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COURRIER ANGLAIS

Nous aimons à constater un mouvement qui date de plusieurs années déjà, et qui se développe de plus en plus dans la littérature anglaise; nous voulons parler des études consciencieuses sur la biographie de personnages illustres appartenant à l'Église catholique. Il y a un demi-siècle, pas un seul éditeur de Londres n'eût osé imprimer la vie de saint Vincent de Paul en vue de ce qu'on appelle généralement le grand public, et on aurait crié au miracle en voyant une librairie protestante admettre dans sa galerie d'hommes à étudier et à imiter saint Anselme de Cantorbéry et Fénelon, à côté de Calvin et de Cranmer. Un double courant agissant sur l'opinion publique a facilité le résultat que je viens de signaler d'abord la révolution dans le sens de high-church, organisée par le Dr Pusey, MM. Keble, Froude et leurs amis; et puis, à l'autre extrémité du développement religieux et intellectuel, le progrès de l'opinion broad-church qui se pique d'admirer les convictions profondes partout où elles se rencontrent, et qui, à ce titre seul, ne marchande pas les éloges aux Jésuites plus qu'aux Jansénistes. Grâce à cette curieuse tendance, encouragée par les deux fractions principales de l'Eglise anglicane, nous avons pu déjà signaler des travaux très-remarquables dans la littérature historique de nos voisins d'Outre-Manche; nous en trouverons encore plus d'un spécimen à analyser et à recommander. La Vie de sainte Chantal', publiée tout récemment par Miss Emily Bowles, ne rentre pas exactement dans cette catégorie, car c'est l'ouvrage d'un auteur catholique, mais j'en dirai deux mots ici puisque l'occasion s'en présente. Avec un cadre plus grand, miss Bowles aurait sans peine écrit un chef-d'œuvre, son talent et son érudition nous le garantissent il s'agissait, dans les circonstances actuelles, d'ajouter une nouvelle monographie aux précédentes livraisons d'une espèce d'Acta sanctorum; il fallait abréger au lieu de développer, et notre aimable auteur s'est parfaitement acquittée de sa tâche. Le livre est intéressant, complet, nourri de faits, et témoignant d'une connaissance intime des sources. Il y a souvent autant de mérite à rédiger une bonne compilation qu'à écrire un ouvrage original; miss Emily Bowles le prouve surabondamment.

1 The Life of Saint Jane Frances Fremyot de Chantal. By Emily BOWLES. Quarterly Series, Vol. II. London, Burns, Oates and Co, 1872, in-8o de 290 p.

L'ouvrage que M. Cowtan a consacré à l'histoire du British Museum' mérite une courte notice dans cette Revue, parce qu'on y trouve çà et là quelques détails d'un intérêt général. Le fonds Cottonien, par exemple, comprenant des documents manuscrits du plus haut prix sur l'histoire du xvIe siècle, est presque entièrement le résultat d'un vol audacieux. Sir Robert Cotton, légiste aussi bien qu'antiquaire, avait souvent à consulter des titres, chartes, papiers diplomatiques, etc.; il ne les rendait jamais aux propriétaires, et il fallut toute l'influence du roi Jacques Ier pour le soustraire à des poursuites qu'il ne méritait que trop. Je ne citerai qu'un seul exemple de cette kleptomanie appliquée aux livres. Les autorités de la cité de Londres prêtèrent un beau jour à sir Robert Cotton deux volumes précieux, le Liber custumarum et le Liber legum regum antiquorum, contenant sur l'histoire de la métropole de l'Angleterre des documents inestimables; au bout de huit années, il fallut bien que l'emprunteur songeât à restituer les manuscrits en question; par un compromis des plus singuliers, il renvoya au Lord maire et aux aldermen la moitié de chaque volume, et les deux autres moitiés, reliées ensemble, figurent à l'heure qu'il est dans le fonds Cottonien où elles forment le codex coté Claudius D. II. Les voleurs de raretés bibliographiques ont conservé de nos jours toute l'effronterie de leurs ancêtres, mais ils s'y prennent d'une façon moins grossière.

Le lecteur curieux trouvera de quoi glaner dans la correspondance de l'évêque Bekynton, sur l'histoire des relations de l'Angleterre au moyen âge avec le Saint-Siége et avec la cour de France. Thomas Bekynton, né probablement en 1390, et élevé au college de Winchester, devint plus tard le favori d'Humphroy, duc de Gloucester, et renonça à un fellowship dont il jouissait à Oxford, afin de faire officiellement partie de la maison de ce seigneur. En 1432 il fut nommé un des envoyés chargés de négocier la paix avec la France; en 1437 il devint secrétaire du roi Henri VI, et enfin il siégea sur le banc des prélats en qualité d'évêque de Bath et de Wells. Je recommande sans hésiter le nouveau travail que M. Williams a consacré à ce prélat diplomate; les matériaux des deux volumes qui composent cette biographie font partie de la bibliothèque du palais de Lambeth, et l'éditeur a eu soin d'y ajouter un choix de pièces justificatives.

Lorsque l'on parcourt la liste des ouvrages publiés par l'Early text Society, on est frappé d'y trouver peu, très-peu de monuments,

1 Memories of the British Museum. By RobertCOWTAN. London, Bentley and Son, 1872, in-8° de 300 p.

2 Memorials of the Reign of King Henry the Sixth. Official Correspondence of Thomas Bekynton, Secretary to King Henry the Sixth, and of Bath and Wells. Edited, from a Ms. in the Archiepiscopal Library at Lambeth, with an Appendix of Illustrative Documents, by George WILLIAMS, B. D., Vicar of Ringwood. London, Longmans and Co, 1872, 2 vol. gr. in-8°.

3 King Alfred's West Saxon Version of Gregory's Pastoral Care, with and English Translation, the Latin Text, Notes, and an Introduction. Ed. by H. SWEET, Esq., of Balliol College, Oxford. London, Trubner and Co, 1872, in-8° de 312 p.

de la littérature saxonne. Il n'en pouvait guère être autrement d'abord. Les personnes qui s'occupent de cette spécialité ne sont pas, aujourd'hui même, en grand nombre; il y a dix ans, c'était encore pis. Il paraitrait pourtant que le goût s'est développé pour les études anglo-saxonnes, peut-être à cause des efforts de la société dont je parle; et nous verrons probablement la réalisation d'un des engagements pris par les fondateurs de cette société, savoir la publication intégrale de tout ce qui nous reste de la littérature de nos voisins antérieurement à l'invasion normande. J'ai aujourd'hui à annoncer, comme faisant partie de cette série, l'édition de la traduction des pastorales du pape Grégoire, entreprise par le roi Alfred. Au milieu des soucis que lui causaient les Danois et l'administration de ses États, ce monarque trouvait le temps de s'occuper de progrès intellectuels, et il voulait donner au clergé anglo-saxon le out de la littérature. Dans une lettre-préface adressée aux évéques, Alfred se plaint de ce que les ecclésiastiques sont obligés d'aller chercher de l'instruction en pays étrangers, au lieu de la communiquer, comme jadis, à ceux qui viennent du continent d'Europe. En deçà de la rivière d'Humber, y a-t-il beaucoup de prêtres qui puissent lire le rituel en anglais, ou traduire une lettre du latin dans leur langue maternelle? C'est en vue de remédier à cet état de choses que le roi Alfred composa une traduction des pastorales du pape Grégoire; M. Sweet en a publié deux textes d'après les manuscrits de la Bodléienne et du British Museum; il nous donne de plus les variantes d'un troisième exemplaire, et le tout est soigneusement fait. On peut regretter pourtant que le savant auteur n'ait pas consulté les manuscrits de Cambridge; il en existe trois qui lui auraient fourni de précieuses leçons. Au lieu de transcrire le texte latin, M. Sweet a préféré ajouter une version anglaise, ce qui est fâcheux, et enfin, il a pris occasion du livre dont il s'est constitué le parrain pour présenter diverses remarques sur les caractères grammaticaux du style d'Alfred. Ces observations sont fort judicieuses, mais comme elles n'ont pour base qu'un ouvrage relativement de peu d'étendue, il faudra les compléter, s'il est possible, et les contrôler par d'autres investigations.

Le nouveau volume des Calendars of State Papers ', s'étendant de 1566 à 1568, est de l'intérêt le plus saisissant. On y voit se dérouler l'histoire des relations extérieures de l'Angleterre, et comme l'Ecosse dans ce temps-là était un royaume indépendant, Marie Stuart y figure. On ne trouve, il est vrai, aucun détail nouveau sur les circonstances de la mort de Darnley, mais les références que l'annotateur, M. Crosby, nous donne sur les pièces et documents divers conservés dans les trésors des archives, permettront à un historien d'étudier facilement ce qui se rapporte à la malheureuse victime d'Elisabeth. Les efforts du Pape et du roi d'Espagne pour

1 Calendar of State Papers; Foreign Series, of the Reign of Elisabeth, 1566-8, preserved in the State Paper Department of Her Majesty's Public Record Office. By Allan J. CROSBY, London, Longmans and Co, 1872, gr. in-8o de 1210 p.

réduire l'Angleterre ont laissé des traces presque sur chaque page de ce volume; contre deux politiques de cette force, la capacité de Cecil et de sir Thomas Smith ensemble n'était pas de trop, et les ambassadeurs que la reine Elisabeth envoyait à Madrid se trouvaient servis, quelquefois sans le savoir, par une armée d'espions qui correspondaient directement avec le secrétaire d'Etat. Je n'ai pas besoin de remarquer que les guerres religieuses de la France fournissent un appoint considérable au volume édité par M. Crosby. Il est question aussi des projets de mariage entamés au nom de la reine d'Angleterre soit avec le duc d'Anjou, soit avec l'archiduc d'Autriche, frère de l'empereur d'Allemagne; ce dernier dessein ne pouvait pas être fort sérieux; cependant Danneth, l'envoyé anglais, s'en occupa très-vivement, et les détails qu'il donne sur les vicissitudes de ses démarches sont d'un comique très-amusant. A Rome, c'était un nommé Arthur Hall qui représentait l'Angleterre; on voit en lui un correspondant plein de savoir-faire et d'intelligence; il décrit à merveille l'aspect de la Campagne, et il étudie avec finesse le caractère de la société au milieu de laquelle il se trouve. Jaloux de maintenir l'honneur de son pays, il est souvent obligé de rappeler à l'ordre les Anglais catholiques résidant à l'ombre du Vatican, et qui se permettent de censurer le gouvernement d'Elisabeth. La Russie et Ivan le Terrible ne sont pas négligés. La reine d'Angleterre entretenait avec le czar des relations très-amicales, et Randolph, son ambassadeur, avait soin de tenir Cecil au courant de ce qui se passait dans ces lointains pays; les observations dont ses lettres fourmillent sont d'excellentes études de mœurs.

- La manie des réhabilitations n'a pas encore cessé, et les héros posthumes surgissent de toutes parts. Voici M. Maurice qui s'occupe de faire le panégyrique de Wat Tyler, de Jack Cade, de sir John Oldcastle, et tutti quanti, dans une série de biographies dont la première vient de paraître. Je donnerai en deux mots l'idée principale d'après laquelle ces portraits ont été tracés. L'auteur s'applique à prouver que si les Anglais avaient réussi à réduire la France sous le joug, la Grande-Bretagne eût été immanquablement francisée. Les Plantagenets n'oubliaient pas leur origine, tant s'en faut; pour eux « le beau pays de France » était la terre natale, et l'Angleterre une simple dépendance, une province annexée. La lutte de Jean sans Terre contre les barons n'a pas d'autre cause, et la question de race domine entièrement toutes ces secousses intérieures qui firent explosion de temps en temps dans des essais d'insurrection. Or, ici comme ailleurs, la gloire de quelques chefs a obscurci celle des autres, et les premiers efforts d'une poignée d'hommes audacieux ont été démesurément loués au détriment de leurs successeurs dans le mouvement populaire. Tout le monde convient que Simon de Montfort, Etienne Langton et Robert Fitz-Walter étaient de

1 Lives of Popular English Leaders. 1. Stephen Langton By C. Edmund MAURICE. London, Henry S. King and Co, 1872, in-8°.

vrais patriotes, tandis que les noms de Wat Tyler et de Jack Cade sont encore voués à la réprobation comme représentant des tendances foncièrement révolutionnaires. Cependant, les derniers venus n'ont fait que poursuivre la tâche qu'avaient commencée les premiers, et par conséquent l'historien qui se pique d'impartialité est tenu de faire pour eux œuvre de réhabilitation. C'est à Etienne Langton que M. Maurice a consacré l'étude biographique par laquelle il entre en matière, et en s'aidant du grand travail du docteur Hook sur les archevêques de Cantorbéry, il a écrit un intéressant morceau d'histoire.

- Je ne chercherai pas à comparer le volume de M. Stephens sur saint Jean Chrysostome avec celui que vient de publier M. Amédée Thierry; mais il y avait encore place pour un résumé impartial, clair, retraçant avec exactitude la position du célèbre orateur, décrivant à grands traits la société du Bas-Empire, appréciant l'attitude de l'Eglise grecque vis-à-vis d'un despotisme corrompu, et enfin justifiant le récit par de copieux extraits tirés des ouvrages du patriarche de Constantinople. C'est ce que M. Stephens a fait, et si bien fait, que je conseille très-fortement l'étude de son livre à ceux de nos lecteurs qui s'occupent de l'histoire ecclésiastique du Ive siècle.

- M. Spedding continue avec une persévérance louable son édition des lettres et de la vie de lord Bacon; le sixième volume, qui vient de paraître 2, est très-curieux en ce qu'il nous montre sir Walter Raleigh dans ses rapports avec le célèbre chancelier d'Angleterre. Il résulte de cet intéressant in-octavo que toutes les biographies de Raleigh, publiées jusqu'ici, y compris celle de M. Edwards, sont fort incomplètes, par suite d'une négligence d'autant plus coupable que les moyens d'y obvier étaient à la portée immédiate d'un écrivain désireux de s'acquitter consciencieusement de sa tâche. Parmi les manuscrits du fonds Harléien conservés au British Museum se trouvent de nombreux documents relatifs au voyage de Raleigh, documents que personne avant M. Spedding n'avait jugé à propos de consulter. Toutes ces pièces figurent in extenso dans le volume dont je parle, sans compter d'autres dépêches également intéressantes, et elles tendent à prouver que l'accusation intentée contre le fameux capitaine-aventurier était parfaitement fondée. On remarquera aussi des lettres assez piquantes relatives à Buckingham et à d'autres personnages politiques de cette époque.

-Les autorités du British Museum ont eu l'heureuse idée de faire reproduire par la photographie les curiosités les plus notables en tous genres qui appartiennent à ce grand dépôt public ; l'ouvrage

1 Saint Chrysostom, his Life and Times: a Sketch of the Church and the Empire in the Fourth Century. By the Rev. W. R. W. STEPHENS, M. A. London, Murray, 1872, in-8° de 317 p.

2 The life and letters of Lord Bacon, by THE SPIDING, Vol. VI. London, Longman, 1872, in-8° de 500 p.

3 British Museum Photographs, published by permission of the Trustees. Londres, M. Manssel, près de 1000 planches in-4°.

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