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sous le mousqueton, allaient obéir à ma voix, et je n'avais que dix-huit ans. Mon premier soin, en arrivant à Besançon où était mon régiment', fut de m'attacher à connaître les officiers avec lesquels j'allais vivre. A quelques exceptions près, l'ensemble n'en était point mauvais. Quoique presque tous de très-bonnes familles, ils me reçurent parfaitement bien. Un d'entr'eux seulement me dit un jour : « Il fallait que, du tems des Romains, les Corses fussent bien vils, puisqu'ils n'en voulaient point pour esclaves. C'est, lui répondis-je avec vivacité, qu'ils n'étaient point faits pour l'être; et ce refus des Romains est le plus bel éloge que l'on puisse faire de ma nation. » J'étais extrêmement animé en prononçant cette dernière phrase: l'officier eut

l'honnêteté de ne point en dire da

vantage.

Il y avait deux mois que j'étais dans ma garnison, et j'enrageais de bon cœur de ne point trouver à nouer la plus petite intrigue amoureuse, lorsque le hasard me fit faire une connaissance au moment où je m'y attendais le moins. C'était un dimanche, et pendant la nuit, le feu prit chez un menuisier; un violent incendie s'ensuivit : la garnison prit les armes pour maintenir le bon ordre. Au moment où la maison du menuisier s'écroulait, j'entends partir des cris perçans de la maison voisine; ils me parurent venir d'une chambre au second : l'escalier qui y conduisait était à demi embrásé; les plus hardis n'osaient monter. Les cris redoublent ; ce sont ceux d'une

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femme motifs de plus. Je m'élance sur l'escalier en feu; deux grenadiers me suivent; mais à moitié chemin la fumée les aveugle, ils retournent sur leurs pas. Ils n'étaient pas encore au bas de l'escalier, que j'avais enfoncé la porte d'où les cris étaient partis. Quel spectacle s'offre à mes regards! une jeune femme sans connaissance, étendue sur le carreau et n'ayant d'autres vêtemens que sa chemise. Je n'avais pas de tems à perdre : je la prends dans mes bras et je me précipite vers l'escalier; mais à peine suis-je à moitié, qu'un tourbillon de flamme m'oblige à remonter. J'étais perdu, une mort cruelle allait être la récompense de mon courage : cependant l'espoir ne m'abandonne pas. Je rentre dans la chambre où demeurait cette femme; je la dépose

sur son lit, afin d'aviser promptement aux moyens de me sauver avec elle. Je n'avais d'autre lumière que la lueur de l'incendie : ç'en fut assez pour me laisser apercevoir que les murs de cette chambre ne sont qu'un composé de terre glaise proprement recrépie en blanc. Je me saisis d'un pieu, et en moins de cinq minutes je m'ouvris une communication dans la maison voisine; elle était déserte; c'était d'ailleurs un atelier de sabotiers. Je me charge de nouveau de l'infortunée, qui respirait à peine. Pour comble de malheur, la porte qui conduisait à l'escalier était fermée. Je dépose mon fardeau sur quelques bottes de paille, afin de faire sauter la serrure; mais à l'instant les flammes, emportées par le vent, viennent éclairer l'endroit où

j'étais. Je n'avais plus rien à craindre; et quoique l'incendie ne fût point éteint, le danger était loin de moi. Je m'approche de la personne que j'avais sauvée ô bonheur! elle est jeune, elle est charmante! J'avais dix-huit ans depuis longtems j'étais sevré des plaisirs de l'amour; nul témoin ne pouvait arriver jusqu'à moi; une femme jeune, belle et sans vêtemens était à ma discrétion. Ah! ç'en était trop à-la-fois pour ne point brusquer la bienséance et ne point mettre à profit l'occasion. Je m'approche de la belle évanouie: un baiser très-énergique, et fortement appuyé sur sa bouche, lui rend un peu de connaissance. Elle veut s'opposer à mes desirs; mais trop faible pour

les réprimer, ma victoire fut complette, qu'elle n'avait point encore

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