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les lois ? Un des leurs cependant a reconnu cette vérité, Benoît Malon, qui écrivait, en 1892 : « Pour que le charriot, lourdement traîné par les événements, qui porte l'arche sainte du bonheur universel, soit toujours tiré vers les Chanaans des civilisations plus humaines et plus hautes, il y faut la projection lumineuse des pensées puissantes qui éclairent la route et fouillent l'avenir, et les constantes poussées des dévouements individuels et collectifs qu'impulse le concept idéaliste du sacrifice de soi, pour le bien commun.

<< D'où nous concluons à notre tour que l'évolution n'est pas aussi simpliste que le veulent les marxistes, et que ses facteurs sont non seulement économiques, mais encore religieux, philosophiques, politiques, sentimentaux, esthétiques... que toutes ces forces propulsives agissent les unes sur les autres, se heurtent ou se combinent, se croisent ou se parallélisent, pour déterminer la nature et le mouvement des civilisations. >>

Ce langage n'est-il pas la consécration des théories que nous avons émises et dont nous continuerons la démonstration, en opposant aux tendances rétrogrades d'un certain socialisme ce que nous considérons comme la formule du progrès le droit substitué à la force, l'équité à l'arbitraire, les lois à la tyrannie, l'ordre social à l'anarchie, la loi morale à la loi de la nature.

C'est sur ces bases que l'humanité a péniblement et lentement édifié un état social que nous pouvons modifier, mais non détruire. Les progrès du passé préparent ceux de l'avenir, et, seuls, nous permettent d'aspirer à un idéal de justice et de vérité, en continuant l'oeuvre des moralistes et des législateurs dont « l'effort constant, dit M. de Laveleye, a été de remplacer le règne de la force par le règne de la justice. Comme le dit Bacon: In societate aut vis aut lex viget. Le but est de soumettre de plus en plus les actes des hommes à l'empire de la loi, et d'une loi de plus en plus

conforme à l'équité. Les sociétés ont été longtemps et sont encore, pour une large part, comme un reflet de la nature. Les violations de la justice y sont nombreuses, mais veut on les faire disparaître, il faut s'éloigner de l'ordre de la nature et non le rétablir.

« C'est pour ce motif que le christianisme, qui est une aspiration ardente vers la justice, est conforme à la vraie science.» (Socialisme contemporain; l'État et l'individu.)

CHAPITRE V

La propriété.

«Faut-il anéantir le tien et le mien et retourner vivre dans les forêts avec les ours! >>

(J.-J. ROUSSEAU.)

En même temps que se formaient les notions de famille, que naissait l'équité, que se développait la morale, se faisait jour le principe de propriété, qui devait faciliter la constitution d'un état social.

Au début de l'humanité, et pendant de longs siècles, il ne pouvait être question de société proprement dite. En effet, la propriété individuelle ne pouvait se rencontrer chez des êtres dont la vie matérielle excluait ce principe, en ne reconnaissant que le communisme absolu.

De même encore aujourd'hui, nous voyons le communisme chez un grand nombre de peuples: chez les Esquimaux, les Hottentots, les Peaux-Rouges; en NouvelleZélande, en Afrique. Chez certains sauvages, tout est en commun; aucune notion de propriété n'existe.

La loi de l'évolution, qui s'est produite, sous toutes ses formes, dans les autres pays, est chose inconnue pour ces peuples. Leur existence matérielle est restée à peu près ce qu'elle était au début de l'humanité : la chasse, la pêche; des pâturages en commun. «Un champ propre au pâturage, dit Bouchaud (Essais sur les lois), était regardé comme appartenant à une horde ou tribu, tant qu'elle en était en possession; il en était de même de l'air qu'ils respiraient et de l'eau dont ils buvaient. Mais du moment où ils allaient s'établir ailleurs, il ne subsistait plus aucun rapport entre

eux et le champ qu'ils abandonnaient. Ce champ était ouvert aux nouveaux venus, qui avaient le droit de s'en emparer, comme s'il n'eût pas été anciennement occupé. Nous concluons de là, que tant que les hommes menèrent la vie de pasteurs, il n'y eut point entre eux et les fonds de terre, de rapport formé d'une manière assez distincte, pour que ce rapport obtint le nom de propriété.

« L'agriculture, qui fait le troisième âge de la vie sociale, produisit le rapport de propriété des fonds de terre. Un homme qui s'est donné bien des peines pour préparer un champ à être labouré, et qui a amélioré ce champ par une culture où il a employé les secours de l'art, se forme dans son imagination l'idée d'un rapport intime avec ce champ. »

Le peuple [arabe fournit un exemple de cette existence primitive et des conséquences qui découlent du communisme. Nous avons vu qu'une loi sociale et religieuse avait transformé rapidement ce peuple et l'avait conduit au sommet de la civilisation; nous savons qu'en reprenant son existence primitive, il avait reculé de plusieurs siècles.

Aujourd'hui, peuple pasteur et nomade, il est revenu, en partie, au communisme et à son état social primitif. (Voyez IVe partie, Collectivisme.)

Bien peu nombreux sont les peuples qui ont remonté le courant du progrès, au lieu de se laisser conduire par lui. Pendant que nos socialistes rêvent le rétablissement du collectivisme, contrefaçon du communisme, la France cherche à le détruire chez le peuple arabe d'Algérie. Mais les transformations sociales doivent commencer par les mœurs; viennent ensuite les lois; telles mœurs, telles lois, condition nécessaire à toute progression économique ou sociale. Nos mœurs pourraient-elles se plier à une nouvelle organisation? Celles des Arabes peuvent-elles admettre ipso facto, sans préparation, sans transition, la propriété individuelle? « L'introduction dans le monde arabe, dit M. J. Ferry

(rapport au Sénat), de la propriété individuelle, ce véhicule de la civilisation française, devait avoir promptement raison du collectivisme oriental, libérer l'homme et le sol, briser la famille et la tribu. Cette généreuse tentative a eu un échec éclatant qui mérite d'être médité. La loi française a bien pu pour un temps arracher à l'indivision familiale des parcelles de la terre arabe, les mœurs collectivistes les ont ressaisies à la génération suivante, comme la mer efface le sillage des grands navires qu'elle a portés. »

D'autre part, peut-on transformer, en France, la propriété individuelle en propriété collective; socialiser, ou nationaliser la propriété foncière? Est-ce chose possible, réalisable?

<< En Algérie, comme à peu près partout, dit M. FranckChauveau, la propriété n'est point uniforme. Elle se rattache aux traditions, aux mœurs, à l'esprit des populations... Il ne s'agit pas de savoir si, en principe, la propriété individuelle vaut mieux que la propriété collective; il s'agit de savoir s'il est prudent, et s'il est sage de défaire brusquement et sans transition l'œuvre des siècles, et, par une sorte de coup de baguette législatif, de changer un état social dont l'origine se perd dans la nuit des temps. » (Rapport au Sénat sur la propriété foncière en Algérie.)

Le communisme primitif dut lui aussi subir une évolution. La propriété par famille se substitua à la propriété par tribu. En Abyssinie, chaque famille possède son domaine qui reste indivis entre ses membres; les filles ne doivent pas généralement en hériter; elles n'en sont investies qu'à défaut d'héritiers mâles jusqu'au sixième degré. « C'était une loi analogue, disait M. G. Le Bon, qui régissait la terre salique, chez les Francs, cette terre étant un domaine familial. Chez les Hébreux, les terres étaient partagées entre les familles; mais comme les fortunes devenaient fatalement inégales, on procédait tous les cinquante ans à un nouveau partage. C'est ce qu'on appelait l'année du jubilé. Cette répartition pério

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