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neur. Si l'on n'avoit pas obéi au juge, il poursuivoit son offense. A Bourges', si le prévôt avoit mandé quelqu'un, et qu'il ne fût pas venu: « Je t'ai envoyé chercher, disoit-il; tu as dédaigné de venir; fais-moi raison de ce mépris. » Et l'on combattoit. Louis le Gros réforma cette coutume 2.

Le combat judiciaire étoit en usage à Orléans dans toutes les demandes de dettes3. Louis le Jeune déclara que cette coutume n'auroit lieu que lorsque la demande excéderoit cinq sous. Cette ordonnance étoit une loi locale; car, du temps de saint Louis, il suffisoit que la valeur fût de plus de douze deniers. Beaumanoir avait ouï dire à un seigneur de loi, qu'il y avoit autrefois en France cette mauvaise coutume, qu'on pouvoit louer pendant un certain temps un champion pour combattre dans ses affaires3. Il falloit que l'usage du combat judiciaire eût pour lors une prodigieuse extension.

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On trouve des énigmes dans les codes des lois des barbares. La loi des Frisons ne donne qu'un demi-sou de composition à celui qui a reçu des coups de bâton; et il n'y a si petite blessure pour laquelle elle n'en donne davantage. Par la loi salique, si un ingénu donnoit trois coups de bâton à un ingénu, il payoit trois sous; s'il avoit fait couler le sang, il étoit puni comme s'il avoit blessé avec le fer, et il payoit quinze sous la peine se mesuroit par la grandeur des blessures. La loi des Lombards établit différentes compositions pour un coup, pour deux, pour trois, pour quatre'. Aujourd'hui un coup en vaut cent mille.

La constitution de Charlemagne, insérée dans la loi des Lombards, veut que ceux à qui elle permet le duel combattent avec le bâton. Peut-être que ce fut un ménagement pour le clergé peut-être que, comme on étendoit l'usage des combats, on voulut les rendre moins sanguinaires. Le capitulaire de Louis le Débonnaire donne le choix de combattre avec le bâton ou avec les armes. Dans la suite il n'y eut que les serfs qui combattissent avec le bâton".

Déjà je vois naître et se former les articles particuliers de notre

1. Chartre de Louis le Gros, de l'an 1145, dans le Recueil des ordon

nances.

2. Ibid.

3. Chartre de Louis le Jeune, de l'an 1168, dans le Recueil des ordon

nances.

4. Voy. Beaumanoir, chap. LXIII, p. 325.

5. Voy. la Coutume de Beauvoisis, chap. xxvIII, p. 203 6. Additio sapientium Wilemari, tit. v.

7. Liv. 1, tit. vi, § 3. - 8. Liv. II, tit. v, § 23. salique sur l'an 819. 10. Voy. Beaumanoir, chap.

9. Ajouté à la loi xiv, p. 323.

point d'honneur. L'accusateur commençoit par déclarer devant le juge qu'un tel avoit commis une telle action; et celui-ci répondoit qu'il en avoit menti': sur cela le juge ordonnoit le duel. La maxime s'établit que, lorsqu'on avoit reçu un démenti, il falloit se battre. Quand un homme avoit déclaré qu'il combattroit, il ne pouvoit plus s'en départir; et s'il le faisoit, il étoit condamné à une peine2. De là, suivit cette règle que, quand un homme s'étoit engagé par sa parole, l'honneur ne lui permettoit plus de la rétracter.

Les gentilshommes se battoient entre eux à cheval et avec leurs armes3; et les vilains se battoient à pied et avec le bâton'. De là il suivit que le bâton étoit l'instrument des outrages', parce qu'un homme qui en avoit été battu avoit été traité comme un vilain.

Il n'y avoit que les vilains qui combattissent à visage découvert"; ainsi il n'y avoit qu'eux qui pussent recevoir des coups sur la face. Un soufflet devint une injure qui devoit être lavée par le sang. parce qu'un homme qui l'avoit reçu avoit été traité comme un vilain.

Les peuples germains n'étoient pas moins sensibles que nous au point d'honneur; ils l'étoient même plus. Ainsi les parens les plus éloignés prenoient une part très-vive aux injures; et tous leurs codes sont fondés là-dessus. La loi des Lombards veut que celui qui, accompagné de ses gens, va battre un homme qui n'est point sur ses gardes, afin de le couvrir de honte et de ridicule, paye la moitié de la composition qu'il auroit due s'il l'avoit tué'; et que, si par le même motif il le lie, il paye les trois quarts de la même composition'.

Disons donc que nos pères étoient extrêmement sensibles aux affronts; mais que les affronts d'une espèce particulière, de recevoir des coups d'un certain instrument sur une certaine partie du corps, et donnés d'une certaine manière,, ne leur étoient pas encore connus. Tout cela étoit compris dans l'affront d'être battu; et, dans ce cas, la grandeur des excès faisoit la grandeur des outrages.

1. Voy. Beaumanoir, chap. LXIV, p. 329.

2. Idem, chap. ш, p. 25 et 329.

3. Voy. sur les armes des combattans, Beaumanoir, chap. LXI, p. 308, et chap. LXIV, p. 328.

4. Idem, chap. LXIV, p. 328. Voy. aussi les chartres de Saint-Aubin d'Anjou, rapportées par Galland, p. 263.

5. Chez les Romains les coups de baton n'étoient point infames. (Leg. Ictus fustium. De iis qui notantur infamia.)

6. Ils n'avoient que l'écu et le bâton. (Beaumanoir, chap. LXIV, p. 328). 7. Liv. I, tit. vI, S 1. 8. Liv. I, tit. vi, § 2.

CHAP. XXI.

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Nouvelle réflexion sur le point d'honneur
chez les Germains.

« C'étoit chez les Germains, dit Tacite1, une grande infamie d'avoir abandonné son bouclier dans le combat; et plusieurs, après ce malheur, s'étoient donné la mort. » Aussi l'ancienne loi salique donne-t-elle quinze sous de composition à celui à qui on avoit dit par injure qu'il avoit abandonné son bouclier2.

Charlemagne, corrigeant la loi salique3, n'établit, dans ce cas, que trois sous de composition. On ne peut pas soupçonner ce prince 'd'avoir voulu affoiblir la discipline militaire : il est clair que ce changement vint de celui des armes; et c'est à ce changement des armes que l'on doit l'origine de bien des usages.

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Notre liaison avec les femmes est fondée sur le bonheur attaché au plaisir des sens, sur le charme d'aimer et d'être aimé, et encore 'sur le désir de leur plaire, parce que ce sont des juges très-éclairés sur une partie des choses qui constituent le mérite personnel. Ce désir général de plaire produit la galanterie, qui n'est point l'amour, mais le délicat, mais le léger, mais le perpétuel mensonge de l'a

mour.

Selon les circonstances différentes dans chaque nation et dans chaque siècle l'amour se porte plus vers une de ces trois choses, que vers les deux autres. Or, je dis que, dans le temps de nos combats, ce fut l'esprit de galanterie qui dut prendre des forces.

Je trouve, dans la loi des Lombards', que, si un des deux champions avoit sur lui des herbes propres aux enchantemens, le juge les lui faisoit ôter, et le faisoit jurer qu'il n'en avoit plus. Cette loi ne pouvoit être fondée que sur l'opinion commune; c'est la peur, qu'on a dit avoir inventé tant de choses, qui fit imaginer ces sortes de prestiges. Comme dans les combats particuliers les champions étoient armés de toutes pièces, et qu'avec des armes pesantes, offensives et défensives, celles d'une certaine trempe et d'une certaine force donnoient des avantages infinis, l'opinion des armes enchantées de quelques combattans dut tourner la tête à bien des gens.

De là naquit le système merveilleux de la chevalerie. Tous les esprits s'ouvrirent à ces idées. On vit, dans les romans, des paladins, des nécromans, des fées, des chevaux ailés ou intelligens, des

1. De moribus Germanorum.

2. Dans le Pactus legis salicæ.

3. Nous avons l'ancienne loi et celle qui fut corrigée par ce prince. 4. Liv. II, tit. LV, § 44.

hommes invisibles ou invulnérables, des magiciens qui s'intéres soient à la naissance ou à l'éducation des grands personnages, des palais enchantés et désenchantés; dans notre monde un monde nouveau; et le cours ordinaire de la nature laissé seulement pour les hommes vulgaires.

Des paladins, toujours armés dans une partie du monde pleine de châteaux, de forteresses et de brigands, trouvoient de l'honneur à punir l'injustice et à défendre la foiblesse. De là encore dans nos romans la galanterie fondée sur l'idée de l'amour, jointe à celle de force et de protection.

Ainsi naquit la galanterie, lorsqu'on imagina des hommes extraordinaires, qui, voyant la vertu jointe à la beauté et à la foiblesse, furent portés à s'exposer pour elle dans les dangers, et à lui plaire dans les actions ordinaires de la vie.

Nos romans de chevalerie flattèrent ce désir de plaire, et donnèrent à une partie de l'Europe cet esprit de galanterie qu'on peut dire avoir été peu connu par les anciens.

Le luxe prodigieux de cette immense ville de Rome flatta l'idée des plaisirs des sens. Une certaine idée de tranquillité dans les campagnes de la Grèce fit décrire les sentimens de l'amour'. L'idée des paladins, protecteurs de la vertu et de la beauté des femmes, conduisit à celle de la galanterie.

Cet esprit se perpétua par l'usage des tournois, qui, unissant ensemble les droits de la valeur et de l'amour, donnèrent encore à la galanterie une grande importance.

CHAP. XXIII.

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De la jurisprudence du combat judiciaire. On aura peut-être de la curiosité à voir cet usage monstrueux du combat judiciaire réduit en principes, et à trouver le corps d'une jurisprudence si singulière. Les hommes, dans le fond raisonnables, mettent sous des règles leurs préjugés mêmes. Rien n'étoit plus contraire au bon sens que le combat judiciaire; mais, ce point une fois posé, l'exécution s'en fit avec une certaine prudence.

Pour se mettre bien au fait de la jurisprudence de ces temps-là, il faut lire avec attention les règlemens de saint Louis, qui fit de si grands changemens dans l'ordre judiciaire. Défontaines étoit contemporain de ce prince; Beaumanoir écrivoit après lui; les autres ont vécu depuis lui. Il faut donc chercher l'ancienne pratique dans les corrections qu'on en a faites.

1. On peut voir les romans grecs du moyen âge. 2. En l'an 1283.

CHAP. XXIV.

Règles établies dans le combat judiciaire.

Lorsqu'il y avoit plusieurs accusateurs', il falloit qu'ils s'accordassent pour que l'affaire fût poursuivie par un seul; et s'ils ne pouvoient convenir, celui devant qui se faisoit le plaid nommoit un d'entre eux qui poursuivoit la querelle.

Quand un gentilhomme appeloit un vilain2, il devoit se présenter à pied, et avec l'écu et le bâton; et s'il venoit à cheval, et avec les armes d'un gentilhomme, on lui ôtoit son cheval et ses armes ; il restoit en chemise, et étoit obligé de combattre en cet état contre le vilain.

Avant le combat, la justice faisoit publier trois bans3: par l'un, il étoit ordonné aux parens des parties de se retirer; par l'autre, on avertissoit le peuple de garder le silence; par le troisième, il étoit défendu de donner du secours à une des parties, sous de grosses peines, et même celle de mort, si, par ce secours, un des combattans avoit été vaincu.

Les gens de justice gardoient le parc'; et, dans le cas où une des parties auroit parlé de paix, ils avoient grande attention à l'état actuel où elles se trouvoient toutes les deux dans ce moment, pour qu'elles fussent remises dans la même situation, si la paix ne se faisoit pas".

Quand les gages étoient reçus pour crime ou pour faux jugement, la paix ne pouvoit se faire sans le consentement du seigneur; et quand une des parties avoit été vaincue, il ne pouvoit plus y avoir de paix que de l'aveu du comte: ce qui avoit du rapport à nos lettres de grâce:

Mais si le crime étoit capital, et que le seigneur, corrompu par des présens, consentît à la paix, il payoit une amende de soixante livres; et le droit qu'il avoit de faire punir le malfaiteur étoit dévolu au comte".

Il y avoit bien des gens qui n'étoient en état d'offrir le combat, ni de le recevoir. On permettoit, en connoissance de cause, de prendre un champion; et, pour qu'il eût le plus grand intérêt à défendre sa partie, il avoit le poing coupé s'il étoit vaincu®.

2. Idem,chap. LXIV, p. 328. 4. Ibid. 5. Ibid.

1. Beaumanoir, chap. vi, p. 40 et 41. 3. Idem, ibid., p. 330.

6. Les grands vassaux avoient des droits particuliers.

7. Beaumanoir, chap. LXIV, p. 330, dit: Il perdroit sa justice. Ces paroles, dans les auteurs de ces temps-là, n'ont pas une signification générale, mais restreinte à l'affaire dont il s'agit. (Défontaines, chap. XXI, art. 29.)

8. Cet usage, que l'on trouve dans les capitulaires, subsistoit du temps de Beaumanoir. Voy. le chap. LXI, p. 345.

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