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même le vide des conceptions socialistes semble faire toucher à la terre promise, et devoir ramener l'humanité à l'âge d'or.

Aussi, pas un socialiste n'a-t-il manqué de proclamer, en même temps que le droit au travail, la nécessité de fixer le nombre des heures de travail. Admirable façon de comprendre la liberté individuelle!

Jadis, Campanella, l'auteur de la Cité du Soleil, avait, lui aussi, créé de toutes pièces une Utopie, une Icarre, un phalanstère; mieux que cela, une cité dont le Grand Métaphysicien, ou maître suprême des Solariens, porte le nom de Sol (soleil), et est assisté de trois chefs: Pon, Sin et Mar (Puissance, Sagesse, Amour). Mais l'invention merveilleuse de Campanella est dans l'organisation du travail qui est distribué aux deux sexes selon les aptitudes et les forces de chacun, si bien distribué d'ailleurs que quatre heures de travail par jour suffisent.

La Commune, en 1871, était moins libérale, puisqu'elle 'exigeait, dans ses ateliers, dix heures de travail. Depuis, nos libéraux ont compris que la masse des travailleurs ne peut être conquise par un programme qui comporte dix heures de travail; ils ont réduit ce nombre à huit (1); M. Vaillant se contente de six heures; M. Hyndmann demande quatre heures; M. Pablo Lafargue trois heures; M. Reinsdorf deux heures; le Dr Joynes une heure et

(1) La loi de huit heures ne serait pour les socialistes qu'un palliatif, et non pas, comme on pourrait le croire, un moyen d'améliorer le sort des travailleurs; elle serait un moyen politique pour håter l'avènement de la révolution sociale. M. Arcès-Sacré (Lois socialistes) révèle, en ces termes, cet objectif : « Elle nous permettra d'user, à coudées franches, du droit de réunion, pendant les heures de loisir que nous laissera la réduction de la durée du travail; et de hâter ainsi, par la propagande, l'avènement de la révolution sociale. La loi des huit heures sera pour nous une position conquise, un premier avantage, qui nous permettra de débusquer le capitalisme de ses autres retranchements. >>

demie, sans doute avec le droit d'arriver à l'atelier avec une demi-heure de retard.

Tel est le progrès auquel sont condamnés les socialistes, s'ils veulent conserver leur clientèle électorale. Voilà le sang nouveau que l'on veut inoculer au peuple français, et cela au nom de la liberté.

Nous devons, toutefois, avouer que cette diminution des heures de travail est tout en faveur de la socialisation du travail et répond victorieusement à l'une des principales objections qu'on lui oppose: L'État, dit-on, devra se préoccuper du rapport entre la production et la consommation; si les consommateurs n'achètent pas le produit du travail de l'État, ce sera la banqueroute. Pour éviter cet écueil, l'État socialiste prend le moyen le plus simple: la production, par suite de la diminution des heures de travail, sera telle qu'elle sera forcément inférieure à la consommation.

Nous nous permettrons de poser, à ce sujet, une question à MM. les socialistes: Si la diminution des heures de travail doit amener une production inférieure à la consommation, d'où proviendra l'excédent nécessaire? Quel capital, ou plutôt quel travail, le capital n'étant, suivant Karl Marx, que le travail cristallisé, paiera cet excédent de consommation? Quand la famine se fera sentir, on pourra, il est vrai, édicter des heures de travail supplémentaire. Mais si la famine se déclare en été, pourra-t-on semer et récolter en même temps le blé nécessaire pour parfaire le déficit de la production? Il suffit de poser ces questions pour les résoudre.

La journée de huit heures de travail est pratiquée avec succès dans plusieurs industries en Amérique; en Australie, la journée a été légalement réduite à huit heures. Nous croyons toutefois que cette mesure doit venir des mœurs plutôt que des lois. « Il ne faut point faire, a dit Montesquieu (Pensées diverses), par les lois ce qu'on peut faire par les mœurs. >>

M. Francis Magnard (Le Figaro, mars 1894), après avoir résumé les résultats d'un essai récent, en Angleterre, de la journée de huit heures, conclut dans le mème sens :

<< MM. Mather et Pratt ont mis en pratique le système de la journée de huit heures en réduisant de cinquante-trois heures à quarante-huit heures par semaine le temps de travail fourni par les douze cents ouvriers de leur usine. Disons tout d'abord que l'expérience a été concluante. La production a été plus grande que dans les années précédentes. Il y a eu dans l'éclairage, le combustible, l'usure des machines et enfin dans la diminution du temps perdu sans la permission, une économie de 4 pour 100 correspondant exactement au surcroît de dépense qu'a entraîné l'augmentation du prix des salaires.

<< Il est probable que les ouvriers de MM. Mather et Pratt ont mis un amour-propre, d'ailleurs naturel et louable, à profiter des meilleures conditions où se présentait leur travail pour faire de la bonne besogne. Ils devenaient pour ainsi dire un champ d'expériences, et il était important que cette expérience tournât bien... Ces résultats bien acquis et bien constatés, il n'en reste pas moins évident que l'initiative privée devrait imiter les patrons des Salford Iron Works, mais qu'il serait dangereux d'imposer par voie légale une limitation des heures de travail qui, possible en tout cas dans une grande usine, ne le serait point dans le petit patronat, non plus que dans certaines périodes du travail agricole.

« Cette réforme, empreinte d'un esprit sagement humanitaire, désirable partout où il y aura moyen de l'appliquer, doit venir des mœurs plutôt que des lois. »

Le journal L'Éclair, relatant la même expérience, ajoute: « Ce n'est à pas dire que la question de huit heures soit rigoureusement tranchée. Il reste bien des points à éclaircir. Ce qui est vrai pour une catégorie d'industries le sera-t-il

pour toutes? La limitation obligatoire de la journée ne conduirait-elle pas les patrons à établir chez les travailleurs une sélection qui condamnerait au chômage nombre de bras qui sont employés aujourd'hui ? Ce sont là des faces du problème qui demandent à être encore étudiées. »

Le journal de M. l'abbé Garnier (Le Peuple français), au sujet de la même expérience, dit également : « Souhaitons, comme beaucoup de nos confrères, qu'une innovation si heureuse à tous points de vue, trouve partout ailleurs son application.

<< Mais, bien entendu, nous ne voulons point insinuer que l'État doive intervenir dans une question qui doit se régler de patrons à ouvriers. »

Ajoutons que l'essai de la journée de huit heures de travail a été tenté à plusieurs reprises sans succès. Telle réforme convient à un pays et non pas à un autre; à une industrie, mais est nuisible à une autre, et ne peut s'appliquer à tous les ouvriers. Concluons, en disant avec M. F. Magnard : « On a compris que la nation où les Trois-Huit deviendraient la règle obligatoire du travail serait ruinée du coup, et l'on a demandé à réfléchir.

<< On part toujours d'une supposition trop simple pour être exacte, à savoir que le patron gagne énormément sur le travail de l'ouvrier. Le cas, évidemment, se produit souvent, mais pour le petit patronat encore si important en France, il est loin d'être toujours exact... La durée du travail varie naturellement pour chaque ouvrier et pour chaque métier: la rapidité de la conception, la souplesse de la main ne sont pas des dons universels: il y a des maladroits, des méthodiques, des lambins, sans même parler des paresseux.

<«< Il faut cette folie de l'égalité qui hante les cerveaux contemporains et qui en affole beaucoup pour avoir pensé à une formule réglementaire qui, dans la pratique, sacrifierait les ouvriers laborieux aux... autres. » (Le Figaro, avril 1894.)

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Nos profonds socialistes qui ont étudié, sans doute, le fonctionnement de la société dans la Cité du Soleil, ont le souci complet des besoins du peuple; rien n'échappe à leur entendement; rien ne peut éviter leurs réformes.

Les ouvriers deviennent tous des fonctionnaires; ils n'ont pas un salaire, mais un traitement fixe; ce qui nous paraît encore un excellent moyen de ne pas augmenter une production qui pourrait devenir dangereuse. La même sollicitude, au nom de la liberté, indique à chacun la profession qu'il doit suivre, le métier qu'il doit exercer. Nous devenons tous des Ilotes; nous sommes moins que la bête, car la bête va où elle veut. A Sparte, les arts étaient bannis; le socialisme les encourage. Suivant Bebel : « La société de l'avenir aura des savants et des artistes de tout genre qui, pendant une partie de la journée, accompliront leur tâche manuelle et pendant le reste du temps se livreront à leurs études ou à leur art préféré. » Il est profondément regrettable que Michel-Ange et Léonard de Vinci n'aient pas vécu sous ce régime qui met les arts entre l'enclume et le

marteau.

Ce n'est pas tout encore la diminution des heures de travail doit, dans l'organisation nouvelle, avoir pour conséquence l'augmentation des salaires. On ne peut plus dire que la perfection n'est pas de ce monde. Est-il régime qui ait atteint ce degré de perfection? Nous n'essayerons pas de démontrer la corrélation entre diminution de travail et augmentation des produits et des salaires. Nous avons essayé, mais inutilement, de comprendre la phraséologie socialiste sur cette docte matière. Nous ne chercherons non plus à démontrer lesquels ont raison des utopistes qui veulent

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