Images de page
PDF
ePub

constate que « En observant le passé, principalement aux époques où les différents éléments: propriété, famille, gouvernement, langage, ont entre eux une liaison durable, nous voyons que l'équilibre entre ces diverses forces élémentaires a toujours été maintenu par un ensemble de notions et de pratiques universelles. A tel état de la propriété, de la famille, du gouvernement, correspond un état religieux particulier nullement arbitraire. Les rapports que les forces sociales ont les unes avec les autres sont dépendants de la religion dominante, à ce point que la théorie de l'évolution sociale va se borner, dans sa partie principale, à consulter l'histoire de l'évolution religieuse. » M. C. Monier ajoute (Exposé du Positivisme): « Que la religion s'appuie sur des vues surnaturelles, ou sur des vues réelles, que les pratiques soient superstitieuses ou raisonnables, il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas de société sans religion. Dans les époques les plus troublées où le nombre des croyances communes descend à sa limite extrême, il est encore facile de constater la vérité de cette proposition. De nos jours, chez les plus ardents négateurs et révolutionnaires, on éprouve le besoin de s'entendre sur autre chose que sur des négations, de remplacer les cérémonies théologiques par d'autres plus en rapport avec notre raison. » Dans la révolution sociale, nous voyons bien les négations; mais où sont les affirmations? Nous pouvons présager les ruines qu'elle fera; quelles sont les constructions qu'elle édifiera? Par quoi doit-elle remplacer ce qu'elle détruit? Peut-on répondre à ces questions, quand son programme est muet à cet égard !

[blocks in formation]

CHAPITRE III

La propriété et le collectivisme

«La propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. »>

(Constitution de l'an III, art. 5.)

La Déclaration des droits de l'homme et la Constitution de 1791 avaient établi la propriété individuelle, inviolable et sacrée ; l'expropriation pour cause d'utilité publique était cependant admise, sous la condition d'une juste et préalable indemnité. C'est en vertu de ce principe, que la révolution sociale rêve l'expropriation des bourgeois en faveur du Quatrième État; celui-ci n'a-t-il pas le droit de posséder, à son tour, ce que ceux-là ont amassé par le travail, l'intelligence et l'économie ?

Toutefois, on ne parle guère de la juste et préalable indemnité; ce n'est donc plus l'expropriation, mais la dépossession arbitraire. L'expropriation, toutefois, ne s'appliquerait pas aux petits propriétaires cultivant eux-mêmes leur terre; on craint de froisser un si grand nombre d'électeurs.

Le collectivisme, par la nationalisation du sol, la socialisation du capital, répartit, en apparence, entre tous, ce qui aujourd'hui est individuel. C'est la communauté qui possède; tout le monde est riche; ce qui revient à dire que tout le monde est pauvre.

On nous permettra de n'avoir qu'une confiance très limitée. dans la théorie collectiviste, qui n'est qu'une forme du communisme que nous avons étudié, et dont nous avons fait ressortir les conséquences politiques et économiques (voy. III partie). En outre, il nous est difficile de ne pas avoir

quelques appréhensions sur le mode de fonctionnement de ce communisme perfectionné. Comment, notamment, admettre que la révolution sociale, après avoir confisqué la propriété, consente à laisser aux bourgeois leur part dans le bien-être, dans la prospérité, dans la richesse générale qui découleront forcément d'un état social nouveau ? Qu'après avoir, par les moyens que nous savons, détruit ce qui existe, pour y substituer le Quatrième État, la révolution admette les uns et les autres aux mêmes droits, aux mêmes devoirs (1)? Les riches ne deviendront-ils pas forcément les pauvres, et vice versa? S'il doit en être différemment, pourquoi cette institution d'un Quatrième État; n'est-il pas destiné précisément à se substituer aux trois autres? Il doit avoir une raison d'ètre; laquelle, si ce n'est celle que nous présageons? Le principe d'égalité paraîtrait, pensons-nous, nécessiter plutôt la suppression des castes et des États que la création d'une nouvelle catégorie de citoyens. Aussi la société collectiviste nous semble-t-elle devoir revêtir les formes du communisme à Sparle d'un côté les maîtres, les Spartiates; la force; de l'autre les esclaves, les ilotes ; la faiblesse; les premiers vivant du travail des seconds. Une seule différence existerait entre Sparte et la France : à Sparte les maîtres étaient les moins nombreux; en France, les expropriés, devenus des ilotes, seraient le plus grand nombre; en effet, les détenteurs actuels de la propriété mobilière

(1) << Phaléas de Chalcédoine avait imaginé une façon de rendre égales les fortunes dans une république où elles ne l'étaient pas. Il voulait que les riches donnassent des dots aux pauvres et n'en reçussent pas; et que les pauvres reçussent de l'argent pour leurs filles, et n'en donnassent pas. Mais je ne sache point qu'aucune république se soit accommodée d'un règlement pareil. Il met les citoyens sous des conditions dont les différences sont si frappantes, qu'ils haïraient cette égalité même que l'on chercherait à introduire. Il est bon quelquefois que les lois ne paraissent pas aller si directement au but qu'elles se proposent. »> (MONTESQUIEU.)

et de la propriété immobilière, en y ajoutant ceux qui possèdent le capital numéraire et les livrets de caisse d'épargne; ceux qui ont une situation qui n'est pas représentée par le capital argent, mais par le capital travail ; ceux qui occupent les innombrables positions que nécessite le fonctionnement du commerce, de l'industrie, des services publics ou ·privés ; en un mot, tous ceux qui doivent protester contre une expropriation collective, parce qu'ils ont tout à perdre et rien à gagner, constituent une majorité (1). Cette majorité accepterait-elle volontiers la dépossession; et ne chercherait-elle pas, à son tour, dans la force, que lui donnerait le nombre, à se substituer au Quatrième État?

A Sparte aussi, les ilotes, c'est-à-dire la majorité opprimée par la minorité, manifestaient leur sourde colère; les Spartiates avaient trouvé un singulier moyen d'apaiser les révoltes et d'en prévenir le retour pour quelque temps, ils massacraient une partie des esclaves et transformaient ainsi la majorité en minorité.

« La force, a dit Benoît Malon (Le nouveau parti), est l'accoucheuse des sociétés nouvelles. » La violence ne peut produire que la violence; la révolution sociale, fondée sur la

(1) M. E. Richter (Où mène le Socialisme), après avoir dit que, par suite de la nouvelle organisation sociale, les caisses d'épargne de l'Allemagne n'ont que 8 millions d'actif pour des dépôts s'élevant à plus de 5 milliards de mark, ajoute : « Des millions de braves ouvriers et de bons démocrates socialistes éprouveront une amère déception si, maintenant que le travailleur doit recueillir le produit entier de son travail, ils se voient enlever les fruits d'un rude labeur par la confiscation de leurs dépôts à la caisse d'épargne. Qu'est-ce qui a rendu l'épargne possible? Un travail assidu, l'économie, la privation de beaucoup de jouissances, par exemple du tabac et des spiritueux, que les autres ouvriers se permettaient. Beaucoup de gens ont cru pouvoir, en déposant leur argent à la caisse d'épargne, se créer une ressource pour le cas de malheurs extraordinaires, un soulagement pour leur vieillesse. Les assimiler à ceux qui n'ont rien mis de côté sera ressenti comme une injustice par des millions de personnes. >>

lutte des classes, la guerre sociale, ne peut durer que par la force et ne produire que la guerre civile.

Le collectivisme proclame l'expropriation collective imposée par la force ; et les disciples des apôtres proclament, à leur tour, l'expropriation individuelle, en attendant la première qui tarde trop.

Un exemple entre mille: Le Père Peinard insérait, il y a peu de temps, les lignes suivantes : «Ils durent se contenter de faire main basse sur le linge.

« Seulement c'étaient des types si marmiteux, si déguenillés, deux hommes, un enfant de quinze ans et une femme enceinte, qu'en transportant leur paquet, ils attirèrent tout de suite l'attention. Avant même que l'expropriation de l'Église fût connue, des pandores arrêtaient les trois premiers pour vagabondage et leur foutaient les menottes. Quant à la femme, elle fut paumée peu après sur la dénonciation d'un gargottier dont il serait bon de connaître le nom. Ce ne fut pas difficile de les arrêter; les pauvres bougres n'avaient rien tortoré depuis la veille au matin.

« Fâcheux que cette petite expédition ait si mal fini. N'empêche qu'elle peut donner des idoches aux copains qui ont du goût pour l'expropriation.

« S'attaquer aux caisses publiques, aux capucinières, aux coffres des richards... c'est de la révolte et de la bonne. »

Nous avons établi antérieurement que le degré de civilisation d'un peuple est en raison du degré de morale, nous connaissons maintenant le degré de morale de la révolution sociale, c'est-à-dire son degré de civilisation.

En effet, à quel âge de la civilisation le collectivisme nous conduit-il? Nous avons vu (Ire partie, chap. V) que l'une des évolutions de la propriété fut l'attribution; que la propriété fut une émanation d'un seul; telle la propriété féodale. L'émancipation de l'homme, avons-nous dit, coïncida

« PrécédentContinuer »