Images de page
PDF
ePub

jaillir du moindre parchemin. Personne n'a comme lui expliqué le Doomsday book, ni montré la valeur de ce registre-terrier. On peut lui reprocher d'avoir attribué au conquérant un sens politique dont ce rude guerrier ne se doutait même pas, et d'avoir peint son portrait d'une façon trop idéale; mais dans le récit des événements et la description des personnages secondaires, il est d'une exactitude irréprochable. Son appréciation de l'archevêque Lanfrane me semble très-juste.

- M. W. Hunter, dont les Annals of rural Bengal m'ont déjà occupé il y a longtemps, vient de publier la suite de cet intéressant ouvrage. Deux volumes sur la province d'Orissa ne paraitront pas trop lorsque l'on songe que c'est un des districts les moins connus de l'Hindoustan, et que, depuis 1825, rien n'a été fait pour en éclaircir l'histoire. M. Hunter ne se borne pas à nous décrire l'Orissa du XIXe siècle : il remonte aux temps les plus reculés (3101 av. J.-C.), puis nous fait assister à la domination des Mongols, à celle des Mahrattes, et enfin à l'inauguration du régime anglais. Une partie considérable de son livre est remplie par des détails sur les lois et usages qui prévalent encore aujourd'hui pour la transmission de la propriété foncière; et la dernière moitié du second volume se compose d'un copieux appendice contenant des renseignements statistiques sur l'Orissa, province par province. Je recommanderai aux lecteurs qui s'occupent de l'histoire des religions le cinquième chapitre du premier volume, où se trouvent des particularités du plus grand intérêt à propos des castes brahminiques.

Je terminerai ce Courrier comme j'ai dù, hélas! en terminer bien d'autres, par un article de nécrologie. Sir Henry Lytton Bulwer, élevé à la pairie il y a environ un an sous le nom de lord Dalling, vient de mourir. Né en 1804, il avait été de bonne heure lancé dans la carrière diplomatique, et ses deux premiers ouvrages littéraires pouvaient passer pour le résultat de ses impressions comme personnage politique; ils ont rapport, chacun le sait, à l'histoire de la France contemporaine, et sont intitulés : France, social and literary (1834), et The Monarchy of the middle classes (1836). Après un silence de trente ans, sir Henry Bulwer publia en 1867, sous le titre de Historical characters, deux volumes d'esquisses biographiques dont quatre éditions n'ont pas encore épuisé le succès. Le chapitre relatif à M. de Talleyrand a été, on se le rappelle, traduit en français. Enfin, il avait donné les deux premiers volumes d'une vie de lord Palmeston, et il laisse derrière lui, dit-on, non-seulement le manuscrit de la fin de cet ouvrage, mais un travail analogue sur sir Robert Peel.

GUSTAVE MASSON.

1 Orissa; or the Vicissitudes of an Indian Province under Native and British Rule. Londres, Smith, Elder and Co, 2 vol. in-8° de 540 et 692 p., avec gravures sur acier.

CHRONIQUE

Age.
inilitaire. L'École pratique des hautes études.

Le clergé et l'instruction publique.
Les écoles primaires du moyen

SOMMAIRE: L'enseignement primaire en France avant 89. Influence du Protestantisme sur l'enseignement primaire. L'École des Chartes: l'examen d'entrée et l'exemption conditionnelle du service Les prix de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. L'assemblée générale de la Société bibliographique. La société française des Tracts. - Le Chemin de la verite de M. de Champagny et les études consciencieuses sur l'histoire. - Publications nouvelles. Nécrologie: le R. P. Henri MATAGNE.

Je me propose d'être un peu plus bref aujourd'hui que de coutume. La situation que j'indiquais en commençant ma dernière chronique ne s'est pas modifiée. La grève des érudits continue. Les questions politiques et financières absorbent tous les esprits, et à voir la façon dont souvent on les traite, dans la presse et aussi faut-il le dire?) à la tribune, on s'aperçoit bien qu'à l'heure qu'il est la critique historique, la méthode scientifique, soit le moindre de nos soucis. Il y a aussi le sport, qui est une chose bien intéressante, il y a les petits théâtres, les petites nouvelles, les grands procès, les gros calembours. Où veut-on que l'histoire trouve sa place, et que viendrait faire au milieu de tout cela l'érudition? L'histoire et l'érudition y trouveront plus tard une riche matière peu glorieuse pour nous peut-être), mais présentement elles s'abstiennent. Les libraires en savent quelque chose, et le chroniqueur de cette Revue est réduit à rebattre aujourd'hui, contre M. Bréal, la question de l'enseignement primaire, en ce qui concerne les dispositions de l'Eglise à son égard, et l'existence ou la non-existence de cet enseignement dans l'ancienne France.

Nos lecteurs connaissent l'opinion de M. Bréal. L'Eglise a toujours été hostile ou du moins indifférente à l'égard de l'enseignement primaire l'ignorance étant à ses yeux une vertu. L'enseignement primaire n'existait pas avant 1789. Les preuves et les textes sont à cet égard tellement décisifs qu'il n'est pas même besoin de les citer. et en effet M. Bréal n'apporte à l'appui de son opinion ni une preuve, ni un texte. Je me suis permis de m'élever contre cette façon leste et peu scientifique de trancher une aussi grave question d'histoire, et j'ai appelé sur ce point l'attention des érudits. J'ai appris depuis avec plaisir que l'enquête était commencée. M. A. de Charmasse m'a fait l'honneur de m'adresser le tirage à

"

part d'un remarquable travail publié par lui dans les Mémoires de la Société Eduenne, sous ce titre : Etat de l'instruction primaire dans l'ancien diocèse d'Autun pendant les xvIIe et XVIIIe siècles, et dont il a été parlé ici même. J'y trouve l'indication d'un certain nombre de monographies sur la même matière, et la presque certitude que chaque diocèse, chaque ville de France pourrait être le sujet d'une étude semblable. Parmi les rares travaux, dit M. de Charmasse, qui ont été faits sur l'état de l'instruction primaire dans les siècles précédents (avant 1789), en dehors de la circonscription de l'ancien diocèse d'Autun, nous citerons tout spécialement un mémoire sur les Ecoles de Decize (Nièvre) depuis le xive siècle jusqu'en 1789, publié dans les Mémoires de la Société nivernaise 2; deux mémoires sur l'instruction primaire dans le département de l'Yonne, lus dans la 25° session des Congrès scientifiques de France3; Recherches sur les établissements d'instruction publique dans l'ancien diocèse de Rouen, par M. de Robillard de Beaurepaire, publiées dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie; enfin une liste complète et non interrompue des maîtres d'école de la paroisse de Gigny (Jura), depuis 1709, donnée par M. le docteur Gaspard dans le Supplément de sa très-excellente Histoire de Gigny (p. 73) 5. » Je ne saurais trop engager nos intelligents et sagaces lecteurs de province, et particulièrement les curés, les notaires, à se livrer à des recherches de ce genre, à noter tous les faits, à copier tous les documents qui leur tomberont sous les yeux. Il faut que les matériaux s'amassent peu à peu, et qu'un jour chaque province ait son histoire de l'instruction publique avant 1789 comme celle que M. de Beaurepaire vient de donner à la Normandie, et dont les Recherches citées plus haut étaient sans doute une première esquisse. Un temps viendra, je l'espère, où ce sera l'affirmation précisément contraire à celle de M. Bréal qui n'aura plus besoin ni de preuves, ni de textes, parce qu'on les aura fournis tous. On peut entrevoir dès maintenant que M. Bréal a été, en ce point, très-mal informé; qu'absorbé jusqu'ici par la grammaire comparée des langues indo-européennes, il a trop négligé l'étude de l'ancienne France, et qu'il n'a pas même consulté les documents les plus récents sur la question, par exemple les cahiers des Etats généraux de 1789. Je les ai parcourus à son intention, et l'on va voir, par quelques citations que je me permets de faire, si en 1789 le clergé de France était hostile ou mème indifférent à l'instruction en général et à l'instruction primaire en particulier.

p. 293.

1 T. X,
2 T. I, p. 416.

T. II, p. 113 et 130.

3e série, t. VI.

Ajoutons à ces indications l'ouvrage de M. L. Maitre Les Ecoles épiscopales et monastiques de l'Occident depuis Charlemagne jusqu'à PhilippeAuguste. Paris, Dumoulin, 1866, in-8°. Cet ouvrage a plutôt trait à l'enseiguement secondaire et supérieur.

(

SÉNÉCHAUSSÉE D'AIX. Clergé, Se viru. Qu'il sera établi des écoles dans les lieux où il n'y en a point, même pour la classe des cultivateurs, afin que les enfants de toutes les classes puissent recevoir dès leur tendre jeunesse les principes de la religion également utile et nécessaire à tous les états, et que les maîtres et les maîtresses d'école dans la campagne seront soumis à l'approbation des curés, conformément à l'édit de 1695; que les honoraires des maîtres et maîtresses d'école seront augmentés, et qu'il sera très-expressément défendu aux protestants de se charger de l'enseignement public dans les paroisses'. »

BAILLIAGE D'ALENÇON. Clergé. Religion. 9° vau. « Prendre des moyens efficaces pour réformer l'éducation publique, multiplier les moyens d'instruction et doter suffisamment les colléges qui jouissent d'un modique revenu2. »

BAILLIAGE D'AUXERRE. Clergé. Religion. 4 et 5e vœux. « 4e Que pour élever gratuitement les enfants pauvres, tant des villes que des campagnes, qui montrent d'heureuses dispositions, il soit établi des petits séminaires et pensions qui seront présidés par les supérieurs ecclésiastiques. - 5e Que, conformément à la déclaration de 1724, on établisse dans toutes les paroisses du royaume des maîtres et maîtresses d'école ".

[ocr errors]

BAILLIAGE D'AVESNES. Clergé. Art. 3. « Qu'il y ait dans chaque paroisse des écoles publiques pour l'éducation de la jeunesse, et qu'on avise aux moyens de trouver des fonds suffisants pour l'entretien des maîtres et maîtresses dignes par leur science et leurs mœurs de la confiance publique 1.

SÉNÉCHAUSSÉE DU BEAUJOLAIS. Clergé. Art. 10. « Qu'il soit fondé un college royal pour cette province et de petites écoles dans les paroisses de campagne 5. »

[ocr errors]

Des mœurs et

BAILLIAGE DE BEAUVAIS. Clergé. Section III. de l'éducation publique... Les détails de l'éducation des enfants de la campagne méritent tout l'intérêt du clergé. Il serait bien à désirer que, dans chaque paroisse, il y eût un maitre d'école éclairé et honnête, propre à donner à la jeunesse des leçons sages, une instruction gratuite; dans les paroisses un peu nombreuses il faudrait y ajouter une maîtresse d'école; la réunion des deux sexes, quoique dans l'enfance, est trop souvent une source de vices et désordres ". » PROVINCE DU BOURBONNAIS. Clergé. Section VI. Art. 4. « Qu'il soit établi des maîtres d'école dans chaque paroisse 7.

[ocr errors]

BAILLIAGE DE CAEN. Clergé. De la religion et des mœurs. Il est

1 Archives parlementaires. Paris, Paul Dupont, 1867, in-49, t. I. p. 692,

col. 2.

2 Id., p. 708, col. 2.

3 Id., t. II, 1868, p. 108, col. 1.

Id., p. 150, col. 1.

Id., p. 280, col. 1.

Id., p. 289, col. 2; p. 290, col. 1.
Id., p. 443, col. 2.

essentiel de commencer l'ouvrage d'une régénération universelle par l'éducation des plus tendres enfants qui sont encore l'espoir de la patrie. Le clergé invite toutes les classes des citoyens à demander, de concert avec lui, un plan d'éducation nationale tracé d'après les principes avoués par la religion et par l'Etat, pour la rédaction duquel Sa Majesté sera suppliée de prendre les conseils de ses universités et des principaux corps chargés de l'enseignement dans ses États. Il demande des ouvrages élémentaires sur la morale et sur le droit public de la France 1. »

J'arrête mes citations, que je pourrais multiplier, sur ce beau vou exprimé en termes si nobles par le clergé du bailliage de Caen, et qui ne lui parait que la conséquence naturelle et non la contradiction de celui-ci, qui le précède : « Le clergé assemblé demande que la religion catholique et romaine soit la seule religion reçue et dominante dans le royaume, qu'elle seule ait des temples, des ministres, un office public, que tout autre culte soit absolument défendu et prohibé, et que les non-catholiques ne s'écartent jamais du respect qui lui est dù 2. » Ainsi ce n'est pas le philosophisme dont une fraction du clergé était atteinte en 1789 qui dictait aux ecclésiastiques du bailliage de Caen les belles paroles sur l'instruction que nous venons de reproduire.

La vérité est que le clergé ne séparait pas, ne voulait pas séparer l'instruction de la foi catholique; il voulait que l'enseignement primaire fût profondément religieux, que la philosophie, que la morale indépendante en fussent bannies. M. Bréal serait mal venu à lui reprocher les précautions qu'il voulait prendre contre l'hérésie et contre la libre-pensée, puisque la seule raison qu'il donne pour écarter des écoles françaises la nécessaire influence du clergé, c'est que le clergé n'a pas contribué à les fonder. Les écoles protestantes d'Allemagne sur lesquelles l'influence des pasteurs paraît toute naturelle à M. Bréal ont dû être toujours, je suppose, et principalement lors de leur fondation ou de leur prise de possession par la Réforme prétendue, singulièrement fermées aux doctrines de ce que ces pasteurs appellent le papisme. La vérité, en cette question comme en tant d'autres, c'est qu'après avoir systématiquement dépouillé le clergé de ses ressources, renversé ses créations et lui avoir lié bras et jambes, on lui reproche aujourd'hui de n'avoir rien fait.

Si le clergé de France, en 1789, insistait vivement sur la nécessité de développer l'instruction populaire, est-ce à dire que rien n'existait à cet égard avant la convocation des Etats généraux? Pour les XVIIe et XVIIe siècles, il n'est pas permis de le croire. Nous avons vu citer tout à l'heure la déclaration royale de 1724. Cette déclaration ne faisait que renouveler des prescriptions plus anciennes. L'article 9 de l'édit du 13 décembre 1698 disait : « Voulons que

1 Ouvrage cité, t. II, p. 486, col. 1.

2 Id., ibidem.

T. XII. 1872.

18

« PrécédentContinuer »