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commencemens de l'empire des Arabes, le prince en étoit le prédicateur'.

Il convient qu'il y ait quelque livre sacré qui serve de règle, comme l'Alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroastre chez les Perses, le Védam chez les Indiens, les livres classiques chez les Chinois. Le code religieux supplée au code civil, et fixe l'arbitraire.

Il n'est pas mal que, dans les cas douteux, les juges consultent les ministres de la religion'. Aussi, en Turquie, les cadis interrogent-ils les mollachs3. Que si le cas mérite la mort; il peut être convenable que le juge particulier, s'il y en a, prenne l'avis du gouverneur, afin que le pouvoir civil et l'ecclésiastique soient encore tempérés par l'autorité politique.

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C'est la fureur despotique qui a établi que la disgrâce du père entraîneroit celle des enfans et des femmes. Ils sont déjà malheureux, sans être criminels; et d'ailleurs il faut que le prince laisse entre l'accusé et lui des supplians pour adoucir son courroux, ou pour éclairer sa justice.

C'est une bonne coutume des Maldives' que, lorsqu'un seigneur est disgracié, il va tous les jours faire sa cour au roi, jusqu'à ce qu'il rentre en grâce sa présence désarme le courroux du prince.

Il y a des États despotiques où l'on pense que de parler à un prince pour un disgracié, c'est manquer au respect qui lui est dû. Ces princes semblent faire tous leurs efforts pour se priver de la vertu de clémence.

Arcadius et Honorius, dans la loi dont j'ai tant parlé', déclarent qu'ils ne feront point de grâce à ceux qui oseront les supplier pour les coupables. Cette loi étoit bien mauvaise, puisqu'elle est mauvaise dans le despotisme même.

La coutume de Perse; qui permet à qui veut de sortir du royaume,

1. Les califes.

2. Histoire des Tattars, III partie, p. 277, dans les remarques. 3. Montesquieu confond les mollahs avec le muphti. Le nom de mollah désigne un cadi ou juge d'un rang supérieur. (ÉD.)

4. Voy. François Pirard.

5. Comme aujourd'hui en Perse, au rapport de M. Chardin. Cet usage est bien ancien. « On mit Cavade, dit Procope, dans le château de l'oubli. Il y a une loi qui défend de parler de ceux qui y sont enfermés, et même de prononcer leur nom. »

6. La loi 5, au cod. Ad leg. Jul. maj.

7. Au chapitre vi de ce livre.

8. Frédéric copia cette loi dans les constitutions de Naples, liv. I.

est très-bonne; et, quoique l'usage contraire ait tiré son origine du despotisme, où l'on a regardé les sujets comme des esclaves, et ceux qui sortent comme des esclaves fugitifs, cependant la pratique de Perse est très-bonne pour le despotisme, où la crainte de la fuite ou de la retraite des redevables arrête ou modère les persécutions des bachas et des exacteurs.

LIVRE XIII.

DES RAPPORTS QUE LA LEVÉE DES TRIBUTS ET LA GRANDeuf
DES REVENUS PUBLICS ONT AVEC LA LIBERTÉ.

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Les revenus de l'État sont une portion que chaque citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de l'autre, ou pour en jouir agréablement.

Pour bien fixer ces revenus, il faut avoir égard et aux nécessités de l'Etat, et aux nécessités des citoyens. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels, pour des besoins de l'Etat imaginaires.

Les besoins imaginaires sont ce que demandent les passions et les foiblesses de ceux qui gouvernent, le charme d'un projet extraordinaire, l'envie malade d'une vaine gloire, et une certaine impuissance d'esprit contre les fantaisies. Souvent ceux qui, avec un esprit inquiet, étoient sous le prince à la tête des affaires, ont pensé que les besoins de l'État étoient les besoins de leurs petites âmes.

Il n'y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler que cette portion qu'on ôte et cette portion qu'on laisse aux sujets. Ce n'est point à ce que le peuple peut donner qu'il faut mesurer les revenus publics, mais à ce qu'il doit donner; et si on les mesure à ce qu'il peut donner, il faut que ce soit du moins à ce qu'il peut toujours donner.

CHAP. II.

· Que c'est mal raisonner, de dire que la grandeur des tributs soit bonne par elle-même.

On a vu, dans de certaines monarchies, que de petits pays exempts de tributs étoient aussi misérables que les lieux qui tout

1. Dans les monarchies il y a ordinairement une loi qui défend à ceux qui ont des emplois publics de sortir du royaume sans la permission du prince. Cette loi doit être encore établie dans les républiques. Mais, dans

autour en étoient accablés. La principale raison est que le petit État entouré ne peut avoir d'industrie, d'arts ni de manufactures, parce qu'à cet égard il est gêné de mille manières par le grand Etat dans lequel il est enclavé. Le grand État qui l'entoure a l'industrie, les manufactures et les arts; et il fait des règlemens qui lui en procurent tous les avantages. Le petit État devient donc nécessairement pauvre, quelque peu d'impôts qu'on y lève.

On a pourtant conclu, de la pauvreté de ces petits États, que, pour que le peuple fût industrieux, il falloit des charges pesantes. On auroit mieux fait d'en conclure qu'il n'en faut pas. Ce sont tous les misérables des environs qui se retirent dans ces lieux-là, pour ne rien faire; déjà découragés par l'accablement du travail, ils font consister toute leur félicité dans leur paresse.

L'effet des richesses d'un pays c'est de mettre de l'ambition dans tous les cœurs : l'effet de la pauvreté est d'y faire naître le désespoir. La première s'irrite par le travail; l'autre se console par la paresse.

La nature est juste envers les hommes: elle les récompense de leurs peines; elle les rend laborieux, parce qu'à de plus grands travaux elle attache de plus grandes récompenses. Mais, si un pouvoir arbitraire ôte les récompenses de la nature, on reprend le dégoût pour le travail, et l'inaction paroît être le seul bien.

CHAP. III.

Des tributs, dans les pays où une partie du peuple est esclave de la glèbe.

L'esclavage de la glèhe s'établit quelquefois après une conquête. Dans ce cas, l'esclave qui cultive doit être le colon partiaire du maître. Il n'y a qu'une société de perte et de gain qui puisse réconcilier ceux qui sont destinés à travailler, avec ceux qui sont destinés à jouir.

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Lorsqu'une république a réduit une nation à cultiver les terres pour elle, on n'y doit point souffrir que le citoyen puisse augmenter le tribut de l'esclave. On ne le permettoit point à Lacédémone: on pensoit que les Elotes' cultiveroient mieux les terres lorsqu'ils sauroient que leur servitude n'augmenteroit pas; on croyoit que les maîtres seroient meilleurs citoyens lorsqu'ils ne désireroient que ce qu'ils avoient coutume d'avoir.

celles qui ont des institutions singulières, la défense doit être générale, pour qu'on n'y rapporte pas les mœurs étrangères.

4. Plutarque, Dicts notables des Lacédémoniens.

CHAP. V.

- D'une monarchie, en cas pareil.

Lorsque, dans une monarchie, la noblesse fait cultiver les terres à son profit par le peuple conquis, il faut encore que la redevance ne puisse augmenter. De plus, il est bon que le prince se contente de son domaine et du service militaire. Mais, s'il veut lever des tributs en argent sur les esclaves de sa noblesse, il faut que le seigneur soit garant du tribut, qu'il le paye pour les esclaves, et le reprenne sur eux; et si l'on ne suit pas cette règle, le seigneur et ceux qui lèvent les revenus du prince vexeront l'esclave tour à tour, et le reprendront l'un après l'autre, jusqu'à ce qu'il périsse de misère ou fuie dans les bois.

CHAP. VI. D'un Etat despotique, en cas pareil

Ce que je viens de dire est encore plus indispensable dans l'État despotique. Le seigneur, qui peut à tous les instans être dépouillé de ses terres et de ses esclaves, n'est pas si porté à les conserver. Pierre Ier, voulant prendre la pratique d'Allemagne et lever ses tributs en argent, fit un règlement très-sage que l'on suit encore en Russie. Le gentilhomme lève la taxe sur les paysans, et la paye au czar. Si le nombre des paysans diminue, il paye tout de même; si le nombre augmente, il ne paye pas davantage : il est donc intéressé à ne point vexer ses paysans.

CHAP. VII.

Des tributs, dans les pays où l'esclavage de la glèbe n'est point établi.

Lorsque dans un État tous les particuliers sont citoyens, que chacun y possède par son domaine ce que le prince y possède par son empire, on peut mettre des impôts sur les personnes, sur les terres, ou sur les marchandises; sur deux de ces choses, ou sur les trois ensemble.

Dans l'impôt de la personne, la proportion injuste seroit celle qui suivroit exactement la proportion des biens. On avoit divisé à Athènes les citoyens en quatre classes. Ceux qui retiroient de leurs biens cinq cents mesures de fruits liquides ou secs payoient au pu blic un talent; ceux qui en retiroient trois cents mesures devoient un demi-talent; ceux qui avoient deux cents mesures payoient dix mines, ou la sixième partie d'un talent; ceux de la quatrième classe

4. C'est ce qui fit faire à Charlemagne ses belles institutions là-dessus. (Voy. le liv. V des Capitul., art. 303.)

2. Cela se pratique ainsi en Allemagne.

3. Pollux, liv. VIII, chap. x, art. 130.

ne donnoient rien. La taxe étoit juste, quoiqu'elle ne fût point proportionnelle : si elle ne suivoit pas la proportion des biens, elle suivoit la proportion des besoins. On jugea que chacun avoit un nécessaire physique égal; que ce nécessaire physique ne devoit point être taxé; que l'utile venoit ensuite, et qu'il devoit être taxé, mais moins que le superflu; que la grandeur de la taxe sur le superflu empêchoit le superflu.

Dans la taxe sur les terres, on fait des rôles où l'on met les diverses classes des fonds. Mais il est très-difficile de connoître ces différences, et encore plus de trouver des gens qui ne soient point intéressés à les méconnoître. Il y a donc là deux sortes d'injustices: l'injustice de l'homme, et l'injustice de la chose. Mais si en général la taxe n'est point excessive, si on laisse au peuple un nécessaire abondant, ces injustices particulières ne seront rien. Que si, au contraire, on ne laisse au peuple que ce qu'il lui faut à la rigueur pour vivre, la moindre disproportion sera de la plus grande conséquence.

Que quelques citoyens ne payent pas assez, le mal n'est pas grand leur aisance revient toujours au public; que quelques particuliers payent trop, leur ruine se tourne contre le public. Si l'Etat proportionne sa fortune à celle des particuliers, l'aisance des particuliers fera bientôt monter sa fortune. Tout dépend du moment. L'État commencera-t-il par appauvrir les sujets pour s'enrichir? ou attendra-t-il que des sujets à leur aise l'enrichissent? Aura-t-il le premier avantage ou le second? Commencera-t-il par être riche, ou finira-t-il par l'être?

Les droits sur les marchandises sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu'on ne leur fait pas une demande formelle. Ils peuvent être si sagement ménagés que le peuple ignorera presque qu'il les paye. Pour cela, il est d'une grande conséquence que ce soit celui qui vend la marchandise qui paye le droit. Il sait bien qu'il ne paye pas pour lui; et l'acheteur, qui dans le fond paye, le confond avec le prix. Quelques auteurs ont dit que Néron avoit ôté le droit du vingt-cinquième des esclaves qui se vendoient'; il n'avoit pourtant fait qu'ordonner que ce seroit le vendeur qui le payeroit, au lieu de l'acheteur : ce règlement, qui laissoit tout l'impôt, parut l'ôter.

Il y a deux royaumes en Europe où l'on a mis des impôts trèsforts sur les boissons: dans l'un, le brasseur seul paye le droit; dans l'autre, il est levé indifféremment sur tous les sujets qui con

1. « Vectigal quoque quintæ et vicesima venalium mancipiorum re<< missum specie magis quam vi; quia cum venditor pendere juberetur «< in partem pretii, emptoribus accrescebat. » (Tacite, Annales, liv. XIII, chap. xxxi.)

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