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à l'autre. En ces sortes de comparaisons, on court risque de tomber, à l'égard de nos voisins, dans l'excès de l'admiration ou dans l'excès de la critique.

Tout récemment, un de nos journaux « les mieux informés » et les plus légers insérait dans ses colonnes toute une série d'articles sur Berlin et l'entrevue des trois Empereurs. Que mes lecteurs se rassurent : nous ne leur en donnerons point l'analyse. Mais que dire des appréciations auxquelles se livre le reporter? Les Prussiens sont par lui traités d'abrutis (sic) qui ne vont pas aux écoles, qui n'aiment guère les livres, qui ne possèdent pas de bonnes librairies, etc., etc. Voilà pourtant ce que des milliers de lecteurs français ont pu lire et savourer. Et ils ont dù, très-naturellement, en tirer cette conclusion que la dernière guerre a été une surprise et que notre revanche sera chose facile. Hélas! hélas! c'est ainsi qu'on trompe, qu'on endort, qu'on perd une nation. Mais dites donc, dites la vérité. Dites que nos ennemis ont des vices monstrueux, mais qu'ils ont aussi des qualités sérieuses et dont il faut faire quelque estime. Ne jugez pas toute l'Allemagne, ni même toute la Prusse, d'après Berlin, qui est en effet la plus pourrie des capitales; parcourez un peu les Universités, et surtout les campagnes, où le respect de l'autorité est encore si puissant, et, si vous voulez juger une nation considérable, ne vous contentez pas d'aller l'étudier dans ses restaurants et dans ses bastringues. Que diriez-vous d'un étranger qui nous jugerait d'après Mabille, le bal Bullier et même le boulevard des Italiens? Il ne connaitrait en réalité ni Paris, ni la France.

Il convient que nos reporters soient plus graves, mais aussi que nos voisins soient plus modestes. Leur victoire leur monte à la tête, et les érudits allemands se montrent à leur tour d'une étrange impertinence à notre égard. Nous venons d'en avoir une preuve éclatante, j'allais dire scandaleuse... et je le dis. Dans la grande collection des Monumenta Germaniæ historica, vient de paraitre un Recueil de nos diplômes mérovingiens. Tout d'abord, on peut s'étonner que ces Actes si profondément français composent le premier volume d'une collection des «< Diplômes de l'Empire. > Le fils de M. Pertz, qui écrit fièrement sa préface natalibus paternis, n'a pas vu cette énormité, et en commet bien d'autres. Je ne veux pas ici signaler d'étranges bévues (oui, bévues), qui seront relevées prochainement UNE à UNE dans la Revue critique et dans la Bibliothèque de l'Ecole des Chartes. Mais ce qui me désole, mais ce qui m'indigne jusqu'au fond de mon âme, c'est le petit ton querelleur avec lequel S. A. I. et R. Pertz, deuxième de nom, daigne parler des illustres érudits français qui l'ont précédé et auxquels il doit les meilleurs éléments de son travail. Ces diplômes qu'il publie ont été avant lui mis en lumière par Bréquigny, par Pardessus et par un de nos meilleurs archivistes, M. Jules Tardif. Ce sont là des travaux longuement étudiés, consciencieux, estimables, utiles. M. Pertz junior leur consacre à peine quelques lignes rapides et plus que dédaigneuses. Notez qu'il leur a presque tout emprunté et que sa tâche s'est bornée à corriger un certain

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nombre d'erreurs de lecture, à publier deux diplômes inédits et à diviser tous ces documents en deux familles, les authentiques d'une part, les spuria de l'autre. D'ailleurs, pas d'Introduction, point de Notes, et des Tables où fourmillent les fautes. Il n'y a pas de quoi se montrer si fier, et ce n'est pas le cas d'écrire superbement: Dabam Berolini natalibus paternis.

En vérité, nos vainqueurs devraient se montrer plus généreux et reconnaître que, s'ils sont aujourd'hui les princes de l'érudition, nous avons, nous, la France, tenu pendant deux siècles ce sceptre dans la main..... et que nous saurons bien le reprendre, avec bien d'autres choses.

LEON GAUTIER.

REVUE DES RECUEILS
RECUEILS PÉRIODIQUES

I.

PÉRIODIQUES FRANÇAIS.

Le Saint-Père a prononcé, naguère, des paroles qui ont eu un grand retentissement, et que tous les écrivains catholiques ont prises pour règle. Cette Revue peut se rendre le témoignage que, si elle a vigoureusement attaqué l'erreur, elle est demeurée étrangère à ces polémiques violentes et acrimonieuses si contraires à l'esprit chrétien. La loi que nous nous sommes faite à cet égard est conforme aux enseignements constants de l'Eglise, que rappelle très-opportunément le R. P. Montrouge dans un article intitulé: les Lois de la polémique religieuse. Les papes ont toujours voulu concilier les droits de la vérité et les droits de la charité. Clément VIII recommandait aux réviseurs d'effacer des livres « tout ce qui porte préjudice à la réputation du prochain, ainsi que les sarcasmes et les mots piquants dont la bonne renommée pourrait souffrir quelque dommage.» Benoit XIV, dans sa constitution Sollicita, s'exprimait en ces termes : « Plùt à Dieu qu'à notre malheureuse époque de licence, l'on ne vit jamais paraître au jour des livres où les adversaires s'accablent mutuellement d'injures, et frappent de censures flétrissantes des opinions que l'Église n'a point condamnées; où les écoles et les opinions rivales sont indignement livrées au ridicule, sujet de tristesse pour les bons! Ces luttes des catholiques qui se déchirent impitoyablement sont pour les hérétiques un vrai triomphe et fournissent un trop juste prétexte à leur mépris. Nous ne pouvons assurément bannir toute discussion....., mais nous avons le droit d'exiger qu'en défendant son opinion, un écrivain se souvienne de la modération chrétienne..... Ceux qui voudraient abriter la causticité de leurs écrits derrière le zèle de la saine doctrine, feront bien de se rappeler que la pratique de la douceur évangélique et de la charité chrétienne doit marcher de pair avec l'amour de la vérité... Qu'ils imitent saint Augustin, en qui nous n'admirons pas moins le docteur de la charité que le défenseur de la vérité : dans ses luttes incessantes contre les Manichéens, les Pélagiens, les Donatistes et autres, il évita toujours, avec le

↑ Etudes religieuses, philosophiques, historiques et littéraires, livr. de juillet 1872.

plus grand soin, de blesser ses adversaires par des paroles d'injure. Agir autrement dans les écrits ou dans les disputes, est un signe manifeste que, bien loin de pratiquer la charité, l'on n'a pas même pour intention principale la défense de la vérité. »

Respect pour les personnes, libre et franche discussion des doctrines, » voilà les lois fondamentales de la polémique catholique. Mais si l'on doit traiter ses adversaires avec charité et même avec indulgence, il n'y a point de ménagement à garder avec l'erreur et avec l'écrivain qui se fait le champion déterminé de l'erreur. Ici notre Saint-Père le Pape, longtemps avant d'avoir rappelé les écrivains catholiques à la charité chrétienne, avait tracé la voie en ces termes remarquables, qui résument tout le programme de ce recueil : «Dans cette lamentable conspiration du mensonge et de l'erreur, qui, depuis trois siècles, travaille à souiller et à corrompre l'histoire, et ne laisse guère pénétrer dans les esprits que des jugements incomplets, faux et mensongers, sur les choses et sur les hommes, il est particulièrement désirable que le récit des faits, rappelé à ses premiers devoirs, devienne de nouveau le témoin des temps, la lumière de la vérité, la vie de la mémoire, la maîtresse de la vie. Tout homme de sens doit comprendre qu'on ne peut espérer d'y arriver, à moins que l'histoire, rejetant toute opinion préconçue et résistant également aux mouvements contraires de l'amour et de la haine, ne craigne point d'accorder à la vertu, partout où elle la rencontrera, le tribut de ses louanges, et de stigmatiser le mal d'une note d'infamie, à moins aussi qu'inspirée par l'esprit de la religion, elle ne reconnaisse dans les événements humains l'action de la Providence, montrant dans leur accomplissement la sanction des lois de l'éternelle justice, et établisse que les progrès et la grandeur des peuples répondent à leurs vertus, l'abaissement et la ruine à leurs vices'. »

- Le R. P. Colombier a commencé, dans l'excellent recueil des PP. Jésuites, une série d'études sur les origines du pouvoir temporel des Papes. Un premier article 2 est consacré à l'examen des deux points suivants: saint Grégoire le Grand (590-604) et ses successeurs immédiats ont-ils exercé une autorité quasi-féodale sur des villes et des provinces? Les patrimoines de l'Eglise romaine renfermaient-ils des villes et quelles villes? Il conclut en ces termes : « La ville de Gallipoli appartenait à saint Grégoire le Grand. Il en possédait probablement plusieurs autres, mais aucun des textes produits jusqu'ici dans le débat ne peut faire passer cette proposition de la probabilité à la certitude. La preuve apportée en faveur de Népi disparait quand on examine les circonstances tout à fait exceptionnelles dans lesquelles se trouvait cette ville. Pour Naples, les raisons alléguées n'entraînent pas non plus la conviction; bien moins encore la certitude existe-t-elle à l'égard des Alpes Cottiennes. - Mais, en présence et au-dessus de ces résultats, presque tous né

1 Bref, en date du 23 avril 1864, adressé à M. Henry de Riancey. Etudes religieuses, philosophiques, historiques et littéraires, livr. de juillet 1872.

gatifs, n'en subsiste pas moins le fait suivant : saint Grégoire et ses successeurs étaient propriétaires d'une partie notable du sol, nonseulement dans les Etats pontificaux tels qu'ils étaient avant les spoliations, mais encore dans le royaume de Naples, dans la Sicile, et ils avaient d'immenses domaines dans le reste de l'Italie et au dehors..... Les conclusions que je propose n'ont rien de dangereux pour la cause catholique, ni pour l'indépendance des possessions temporelles du Pape. Je prolonge, il est vrai, de quelques années la préparation de la souveraineté pontificale; j'en fixe au VIIIe siècle seulement la reconnaissance définitive et pour ainsi dire officielle. Mais, en faisant ce sacrifice à la vérité, nous nous trouvons en mesure de prouver, avec plus d'évidence, combien a été légitime l'institution de la monarchie papale. Nous sommes à même de montrer que, seuls entre les souverains, les Papes réunissent, sans aucune exception, tous les titres qui peuvent légitimer la souveraineté parmi les hommes. »

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Notre excellent collaborateur M. Léon Gautier a achevé1 la publication de sa très-remarquable étude : La France sous PhilippeAuguste qui, nous l'espérons, paraitra prochainement sous la forme du livre. Le morceau qui couronne cette œuvre si érudite et si pleine de charme en même temps, est intitulé: Saint Louis considėrė comme le continuateur de Philippe-Auguste. Philippe-Auguste, saint Louis, Philippe le Bel, voilà, dit l'auteur, trois noms inséparables dans notre histoire. Le premier, c'est le seigneur féodal encore grossier et déjà subtil, moitié tigre et moitié renard; le dernier, c'est un Machiavel sur le trône. Entre eux deux se tient celui que nous allons vous faire connaître, l'honnête homme, le saint roi, saint Louis. » Vient d'abord le portrait physique et moral de saint Louis, celui de la reine Blanche, le tableau des vertus surnaturelles et des vertus naturelles du saint roi : « roi dans toute la force du mot, il savait remplacer, quand il le fallait, son économie ordinaire par une véritable magnificence; ce saint cuirassé de haire et qui se macérait si énergiquement surpassa ses prédécesseurs en libéralités de tout genre, tant dans la dépense de sa maison que lorsqu'il assemblait sa noblesse. Il était d'ailleurs généreux de toute manière, et l'humanité frémissait toujours dans sa poitrine. Respectant les petits, il respecta les vaincus et il ne permit jamais que l'on plaisantât en sa présence le roi d'Angleterre, dont il avait triomphé. Sa bonté néanmoins ne faisait aucun tort à sa fierté... Saint Louis fut le plus courageux chevalier de son temps. » Puis l'auteur passe en revue les événements du règne de saint Louis, et montre que saint Louis ne fut pas seulement le continuateur de Philippe-Auguste, mais le réparateur du règne et des fautes de son grand-père.

- M. l'abbé Fuzet a donné à la Revue des sciences ecclésiastiques un très-solide travail sur les Jansénistes, dont trois articles ont paru 2. L'auteur y expose d'abord l'état de l'opinion en France sur les Jan

1 Revue du Monde catholique du 25 juin 1872. Livr. de février, avril et juin.

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