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lorsque les appels furent universellement reçus, de faire payer l'amende au seigneur lorsqu'on reformoit la sentence de son juge; usage qui subsista longtemps, qui fut confirmé par l'ordonnance de Roussillon, et que son absurdité a fait périr.

CHAP. XXXIII.

Continuation du même sujet.

Dans la pratique du combat judiciaire, le fausseur qui avoit appelé un des juges pouvoit perdre par le combat son procès', et ne pouvoit pas le gagner. En effet, la partie qui avoit un jugement pour elle n'en devoit pas être privée par le fait d'autrui. Il falloit donc que le fausseur qui avoit vaincu, combattît encore contre la partie, non pas pour savoir si le jugement étoit bon ou mauvais, il ne s'agissoit plus de ce jugement puisque le combat l'avoit anéanti; mais pour décider si la demande étoit légitime ou non, et c'est sur ce nouveau point que l'on combattoit. De là doit être venue notre manière de prononcer les arrêts : La cour met l'appel au néant; la cour met l'appel et ce dont a été appelé au néant.

En effet, quand celui qui avoit appelé de faux jugement étoit vaincu, l'appel étoit anéanti; quand il avoit vaincu, le jugement étoit anéanti, et l'appel même : il falloit procéder à un nouveau jugement.

Ceci est si vrai, que, lorsque l'affaire se jugeoit par enquêtes, cette manière de prononcer n'avoit pas lieu. M. de La Roche-Flavin' nous dit que la chambre des enquêtes ne pouvoit user de cette forme dans les premiers temps de sa création.

CHAP. XXXIV.

Comment la procédure devint secrète.

Les duels avoient introduit une forme de procédure publique : l'attaque et la défense étoient également connues. « Les témoins, dit Beaumanoir3, doivent dire leur témoignage devant tous. »

Le commentateur de Boutillier dit avoir appris d'anciens praticiens, et de quelques vieux procès écrits à la main, qu'anciennement, en France, les procès criminels se faisoient publiquement, et en une forme non guère différente des jugemens publics des Romains. Ceci étoit lié avec l'ignorance de l'écriture, commune dans ces tempslà. L'usage de l'écriture arrête les idées, et peut faire établir le secret; mais, quand on n'a point cet usage, il n'y a que la publicité de la procédure qui puisse fixer ces mêmes idées.

Et, comme il pouvoit y avoir de l'incertitude sur ce qui avoit été jugé par hommes', ou plaidé devant hommes, on pouvoit en rap

4. Défontaines, chap. xxi, art. 14.

2. Des parlemens de France, liv. I, chap. xvI. —3. Chap. 1.x1, p. 315. 4. Comme dit Beaumanoir, chap. xxxix, p. 209.

peler la mémoire toutes les fois qu'on tenoit la cour, par ce qui s'appeloit la procédure par record '; et, dans ce cas, il n'étoit pas permis d'appeler les témoins au combat, car les affaires n'auroient jamais eu de fin.

Dans la suite il s'introduisit une forme de procéder secrète. Tout étoit public; tout devint caché les interrogatoires, les informations, le récolement, la confrontation, les conclusions de la partie publique, et c'est l'usage d'aujourd'hui. La première forme de procéder convenoit au gouvernement d'alors, comme la nouvelle étoit propre au gouvernement qui fut établi depuis.

Le commentateur de Boutillier fixe à l'ordonnance de 1539 l'époque de ce changement. Je crois qu'il se fit peu à peu, et qu'il passa de seigneurie en seigneurie, à mesure que les seigneurs renoncèrent à l'ancienne pratique de juger, et que celle tirée des Établissemens de saint Louis vint à se perfectionner. En effet, Beaumanoir dit que ce n'étoit que dans les cas où on pouvoit donner des gages de bataille qu'on entendoit publiquement les témoins dans les autres, on les oyoit en secret, et on rédigeoit leurs dépositions par écrit. Les procédures devinrent donc secrètes lorsqu'il n'y eut plus de gages de bataille.

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Anciennement, en France, il n'y avoit point de condamnation de dépens en cour laie3. La partie qui succomboit étoit assez punie par des condamnations d'amende envers le seigneur et ses pairs. La manière de procéder par le combat judiciaire faisoit que, dans les crimes, la partie qui succomboit, et qui perdoit la vie et les biens, étoit punie autant qu'elle pouvoit l'être; et, dans les autres cas du combat judiciaire, il y avoit des amendes quelquefois fixes, quelquefois dépendantes de la volonté du seigneur, qui faisoient assez craindre les événemens des procès. Il en étoit de même dans les affaires qui ne se décidoient pas par le combat. Comme c'étoit le seigneur qui avoit les profits principaux, c'étoit lui aussi qui faisoit les principales dépenses, soit pour assembler ses pairs, soit pour les mettre en état de procéder au jugement. D'ailleurs les affaires finissant sur le lieu même, et toujours presque sur-lechamp, et sans ce nombre infini d'écritures qu'on vit depuis, il n'étoit pas nécessaire de donner des dépens aux parties.

4. On prouvoit par témoins ce qui s'étoit déjà passé, dit ou ordonné en justice.

2. Chap. xxxix, p. 248.

3. Défontaines, dans son Conseil, chap. xxII, art. 3 et 8; et Beauma.. noir, chap. xxxii; Établissemens, liv. I, chap. xc,

C'est l'usage des appels qui doit naturellement introduire celui de donner des dépens. Aussi Défontaines dit-il que, lorsqu'on appeloit par loi écrite, c'est-à-dire quand on suivoit les nouvelles lois de saint Louis, on donnoit des dépens; mais que, dans l'usage ordinaire, qui ne permettoit point d'appeler sans fausser, il n'y en avoit point on n'obtenoit qu'une amende, et la possession d'an et jour de la chose contestée, si l'affaire étoit renvoyée au seigneur. Mais, lorsque de nouvelles facilités d'appeler augmentèrent le nombre des appels 2; que, par le fréquent usage de ces appels d'un tribunal à un autre, les parties furent sans cesse transportées hors du lieu de leur séjour; quand l'art nouveau de la procédure multiplia et éternisa les procès; lorsque la science d'éluder les de mandes les plus justes se fut raffinée; quand un plaideur sut fuir, uniquement pour se faire suivre; lorsque la demande fut ruineuse, et la défense tranquille; que les raisons se perdirent dans des volumes de paroles et d'écrits; que tout fut plein de suppôts de justice qui ne devoient point rendre la justice; que la mauvaise foi trouva des conseils là où elle ne trouva pas des appuis; il fallut bien arrêter les plaideurs par la crainte des dépens. Ils durent les payer pour la décision, et pour les moyens qu'ils avoient employes pour l'éluder. Charles le Bel fit là-dessus une ordonnance générale 3.

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Comme, par les lois saliques et ripuaires, et par les autres lois des peuples barbares, les peines des crimes étoient pécuniaires, il n'y avoit point pour lors, comme aujourd'hui parmi nous, de partie publique qui fût chargée de la poursuite des crimes. En effet, tout se réduisoit en réparations de dommages; toute poursuite étoit en quelque façon civile, et chaque particulier pouvoit la faire. D'un autre côté, le droit romain avoit des formes populaires pour la poursuite des crimes, qui ne pouvoient s'accorder avec le ministère d'une partie publique.

L'usage des combats judiciaires ne répugnoit pas moins à cette idée; car qui auroit voulu être la partie publique, et se faire champion de tous contre tous?

Je trouve, dans un recueil de formules que M. Muratori a insérées dans les lois des Lombards, qu'il y avoit, dans la seconde race, un avoué de la partie publique'. Mais si on lit le recueil entier de ces formules, on verra qu'il y avoit une différence totale entre ces

1. Chap. XXII, art. 8.

2. « A présent que l'on est si enclin à appeler, » dit Boutillier, Somme rurale, liv. I, tit. 1, p. 16.

3. En 1324.4, Advocatus de parte publica.

officiers et ce que nous appelons aujourd'hui la partie publique, nos procureurs généraux, nos procureurs du roi ou des seigneurs. Les premiers étoient plutôt les agens du public pour la manutention politique et domestique que pour la manutention civile. En effet, on ne voit point dans ces formules qu'ils fussent chargés de la poursuite des crimes, et des affaires qui concernoient les mineurs, les églises, ou l'état des personnes.

J'ai dit que l'établissement d'une partie publique répugnoit à l'usage du combat judiciaire. Je trouve pourtant dans une de ces formules un avoué de la partie publique qui a la liberté de combattre. M. Muratori l'a mise à la suite de la constitution 'd'Henri Ier, pour laquelle elle a été faite. Il est dit, dans cette constitution, que « si quelqu'un tue son père, son frère, son neveu, ou quelque autre de ses parens, il perdra leur succession, qui passera aux autres parens; et que la sienne propre appartiendra au fisc. » Or, c'est pour la poursuite de cette succession dévolue au fisc que l'avoué de la partie publique qui en soutenoit les droits avoit la liberté de combattre ce cas rentroit dans la règle générale.

Nous voyons dans ces formules l'avoué de la partie publique agir contre celui qui avoit pris un voleur, et ne l'avoit pas mené au comte2; contre celui qui avoit fait un soulèvement ou une assemblée contre le comte3; contre celui qui avoit sauvé la vie à un homme que le comte lui avoit donné pour le faire mourir contre l'avoué des églises à qui le comte avoit ordonné de lui présenter un voleur, et qui n'avoit point obéis; contre celui qui avoit révélé le secret du roi aux étrangers; contre celui qui, à main armée. avoit poursuivi l'envoyé de l'empereur; contre celui qui avoit méprisé les lettres de l'empereur3, et il étoit poursuivi par l'avoué de l'empereur, ou par l'empereur lui-même; contre celui qui n'avoit pas voulu recevoir la monnoie du prince; enfin cet avoué demandoit les choses que la loi adjugeoit au fisc1o.

Mais, dans la poursuite des crimes, on ne voit point d'avoué de la partie publique, même quand on emploie les duels "; même quand il s'agit d'incendie "2; même lorsque le juge est tué sur son tribunal; même lorsqu'il s'agit de l'état des personnes", de la liberté et de la servitude 15.

1. Voy. cette constitution et cette formule dans le second volume des Historiens d'Italie, p. 175.

2. Recueil de Muratori, p. 104, sur la loi 88 de Charlemagne, liv. I, tit. xxvi, § 78.

8. Ibid, p.

3. Autre formule, ibid., p. 87. - 4. Ibid., p. 104.
6. Ibid., p. 88. —7. Ibid., p. 98.
40. Ibid., p. 137. 44. Ibid., p. 147.-12. Ibid.
44. Ibid., p. 134. — 15. Ibid., p. 107,

5. Ibid., p. 95.

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Ces formules sont faites non-seulement pour les lois des Lombards, mais pour les capitulaires ajoutés ainsi il ne faut pas douter que, sur cette matière, elles ne nous donnent la pratique de la seconde race.

Il est clair que ces avoués de la partie publique durent s'éteindre avec la seconde race, comme les envoyés du roi dans les provinces; par la raison qu'il n'y eut plus de loi générale, ni de fisc général, et par la raison qu'il n'y eut plus de comte dans les provinces pour tenir les plaids, et par conséquent plus de ces sortes d'officiers dont la principale fonction étoit de maintenir l'autorité du comte.

L'usage des combats, devenu plus fréquent dans la troisième race, ne permit pas d'établir une partie publique. Aussi Boutillier, dans sa Somme rurale, parlant des officiers de justice, ne cite-t-il que les baillis, hommes féodaux, et sergens. Voyez les Établissemens', et Beaumanoir2, sur la manière dont on faisoit les poursuites dans ces temps-là.

Je trouve dans les lois de Jacques II, roi de Majorque3, une création de l'emploi de procureur du roi, avec les fonctions qu'ont aujourd'hui les nôtres. Il est visible qu'ils ne vinrent qu'après que la forme judiciaire eut changé parmi nous.

CHAP. XXXVII. Comment les Établissemens de saint Louis tombèrent dans l'oubli.

Ce fut le destin des Établissemens, qu'ils naquirent, vieillirent et moururent en très-peu de temps.

Je ferai là-dessus quelques réflexions. Le code que nous avons sous le nom d'Établissemens de saint Louis n'a jamais été fait pour servir de loi à tout le royaume, quoique cela soit dit dans la préface de ce code. Cette compilation est un code général qui statue sur toutes les affaires civiles, les dispositions des biens par testament ou entre-vifs, les dots et les avantages des femmes, les profits et les prérogatives des fiefs, les affaires de police, etc. Or, dans un temps où chaque ville, bourg ou village, avoit sa coutume, donner un corps général de lois civiles, c'étoit vouloir renverser, dans un moment, toutes les lois particulières sous lesquelles on vivoit dans chaque lieu du royaume. Faire une coutume

4. Liv. I, chap. 1; et liv. II, chap. xr et xmi.

2. Chap. 1, et chap. LXI.

3. Voy. ces lois dans les Vies des saints, du mois de juin, t. III,

p. 26.

4. « Qui continue nostram sacram curiam sequi teneatur, instituatur « qui facta et causas in ipsa curia promoveat atque prosequatur. »>

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