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SGANARELLE,

OU

LE COCU IMAGINAIRE,

COMÉDIE EN UN ACTE,

Représentée, pour la première fois, sur le théâtre du Petit-Bourbon, le 28 mai 1660.

Molière. 1.

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GORGIBUS, bourgeois.
CÉLIE, fille de Gorgibus.
LÉLIE, amant de Célie.
GROS-RENÉ, valet de Lélie.

SGANARELLE, bourgeois, et cocu imaginaire.
LA FEMME DE SGANARELle.

VILLEBREQUIN, père de Valère.

LA SUIVANTE DE CÉLIE.

UN PARENT DE LA FEMME DE SGANArelle.

La Scène est dans une place publique.

OU

LE COCU IMAGINAIRE.

SCÈNE I.

GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE. CELIE, sortant tout éplorée.

AH! n'espérez jamais que mon cœur y consente.

GORGIBUS.

Que marmottez-vous là, petite impertinente?
Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu?
Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu?
Et, par sottes raisons, votre jeune cervelle
Voudroit régler ici la raison paternelle ?
Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi ?
A votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moi,
O sotte, peut juger ce qui vous est utile?

Par la corbleu! gardez d'échauffer trop ma bile;
Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,
Si mon bras sait encor montrer quelque vigueur.
Votre plus court sera, madame la mutine,
D'accepter sans façon l'époux qu'on vous destine.
<<< J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,
« Et dois auparavant consulter, s'il vous plaît. »
Informé du grand bien qui lui tombe en partage,

Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage?
Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats,
Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas ?
Allez, tel qu'il puisse être, avecque cette somme
Je vous suis caution qu'il est très honnête homme.
CÉLIE.

Hélas!

GORGIBUS.

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Hé bien hélas ! Que veut dire ceci ? Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici ! Hé !... Que si la colère une fois me transporte, Je vous ferai chanter hélas de belle sorte. Voilà, voilà le fruit de ces empressements Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans De quolibets d'amour votre tête est remplie, Et vous parlez de Dieu bien moins que de Lélie. Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits; Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sornettes, Les Quatrains de Pibrac, et les doctes Tablettes Du conseiller Matthieu; l'ouvrage est de valeur, Et plein de beaux dictons à réciter par cœur. La Guide des pécheurs est encore un bon livre : C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre; Et si vous n'aviez lu que ces moralités,

Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.

CÉLIE.

Quoi ! vous prétendez donc, mon père, que j'oublie

La constante amitié que je dois à Lélie?

J'aurois tort si sans vous je disposois de moi,

Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.

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