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Divinité de certaines familles qui se perpétuoient, et faiscient le service. Il y eut même des religions où l'on ne pensa pas seulement à éloigner les ecclésiastiques des affaires, mais encore à leur ôter l'embarras d'une famille; et c'est la pratique de la principale branche de la loi chrétienne.

Je ne parlerai point ici 'des conséquences de la loi du célibat : on sent qu'elle pourroit devenir nuisible à proportion que le corps du clergé seroit trop étendu, et que par conséquent celui des laïques ne le seroit pas assez.

Par la nature de l'entendement humain, nous aimons, en fait de religion, tout ce qui suppose un effort, comme, en matière de morale, nous aimons spéculativement tout ce qui porte le caractère de la sévérité. Le célibat a été plus agréable aux peuples à qui il sembloit convenir le moins, et pour lesquels il pouvoit avoir de plus fâcheuses suites. Dans les pays du midi de l'Europe, où, par la nature du climat, la loi du célibat est plus difficile à observer, elle a été retenue; dans ceux du nord, où les passions sont moins vives, elle a été proscrite. Il y a plus dans les pays où il y a peu d'habitans, elle a été admise; dans ceux où il y en a beaucoup, en l'a rejetée. On sent que toutes ces réflexions ne portent que sur la trop grande extension du célibat, et non sur le célibat même.

CHAP. V. Des bornes que les lois doivent mettre aux richesses du clergé,

Les familles particulières peuvent périr: ainsi les biens n'y ont point une destination perpétuelle. Le clergé est une famille qui ne peut pas périr les biens y sont donc attachés pour toujours, n'en peuvent pas sortir.

et

Les familles particulières peuvent s'augmenter : il faut donc que leurs biens puissent croître aussi. Le clergé est une famille qui ne doit point s'augmenter les biens doivent donc y être bornés.

Nous avons retenu les dispositions du Lévitique sur les biens du clergé, excepté celles qui regardent les bornes de ces biens: effectivement, on ignorera toujours parmi nous quel est le terme après lequel il n'est plus permis à une communauté religieuse d'ac quérir.

Ces acquisitions sans fin paroissent aux peuples si déraisonnables, que celui qui voudroit parler pour elles seroit regardé comme un imbécile.

Les lois civiles trouvent quelquefois des obstacles à changer des abus établis, parce qu'ils sont liés à des choses qu'elles doivent respecter dans ce cas, une disposition indirecte marque plus le bon esprit du législateur qu'une autre qui frapperoit sur la chose

même. Au lieu de défendre les acquisitions du clergé, il faut chercher à l'en dégoûter lui-même : laisser le droit, et ôter le fait.

Dans quelques pays de l'Europe, la considération des droits des seigneurs a fait établir en leur faveur un droit d'indemnité sur les immeubles acquis par les gens de mainmorte. L'intérêt du prince lui a fait exiger un droit d'amortissement dans le même cas. En Castille, où il n'y a point de droit pareil, le clergé a tout envahi; en Aragon, où il y a quelque droit d'amortissement, il a acquis moins; en France, où ce droit et celui d'indemnité sont établis, il a moins acquis encore, et l'on peut dire que la prospérité de cet Etat est due en partie à l'exercice de ces deux droits. Augmentezles, ces droits, et arrêtez la mainmorte, s'il est possible.

Rendez sacré et inviolable l'ancien et nécessaire domaine du clergé; qu'il soit fixe et éternel comme lui: mais laissez sortir de ses mains les nouveaux domaines.

Permettez de violer la règle lorsque la règle est devenue un abus; souffrez l'abus lorsqu'il rentre dans la règle.

On se souvient toujours à Rome d'un mémoire qui y fut envoyé à l'occasion de quelques démêlés avec le clergé. On y avoit mis cette maxime : « Le clergé doit contribuer aux charges de l'État, quoi qu'en dise l'Ancien Testament. » On en conclut que l'auteur du mémoire entendoit mieux le langage de la maltôte que celui de la religion.

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Le moindre bon sens fait voir que ces corps qui se perpétuent sans fin ne doivent pas vendre leurs fonds à vie, ni faire des emprunts à vie, à moins qu'on ne veuille qu'ils se rendent héritiers de tous ceux qui n'ont point de parens, et de tous ceux qui n'en veulent point avoir. Ces gens jouent contre le peuple, mais ils tiennent la banque contre lui.

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<< Ceux-là sont des impies envers les dieux. dit Platon', qui nient leur existence, ou qui l'accordent, mais soutiennent qu'ils ne se mêlent point des choses d'ici-bas; ou enfin qui pensent qu'on les apaise aisément par des sacrifices trois opinions également pernicieuses. » Platon dit là tout ce que la lumière naturelle a jamais dit de plus sensé en matière de religion.

La magnificence du culte extérieur a beaucoup de rapport a la constitution de l'État. Dans les bonnes républiques, on n'a pas seulement réprimé le luxe de la vanité, mais encore celui de la

4. Des Lois, liv. X

superstition; on a fait dans la religion des lois d'épargne. De ce nombre, sont plusieurs lois de Solon, plusieurs lois de Platon sur les funérailles; que Cicéron a adoptées; enfin quelques lois de Numa sur les sacrifices.

<< Des oiseaux, dit Cicéron, et des peintures faites en un jour, sont des dons très-divins 2. » « Nous offrons des choses communes, dit un Spartiate, afin que nous ayons tous les jours le moyen d'honorer les dieux. >>

Le soin que les hommes doivent avoir de rendre un culte à la Divinité est bien différent de la magnificence de ce culte.

<< Ne lui offrons point nos trésors, si nous ne voulons lui faire voir l'estime que nous faisons des choses qu'elle veut que nous méprisions.

«Que doivent penser les dieux des dons des impies, dit admirablement Platon3, puisqu'un homme de bien rougiroit de recevoir des présens d'un malhonnête homme? »

Il ne faut pas que la religion, sous prétexte de dons, exige des peuples ce que les nécessités de l'Etat leur ont laissé; et, comme dit Platon, des hommes chastes et pieux doivent offrir des dous qui leur ressemblent.

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Il ne faudroit pas non plus que la religion encourageât les depenses des funérailles. Qu'y a-t-il de plus naturel que d'ôter la différence des fortunes dans une chose et dans les momens qui égalisent toutes les fortunes?

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Lorsque la religion a beaucoup de ministres, il est naturel qu'ils aient un chef, et que le pontificat y soit établi. Dans la monarchie, où l'on ne sauroit trop séparer les ordres de l'Etat, et où l'on ne doit point assembler sur une même tête toutes les puissances, il est bon que le pontificat soit séparé de l'empire. La même nécessité ne se rencontre pas dans le gouvernement despotique, dont la nature est de réunir sur une même tête tous les pouvoirs. Mais, dans ce cas, il pourroit arriver que le prince regarderoit la religion comme ses lois mêmes, et comme des effets de sa volonté. Pour prévenir cet inconvénient, il faut qu'il y ait des monumens de la religion; par exemple, des livres sacrés qui la fixent et qui l'établissent. Le roi de Perse est le chef de la religion : mais l'Alcoran règle la religion; l'empereur de la Chine est le souverain

1. & Rogum vino ne respergito. » (Loi des douze tables.)

2. « Divinissima autem dona aves, et formæ ab uno pictore uno abso«<lutæ die.» (De legibus, liv. II, § 45.)

3. Des Lois, liv. IV. —4. Ibid., liv. XII.

pontife mais il y a des livres qui sont entre les mains de tout le monde, auxquels il doit lui-même se conformer. En vain un empereur voulut-il les abolir, ils triomphèrent de la tyrannie.

CHAP. IX. De la tolérance en fait de religion.

Nous sommes ici politiques, et non pas théologiens; et, pour les théologiens mêmes, il y a bien de la différence entre tolérer une religion et l'approuver.

Lorsque les lois d'un Etat ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi à se tolérer entre elles. C'est un principe, que toute religion qui est réprimée devient ellemême réprimante; car sitôt que, par quelque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a réprimée, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie.

Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non-seulement qu'elles ne troublent pas l'État, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois, en se contentant de ne pas agiter le corps de l'Etat : il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce soit.

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Comme il n'y a guère que les religions intolérantes qui aient un grand zèle pour s'établir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolérer les autres ne songe guère à sa propagation, ce sera une très-bonne loi civile, lorsque l'État est satisfait de la religion déjà établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre'.

Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maître de recevoir dans un État une nouvelle religion, ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y établir; quand elle y est établie, il faut la tolérer.

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Un prince qui entreprend dans son Etat de détruire ou de changer la religion dominante s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de risque de voir une révolution que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jamais dans ces sortes d'États une chose nouvelle. La révolution vient de ce qu'un État ne change pas de religion, de mœurs et de manières dans un in

4. Je ne parle point, dans tout ce chapitre, de la religion chrétienne, parce que, comme j'ai dit ailleurs, la religion chrétienne est le premier bien. Voy. la fin du chap. 1 du livre précédent, et la Défense de l'Esprit des lois, II partie,

stant, et aussi vite que le prince publie l'ordonnance qui établit une religion nouvelle.

De plus, la religion ancienne est liée avec la constitution de l'État, et la nouvelle n'y tient point celle-là s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus les citoyens se dégoûtent de leurs lois; ils prennent du mépris pour le gouvernement déjà établi; on substitue des soupçons contre les deux religions, à une ferme croyance pour une; en un mot, on donne à l'État, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens, et de mauvais fidèles.

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Il faut éviter les lois pénales en fait de religion. Elles impriment de la crainte, il est vrai; mais, comme la religion a ses lois pénales aussi qui inspirent de la crainte, l'une est effacée par l'autre. Entre ces deux craintes différentes, les âmes deviennent atroces.

La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que, lorsqu'elles sont présentes à notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien quand on nous l'ôte, et qu'on ne nous ôté rien lorsqu'on nous la laisse.

Ce n'est donc pas en remplissant l'âme de ce grand objet, en l'approchant du moment où il lui doit être d'une plus grande importance, que l'on parvient à l'en détacher : il est plus sûr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l'espérance de la fortune; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d'autres passions agissent sur nos âmes, et que celles que la religion inspire sont dans le silence. Règle générale en fait de changement de religion, les invitations sont plus fortes que les peines.

Le caractère de l'esprit humain a paru dans l'ordre même des peines qu'on a employées. Que l'on se rappelle les persécutions du Japon; on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'elles n'effarouchent, qui sont plus difficiles à surmonter, parce qu'elles paroissent moins difficiles.

En un mot l'histoire nous apprend assez que les lois pénales n'ont jamais eu d'effet que comme destruction.

1. Voy. le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, t. V, part. I, p. 192.

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