meubles et bijoux que la reine Marguerite, Jeanne, sa belle-sœur, et les dames de leur suite, purent retrancher à leur nécessaire, et qu'elles vendirent à des juifs.

Le roi remit Damiette aux Sarrasins et se rendit à St.-Jean-d'Acre où la reine l'avoit déja précédé. Il seroit difficile de peindre la désolation de cette princesse, quand elle avoit appris la captivité de son mari. L'idée effrayante qu'elle s'étoit faite, peut être avec raison, de la lubricité de la milice asiatique, lui causoit des convulsions de désespoir. Elle s'imaginoit toujours les entendre aux portes de son appartement on mettoit la nuit, dans sa chambre, un vieux chevalier pour la rassurer. Dans un de ses momens d'effroi, elle se jeta à ses pieds: Jurezmoi, chevalier, lui dit-elle, que vous ferez tout ce que je vous demanderai. Il le promit. C'est, ajoute-t-elle, que si les Sarrasins s'emparent de cette ville > vous me couperez la tête avant qu'ils me puissent prendre. J'y songeois, répondit-il.

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Désespoir de la reine.

Les princes et leur suite abandon- Le roi reste nèrent, le plutôt qu'il leur fût possi

en Palestine: ses motifs.

ble, cette plage funeste; mais, malgrẻ 1251-53.

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