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lera livre ne sera qu'une très-petite portion de la livre : ce qui la rendra encore plus idéale. Il peut même arriver que l'on ne fera plus de pièce de monnoie qui vaille précisément une livre, et qu'on ne fera pas non plus de pièce qui vaille un sou pour lors, la livre et le sou seront des monnoies purement idéales. On donnera à chaque pièce de monnoie la dénomination d'autant de livres et d'autant de sous que l'on voudra; la variation pourra être continuelle, parce qu'il est aussi aisé de donner un autre nom à une chose, qu'il est difficile de changer la chose même.

Pour ôter la source des abus, ce sera une très-bonne loi, dans tous les pays où l'on voudra faire fleurir le commerce, que celle qui ordonnera qu'on emploiera des monnoies réelles, et que l'on ne fera point d'opération qui puisse les rendre idéales.

Rien ne doit être si exempt de variation que ce qui est la mesure commune de tout.

Le négoce par lui-même est très-incertain; et c'est un grand mal d'ajouter une nouvelle incertitude à celle qui est fondée sur la nature de la chose.

CHAP. IV. - De la quantité de l'or et de l'argent.

Lorsque les nations policées sont les maîtresses du monde, l'or et l'argent augmentent tous les jours, soit qu'elles le tirent de chez elles, soit qu'elles l'aillent chercher là où il est. Il diminue au contraire lorsque les nations barbares prennent le dessus. On sait quelle fut la rareté de ces métaux lorsque les Goths et les Vandales d'un côté, les Sarrasins et les Tartares de l'autre, eurent tout envahi.

CHAP. V. Continuation du même sujet.

L'argent tiré des mines de l'Amérique, transporté en Europe, de là encore envoyé en Orient, a favorisé la navigation de l'Europe c'est une marchandise de plus que l'Europe reçoit en troc de l'Amérique, et qu'elle envoie en troc aux Indes. Une plus grande quantité d'or et d'argent est donc favorable lorsqu'on regarde ces métaux comme marchandise : elle ne l'est point lorsqu'on les regarde comme signe, parce que leur abondance choque leur qualité de signe, qui est beaucoup fondée sur la rareté.

Avant la première guerre punique, le cuivre étoit à l'argent comme 960 est à 1'; il est aujourd'hui à peu près comme 73 est à 12. Quand la proportion seroit comme elle étoit autrefois, l'argent n'en feroit que mieux sa fonction de signe.

1. Voy. ci-dessous le chap. xi.

2. En supposant l'argent à quarante-neuf livres le mare, et le cuivre à ving sous la livre,

CHAP. VI.

Par quelle raison le prix de l'usure diminua de la moitié lors de la découverte des Indes.

L'Inca Garcilasso' dit qu'en Espagne, après la conquête des Indes, les rentes, qui étoient au denier dix, tombèrent au denier vingt. Cela devoit être ainsi. Une grande quantité d'argent fut tout à coup portée en Europe; bientôt moins de personnes eurent besoin d'argent; le prix de toutes choses augmenta, et celui de l'argent diminua la proportion fut donc rompue, toutes les anciennes dettes furent éteintes. On peut se rappeler le temps du système1, où toutes les choses avoient une grande valeur, excepté l'argent. Après la conquête des Indes, ceux qui avoient de l'argent furent obligés de diminuer le prix ou le louage de leur marchandise, c'est-à-dire l'intérêt.

Depuis ce temps le prêt n'a pu revenir à l'ancien taux, parce que la quantité de l'argent a augmenté toutes les années en Europe. D'ailleurs, les fonds publics de quelques États, fondés sur les richesses que le commerce leur a procurées, donnant un intérêt trèsmodique, il a fallu que les contrats des particuliers se réglassent là-dessus. Enfin, le change ayant donné aux hommes une facilité singulière de transporter l'argent d'un pays à un autre, l'argent n'a pu être rare dans un lieu, qu'il n'en vînt de tous côtés de ceux où il étoit commun.

CHAP. VII.

Comment le prix des choses se fixe dans la variation des richesses de signe.

L'argent est le prix des marchandises ou denrées. Mais comment se fixera ce prix? c'est-à-dire par quelle portion d'argent chaque chose sera-t-elle représentée?

Si l'on compare la masse de l'or et de l'argent qui est dans le monde avec la somme des marchandises qui y sont, il est certain que chaque denrée ou marchandise en particulier pourra être comparée à une certaine portion de la masse entière de l'or et de l'argent. Comme le total de l'une est au total de l'autre, la partie de l'une sera à la partie de l'autre. Supposons qu'il n'y ait qu'une seule denrée ou marchandise dans le monde, ou qu'il n'y en ait qu'une seule qui s'achète, et qu'elle se divise comme l'argent; cette partie de cette marchandise répondra à une partie de la masse de l'argent; la moitié du total de l'une, à la moitié du total de l'autre; la dixième, la centième, la millième de l'une, à la dixième, à la centième, à la millième de l'autre. Mais, comme ce

A. Histoire des guerres civiles des Espagnols dans les Indes. 2. On appeloit ainsi le projet de M. Law en France.

qui forme la propriété parmi les hommes n'est pas tout à la fois dans le commerce, et que les métaux ou les monnoies, qui en sont les signes, n'y sont pas aussi dans le même temps, les prix se fixeront en raison composée du total des choses avec le total des signes, et de celle du total des choses qui sont dans le commerce, avec le total des signes qui y sont aussi; et, comme les choses qui ne sont pas dans le commerce aujourd'hui peuvent y être demain, et que les signes qui n'y sont point aujourd'hui peuvent y rentrer tout de même, l'établissement du prix des choses dépend toujours fondamentalement de la raison du total des choses au total des

signes.

Ainsi le prince ou le magistrat ne peuvent pas plus taxer la valeur des marchandises qu'établir, par une ordonnance, que le rapport de 1 à 10 est égal à celui de 1 à 20. Julien, ayant baissé les denrées à Antioche, y causa une affreuse famine'.

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Les noirs de la côte d'Afrique ont un signe des valeurs sans monnoie; c'est un signe purement idéal, fondé sur le degré d'estime qu'ils mettent dans leur esprit à chaque marchandise, à proportion du besoin qu'ils en ont. Une certaine denrée ou marchandise vaut trois macutes; une autre, six macutes; une autre, dix macutes : c'est comme s'ils disoient simplement trois, six, dix. Le prix se forme par la comparaison qu'ils font de toutes les marchandises entre elles pour lors, il n'y a point de monnoie particulière, mais chaque portion de marchandise est monnoie de l'autre.

Transportons pour un moment parmi nous cette manière d'évaluer les choses, et joignons-la avec la nôtre; toutes les marchandises et denrées du monde, ou bien toutes les marchandises ou denrées d'un Etat en particulier considéré comme séparé de tous les autres, vaudront un certain nombre de macutes; et, divisant l'argent de cet Etat en autant de parties qu'il y a de macutes, une partie divisée de cet argent sera le signe d'une macute.

Si l'on suppose que la quantité de l'argent d'un Etat double, il faudra pour une macute le double de l'argent; mais si, en doublant l'argent, vous doublez aussi les macutes, la proportion restera telle qu'elle étoit avant l'un et l'autre doublement.

Si depuis la découverte des Indes l'or et l'argent ont augmenté en Europe à raison de 1 à 20, le prix des denrées et marchandises auroit dû monter en raison de 1 à 20; mais si, d'un autre côté, le nombre des marchandises a augmenté comme 1 à 2, il faudra que le prix de ces marchandises et denrées ait haussé d'un côté en rai

4. Histoire de l'Église, par Socrate, liv. II, chap. xvII.

son de 1 à 20, et qu'il ait baissé en raison de 1 à 2, et qu'il ne soit par conséquent qu'en raison de 1 à 10.

La quantité des marchandises et denrées croît par une augmentation de commerce; l'augmentation de commerce, par une augmentation d'argent qui arrive successivement, et par de nouvelles communications avec de nouvelles terres et de nouvelles mers, qui nous donnent de nouvelles denrées et de nouvelles marchandises.

СНАР. ІХ. · De la rareté relative de l'or et de l'argent.

Outre l'abondance et la rareté positive de l'or et de l'argent, il y a encore une abondance et une rareté relative d'un de ces métaux à l'autre.

L'avarice garde l'or et l'argent, parce que, comme elle ne veut point consommer, elle aime des signes qui ne se détruisent point. Elle aime mieux garder l'or que l'argent, parce qu'elle craint toujours de perdre, et qu'elle peut mieux cacher ce qui est en plus petit volume. L'or disparoît donc quand l'argent est commun, parce que chacun en a pour le cacher; il reparoît quand l'argent est rare, parce qu'on est obligé de le retirer de ses retraites.

C'est donc une règle : l'or est commun quand l'argent est rare, et l'or est rare quand l'argent est commun. Cela fait sentir la différence de l'abondance et de la rareté relative, d'avec l'abondance et la rareté réelle, chose dont je vais beaucoup parler.

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C'est l'abondance et la rareté relative des monnoies des divers pays qui forment ce qu'on appelle le change.

Le change est une fixation de la valeur actuelle et momentanée des monnoies.

L'argent, comme métal, a une valeur comme toutes les autres marchandises; et il a encore une valeur qui vient de ce qu'il est capable de devenir le signe des autres marchandises; et, s'il n'étoit qu'une simple marchandise, il ne faut pas douter qu'il ne perdît beaucoup de son prix.

L'argent, comme monnoie, a une valeur que le prince peut fixer dans quelques rapports, et qu'il ne sauroit fixer dans d'autres.

Le prince établit une proportion entre une quantité d'argent comme métal, et la même quantité comme monnoie; il fixe celle qui est entre divers métaux employés à la monnoie; il établit le poids et le titre de chaque pièce de monnoie; enfin, il donne à chaque pièce cette valeur idéale dont j'ai parlé. J'appellerai la valeur de la monnoie, dans ces quatre rapports, valeur positive, parce qu'elle peut être fixée par une loi,

Les monnoies de chaque État ont, de plus, une valeur relative, dans le sens qu'on les compare avec les monnoies des autres pays: c'est cette valeur relative que le change établit. Elle dépend beaucoup de la valeur positive: elle est fixée par l'estime la plus générale des négocians, et ne peut l'être par l'ordonnance du prince, parce qu'elle varie sans cesse, et dépend de mille circonstances.

Pour fixer la valeur relative, les diverses nations se régleront beaucoup sur celle qui a le plus d'argent. Si elle a autant d'argent que toutes les autres ensemble, il faudra bien que chacune aille se mesurer avec elle : ce qui fera qu'elles se régleront à peu près entre elles comme elles se sont mesurées avec la nation principale. Dans l'état actuel de l'univers, c'est la Hollande qui est cette nation dont nous parlons. Examinons le change par rapport à elle. Il y a en Hollande une monnoie qu'on appelle un florin : le florin vaut vingt sous, ou quarante demi-sous, ou gros. Pour simplifier les idées, imaginons qu'il n'y ait point de florins en Hollande, et qu'il n'y ait que des gros: un homme qui aura mille florins aura quarante mille gros; ainsi du reste. Or, le change avec la Hollande consiste à savoir combien vaudra de gros chaque pièce de monnoie des autres pays: et, comme l'on compte ordinairement en France par écus de trois livres, le change demandera combien un écu de trois livres vaudra de gros. Si le change est à cinquante-quatre, l'écu de trois livres vaudra cinquante-quatre gros; s'il est à soixante, il vaudra soixante gros; si l'argent est rare en France, l'écu de trois livres vaudra plus de gros; s'il est en abondance, il vaudra moins de gros.

Cette rareté ou cette abondance, d'où résulte la mutation du change, n'est pas la rareté ou l'abondance réelle; c'est une rareté ou une abondance relative : par exemple, quand la France a plus besoin d'avoir des fonds en Hollande que les Hollandois n'ont besoin d'en avoir en France, l'argent est appelé commun en France, et rare en Hollande, et vice versa.

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Supposons que le change avec la Hollande soit à cinquantequatre. Si la France et la Hollande ne composoient qu'une ville, feroit comme l'on fait quand on donne la monnoie d'un écu le François tireroit de sa poche trois livres, et le Hollandois tireroit de la sienne cinquante-quatre gros. Mais, comme il y a de la distance entre Paris et Amsterdam, il faut que celui qui me donne pour mon écu de trois livres cinquante-quatre gros qu'il a en Hollande me donne une lettre de change de cinquante-quatre gros sur la Hollande. Il n'est plus ici question de cinquante-quatre gros, mais

1. Les Hollandois règlent le change de presque toute l'Europe par une espèce de délibération entre eux, selon qu'il convient à leurs intérêts.

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