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toit-il, il étoit un mauvais citoyen; la gardoit-il, il étoit un mal honnête homme. Il n'y avoit que les gens d'un bon naturel qui pensassent à éluder la loi; il n'y avoit que les honnêtes gens qu'on pût choisir pour l'éluder car c'est toujours un triomphe à remporter sur l'avarice et les voluptés; et il n'y a que les honnêtes gens qui obtiennent ces sortes de triomphes. Peut-être même y auroit-il de la rigueur à les regarder en cela comme de mauvais citoyens. Il n'est pas impossible que le législateur eût obtenu une grande partie de son objet, lorsque sa loi étoit telle qu'elle ne forçoit que les honnêtes gens à l'éluder.

Dans les temps que l'on fit la loi Voconienne, les mœurs avoient conservé quelque chose de leur ancienne pureté. On intéressa quelquefois la conscience publique en faveur de la loi, et l'on fit jurer qu'on l'observeroit de sorte que la probité faisoit, pour ainsi dire, la guerre à la probité. Mais, dans les derniers temps, les mœurs se corrompirent au point que les fidéicommis durent avoir moins de force pour éluder la loi Voconienne que cette loi n'en avoit pour se faire suivre.

Les guerres civiles firent périr un nombre infini de citoyens. Rome, sous Auguste, se trouva presque déserte : il falloit la repeupler. On fit les lois Papiennes, où l'on n'omit rien de ce qui pouvoit encourager les citoyens à se marier et à avoir des enfans'. Un des principaux moyens fut d'augmenter, pour ceux qui se prètoient aux vues de la loi, les espérances de succéder, et de les diminuer pour ceux qui s'y refusoient; et, comme la loi Voconienne avoit rendu les femmes incapables de succéder, la loi Papienne fit dans de certains cas cesser cette prohibition.

Les femmes3, surtout celles qui avoient des enfans, furent rendues capables de recevoir en vertu du testament de leurs maris; elles purent, quand elles avoient des enfans, recevoir en vertu du testament des étrangers: tout cela contre la disposition de la loi Voconienne; et il est remarquable qu'on n'abandonna pas entièrement l'esprit de cette loi. Par exemple, la loi Papienne permettoit à un homme qui avoit un enfant de recevoir toute l'hérédité

1. Sextilius disoit qu'il avoit juré de l'observer. (Cicéron, De finibus bon. et mal., liv. II, § 55.)

2. Voy. ce que j'en ai dit au liv. XXIII, chap. XXI.

3. Voy. sur ceci les Fragmens d'Ulpien, tit. xv, § 16.

4. La même différence se trouve dans plusieurs dispositions de la loi Papienne. Voy. les Fragmens d'Ulpien, § 4 et 5, titre dernier; et le même, au même titre, § 6.

5.

« Quod tibi filiolus, vel filia, nascitur ex me....
Jura parentis habes; propter me scriberis hæres.»

(JUVENAL, satire Ix, vers 83-87.)

par le testament d'un étranger; elle n'accordoit la même grâce à la femme que lorsqu'elle avoit trois enfans..

Il faut remarquer que la loi Papienne ne rendit les femmes qui avoient trois enfans capables de succéder qu'en vertu du testament des étrangers; et qu'à l'égard de la succession des parens, elle laissa les anciennes lois et la loi Voconienne dans toute leur force'. Mais cela ne subsista pas.

Rome, abîmée par les richesses de toutes les nations, avoit changé de mœurs; il ne fut plus question d'arrêter le luxe des femmes. Aulu-Gelle, qui vivoit sous Adrien, nous dit que de son temps la loi Voconienne étoit presque anéantie; elle fut couverte par l'opulence de la cité. Aussi trouvons-nous dans les sentences de Paul', qui vivoit sous Niger, et dans les Fragmens d'Ulpien3, qui étoit du temps d'Alexandre Sévère, que les sœurs du côté du père pouvoient succéder, et qu'il n'y avoit que les parens d'un degré plus éloigné qui fussent dans le cas de la prohibition de la loi Voconienne.

Les anciennes lois de Rome avoient commencé à paroître dures; et les préteurs ne furent plus touchés que des raisons d'équité, de modération et de bienséance.

Nous avons vu que, par les anciennes lois de Rome, les mères n'avoient point de part à la succession de leurs enfans. La loi Voconienne fut une nouvelle raison pour les en exclure. Mais l'empereur Claude donna à la mère la succession de ses enfans, comme une consolation de leur perte : le sénatus-consulte Tertullien, fait sous Adrien, la leur donna lorsqu'elles avoient trois enfans, si elles étoient ingénues; ou quatre, si elles étoient affranchies. Il est clair que ce sénatus-consulte n'étoit qu'une extension de la loi Papienne, qui, dans le même cas, avoit accordé aux femmes les successions qui leur étoient déférées par les étrangers. Enfin Justinien leur accorda la succession, indépendamment du nombre de leurs enfans.

Les mêmes causes qui firent restreindre la loi qui empêchoit les femmes de succéder, firent renverser peu à peu celle qui avoit gêné la succession des parens par femmes. Ces lois étoient trèsconformes à l'esprit d'une bonne république, où l'on doit faire en sorte que ce sexe ne puisse se prévaloir pour le luxe, ni de ses ri

4. Voy. la loi 9, Code Théodosien, De bonis proscriptorum; et Dion, liv. LV. Voy. les Fragmens d'Ulpien, tit. dernier, § 6; et tit. xxx, § 3. 2. Fragmens d'Ulpien, tit. xvi, S ; Sozom., liv. I, chap. xix. 3. Liv. XX, chap. 1. - 4. Liv. IV, tit. VII, § 3. 5. Tit. xxvI, § 6. 6. C'est-à-dire l'empereur Pie, qui prit le nom d'Adrien par adoption. 7. Leg. 2, cod. De jur. liberorum; Instit., liv. III, tit. 1, § 4, De sepatus-consulto Tertulliano.

chesses, ni de l'espérance de ses richesses. Au contraire, le luxe d'une monarchie rendant le mariage à charge et coûteux, il faut y être invité, et par les richesses que les femmes peuvent donner, et par l'espérance des successions qu'elles peuvent procurer. Ainsi, lorsque la monarchie s'établit à Rome, tout le système fut changé sur les successions. Les préteurs appelèrent les parens par femmes, au défaut des parens par mâles; au lieu que, par les anciennes lois, les parens par femmes n'étoient jamais appelés. Le sénatus-consulte Orphitien appela les enfans à la succession de leur mère; et les empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius', appelèrent les petits-enfans par la fille à la succession du grand-père. Enfin l'empereur Justinien ôta jusqu'au moindre vestige du droit ancien sur les successions: il établit trois ordres d'héritiers, les descendans, les ascendans, les collatéraux, sans aucune distinction entre les mâles et les femelles, entre les parens par femmes et les parens par måles, et abrogea toutes celles qui restoient à cet égard. Il crut suivre la nature même, en s'écartant de ce qu'il appela les embarras de l'ancienne jurisprudence.

LIVRE XXVIII.

DE L'ORIGINE ET DES RÉVOLUTIONS DES LOIS CIVILES CHEZ LES

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Les Francs étant sortis de leur pays, ils firent rédiger par les sages de leur nation les lois saliques. La tribu des Francs ripuaires s'étant jointe, sous Clovis, à celle des Francs saliens, elle conserva ses usages; et Théodoric, roi d'Austrasie, les fit mettre par écrit. Il recueillit de même les usages des Bavarois et

1. Leg. 9, cod. De Suis et legitimis liberis.

2. Leg. 12, cod. ibid., et les novelles 118 et 127.

3. Voy. le Prologue de la Loi salique. M. de Leibnitz dit, dans son Traité de l'origine des Francs, que cette loi fut faite avant le règne de Clovis; mais elle ne put l'être avant que les Francs fussent sortis de la Germanie: ils n'entendoient pas pour lors la langue latine.

4. Voy. Grégoire de Tours.

5. Voy. le Prologue de la Loi des Bavarois, et celui de la Loi salique.

des Allemands' qui dépendoient de son royaume. Car la Germanie étant affoiblie par la sortie de tant de peuples, les Francs, après avoir conquis devant eux, avoient fait un pas en arrière, et porté leur domination dans les forêts de leurs pères. Il y a apparence que le code des Thuringiens fut donné par le même Théodoric', puisque les Thuringiens étoient aussi ses sujets. Les Frisons ayant été soumis par Charles Martel et Pépin, leur loi n'est pas antérieure à ces princes3. Charlemagne, qui le premier dompta les Saxons, leur donna la loi que nous avons. Il n'y a qu'à lire ces deux derniers codes pour voir qu'ils sortent des mains des vainqueurs. Les Wisigoths, les Bourguignons et les Lombards, ayant fondé des royaumes, firent écrire leurs lois, non pas pour faire suivre leurs usages aux peuples vaincus, mais pour les suivre eux mêmes.

Il y a, dans les lois saliques et ripuaires, dans celles des Allemands, des Bavarois, des Thuringiens et des Frisons, une simplicité admirable on y trouve une rudesse originale, et un esprit qui n'avoit point été affoibli par un autre esprit. Elles changèrent peu, parce que ces peuples, si l'on en excepte les Francs, restèrent dans la Germanie. Les Francs mêmes y fondèrent une grande partie de leur empire : ainsi leurs lois furent toutes germaines. Il n'en fut pas de même des lois des Wisigoths, des Lombards et des Bourguignons; elles perdirent beaucoup de leur caractère, parce que ces peuples, qui se fixèrent dans leurs nouvelles demeures, perdirent beaucoup du leur.

Le royaume des Bourguignons ne subsista pas assez longtemps pour que les lois du peuple vainqueur pussent recevoir de grands changemens. Gondebaud et Sigismond, qui recueillirent leurs usages, furent presque les derniers de leurs rois. Les lois des Lombards recurent plutôt des additions que des changemens. Celles de Rotharis furent suivies de celles de Grimoald, de Luitprand, de Rachis, d'Aistulphe; mais elles ne prirent point de nouvelle forme. Il n'en fut pas de même des lois des Wisigoths'; leurs rois les refondirent, et les firent refondre par le clergé.

4. Voy. le Prologue de la Loi des Bavarois, et celui de la Loi salique. 2. « Lex Angliorum Werinorum, hoc est Thuringorum. » 3. Ils ne savoient point écrire.

4. Euric les donna; Leuvigilde les corrigea. Voy, la Chronique d'Isidore. Chaindasuinde et Recessuinde les réformérent. Égiga fit faire le Code que nous avons*, et en donna la commission aux évêques : on conserva pourtant les lois de Chaindasuinde et de Recessuinde, comme il paroft par le seizième concile de Tolède.

* Le fuero Juzgo, ou livre des Juges, qu'Alphonse, roi d'Espagne, fit imprimer en 1606, est le corps le plus complet des lois gothiques.

Les rois de la première race ôtèrent bien aux lois saliques et ripuaires ce qui ne pouvoit absolument s'accorder avec le christianisme; mais ils en laissèrent tout le fond'. C'est ce qu'on ne peut pas dire des lois des Wisigoths.

Les lois des Bourguignons, et surtout celles des Wisigoths, admirent les peines corporelles. Les lois saliques et ripuaires ne les recurent pas2; elles conservèrent mieux leur caractère.

Les Bourguignons et les Wisigoths, dont les provinces étoient très-exposées, cherchèrent à se concilier les anciens habitans, et à leur donner des lois civiles les plus impartiales 3; mais les rois francs, sûrs de leur puissance, n'eurent pas ces égards'.

Les Saxons, qui vivoient sous l'empire des Francs, eurent une humeur indomptable, et s'obstinèrent à se révolter. On trouve dans leurs lois des duretés du vainqueur, qu'on ne voit point dans les autres codes des lois des barbares.

On y voit l'esprit des lois des Germains dans les peines pécuniaires, et celui du vainqueur dans les peines afflictives.

Les crimes qu'ils font dans leur pays sont punis corporellement, et on ne suit l'esprit des lois germaniques que dans la punition de ceux qu'ils commettent hors de leur territoire.

On y déclare que, pour leurs crimes, ils n'auront jamais de paix, et on leur refuse l'asile des églises mêmes.

Les évêques eurent une autorité immense à la cour des rois wisigoths; les affaires les plus importantes étoient décidées dans les conciles. Nous devons au code des Wisigoths toutes les maximes, tous les principes et toutes les vues de l'inquisition d'aujourd'hui; et les moines n'ont fait que copier contre les juifs des lois faites autrefois par les évêques.

Du reste, les lois de Gondebaud pour les Bourguignons paroissent assez judicieuses; celles de Rotharis et des autres princes lombards le sont encore plus. Mais les lois des Wisigoths, celles de Recessuinde, de Chaindasuinde et d'Egiga sont puériles, gauches, idiotes; elles n'atteignent point le but; pleines de rhétorique, et vides de sens, frivoles dans le fond, et gigantesques dans le style.

1. Voy. le Prologue de la Loi des Bavarois.

2. On en trouve seulement quelques-unes dans le décret de Childebert.

3. Voy. le Prologue du Code des Bourguignons, et le Code même, surtout le tit. xn, § 5, et le tit. xxxvIII. Voy. aussi Grégoire de Tours, liv. II, chap. xxxii; et le Code des Wisigoths.

4. Voy. ci-dessous le chap. III.

5. Voy. le chap. II, § 8 et 9; et le chap. rv, § 2 et 7.

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